Reculs des démocraties : l’exemple du Chili de 1970 à 1973

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Introduction :

Le 4 septembre 1970, Salvador Allende (1908-1973), médecin de formation, socialiste, est démocratiquement élu président du Chili en 1970. Trois ans plus tard, le 11 septembre 1973, il est renversé par un coup d’État.

Quels sont les facteurs qui expliquent qu’un président démocratiquement élu ait été renversé par un coup d’État militaire ?
Répondre à cette question nous permet d’évoquer les fragilités de la démocratie dans le contexte politique, social et géopolitique du Chili au début des années 1970.

Le contexte politique de l’élection de Salavador Allende

Une élection par le Congrès

Depuis 1925, le Chili est une démocratie et différents partis se succèdent au pouvoir.
En 1970, un jeu d’alliance entre plusieurs partis politiques issus de la gauche et du centre forme l’Unité populaire. C’est grâce à cette coalition de gauche que Salvador Allende est élu président de la République.

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Définition

Coalition politique :

Alliance entre plusieurs partis et/ou mouvements politiques en vue d’avoir un programme commun, de présenter une candidature commune aux élections et de former un gouvernement.

Au Chili, le président est élu par un scrutin majoritaire à un tour.

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Définition

Scrutin majoritaire à un tour :

Dans un scrutin majoritaire à un tour, le candidat qui obtient le plus de voix est élu et il n’y a pas de deuxième tour.

Allende arrive en tête avec 36,6 % des voix, mais très peu d’avance sur le candidat de droite. Il s’agit d’ailleurs d’une élection triangulaire comme le montre le tableau ci-dessous.

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Définition

Élection triangulaire :

Élection pour laquelle trois candidats se présentent pour un même poste.
(Dans des élections à deux tours, comme en France, cela peut également désigner le cas où trois candidats ont atteint le seuil de suffrages leur permettant d’accéder au second tour.)

Résultats des élections du 4 septembre 1970

candidats % des votes
Salvador ALLENDE

socialiste

36,6
Jorge ALESSANDRI

droite conservatrice

35,3
Radomiro TOMIC

démocrate-chrétien

28,1

En l’absence de majorité absolue, d’après la Constitution, le Congrès national doit voter à son tour pour départager les deux candidats ayant reçu le plus de votes.
Les sénateurs démocrates-chrétiens joignent alors leurs voix à l’Unité populaire.
Son élection validée, Salvador Allende prend ses fonctions de président de la République le 3 novembre 1970.

Résultats du vote du Congrès

candidats nombre de votes
Salvador ALLENDE

socialiste

153
Jorge ALESSANDRI

droite conservatrice

35
vote blanc 7

Les parlementaires ratifient donc l’élection de Salvador Allende qui est parfaitement conforme à la constitution chilienne, même si Allende n’a pas été élu à la majorité absolue.

Une coalition politique fragile

La coalition politique composant l’Unité populaire est très hétérogène.
L’Unité Populaire est une coalition composée de nombreux partis très différents les uns des autres, allant du centre gauche à l’extrême-gauche, du Parti radical (parti d’inspiration libérale, plutôt centriste) au Parti communiste, en passant par le Parti socialiste et différents mouvements démocrates-chrétiens en rupture avec leur parti d’origine.
La composition de la coalition d’Unité Populaire :

  • le Parti socialiste de Salvador Allende ;
  • le PR (Parti radical) social-démocrate ;
  • le PCC (Parti communiste Chilien) ;
  • le MAPU (Mouvement d’action populaire unitaire), mouvement chrétien révolutionnaire ;
  • le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) ;
  • l’API (Action populaire indépendante).
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À retenir

Cette diversité nous permet de comprendre à la fois la force (union de grande envergure) et la fragilité de cette alliance. Si ces partis réussissent à élaborer une alliance électorale et un programme commun, l’exercice du pouvoir entraîne vite des désaccords majeurs.

Ainsi, le MIR prône la lutte armée, ce qui est aux antipodes de ce que souhaite le Parti radical.
Le programme commun propose d’ailleurs la mise en place du socialisme par la voie pacifique, une vision qui reflète les positions de Salvador Allende.

Les positions de Salvador Allende

Alt texte Photographie de Salvador Allende Gossens prise vers 1972 par Bernard Gotfryd

Salvador Allende envisage l’application de nombreuses réformes sociales et anti-impérialistes, dans le sens d’une redistribution des richesses pour une répartition plus égalitaire et d’une souveraineté nationale réaffirmée.
Il souhaite agir par le biais d’une intervention étatique forte en s’appuyant sur ses soutiens politiques dans les classes populaires et les travailleurs, mais aussi en comptant sur une alliance de classe avec la bourgeoisie nationale progressiste. Il pense également que les forces militaires, traditionnellement plus conservatrices, se soumettront sans hésiter aux décisions politiques civiles.
Avec le recul, on peut pointer deux erreurs d’appréciation de la part de Salvador Allende : la thèse de l’alliance de classe et la soumission de l’armée.

Salvador Allende mène donc une transformation institutionnelle et non-violente du Chili.
Il s’inspire du Front populaire français et de la République espagnole. Il apprécie de gouverner avec une coalition et maintient la liberté d’expression avec l’existence d’une presse d’opposition.
Son discours est néanmoins résolument socialiste : il admire la révolution cubaine et ses leaders (dont Che Guevara), ainsi que leur lutte contre l’impérialisme, ce qui ne manque pas d’inquiéter les « possédants » à l’intérieur du pays et, à l’extérieur, les États-Unis.

La société divisée

Un contexte économique difficile et des oppositions politiques importantes

Il convient de souligner qu’en 1970, le Chili se trouve dans une situation économique difficile.
Le pays est notamment en proie à une hyperinflation (hausse des prix très importante).

En 1970, la société chilienne est profondément divisée et les oppositions se multiplient.

  • Opposition entre le président élu et les « possédants » qui craignent les expropriations. Au lendemain des élections du 4 septembre 1970 commence la fuite des capitaux : les « possédants » mettent leur argent à l’abri à l’étranger, drainant l’économie chilienne.
  • Opposition au sein de la société entre les Chiliens de gauche qui veulent des réformes sociales et les Chiliens de droite, antimarxistes et voyant le socialisme d’Allende comme le début du communisme.
  • Opposition au sein de la gauche chilienne entre les révolutionnaires qui justifient la lutte armée et les réformistes qui attendent beaucoup du gouvernement.

Les réformes accentuent les divisions

Le programme de l’Unité populaire prévoit toute une série de mesures visant à améliorer la situation des classes populaires.
Les « 40 mesures » du programme sont composées à la fois de réformes sociales pour atténuer les inégalités et de réformes économiques pour redonner au Chili la mainmise sur ses richesses minières qui sont sous la coupe des capitaux étatsuniens.

Les principales réformes sur le plan social sont :

  • une réforme agraire pour une redistribution des terres et une expropriation des latifundios, immenses propriétés terriennes, alors que les petits paysans sans terre sont si nombreux : on prend des terres aux riches pour les redistribuer aux pauvres ;
  • une augmentation des salaires et un contrôle des prix sur les produits de première nécessité afin d’augmenter le pouvoir d’achat des plus modestes ;
  • une extension du système de sécurité sociale ;
  • une construction de logements, car l’exode rural des paysans sans terre a entraîné une forte croissance des bidonvilles.

Sur le plan économique, les réformes s’appuient sur les nationalisations des mines de cuivre notamment, mais aussi de certaines banques, et la « chilénisation » des entreprises étatsuniennes qui ne sont pas indemnisées.

Les soutiens pour les réformes sont importants, mais les oppositions se renforcent également et se cristallisent.

La crise d’octobre 1972

Au bout d’une année, le contexte d’inflation galopante, la hausse du coût de la vie, les difficultés à se procurer des produits de base et le marché noir ne vont pas permettre de répondre aux attentes des Chiliens les plus pauvres.
D’un autre côté, la crainte s’installe chez les Chiliens les plus riches, mais aussi en partie les classes moyennes, qui redoutent la mise en place d’un régime communiste.

En octobre 1972, les classes dominantes passent à l’offensive. Leur action est soutenue par la CIA. Les États-Unis soutiennent financièrement la grève illimitée des camionneurs qui paralyse le pays, dans un pays qui possède très peu de voies ferrées. Cette grève est suivie par le grand patronat chilien mais aussi par la petite bourgeoisie industrielle et commerçante, ainsi que les professions indépendantes (avocats et médecins).
En fait, tous les opposants à la politique d’Allende s’allient pour faire tomber le régime.

Le pays est divisé en deux : d’une part, les classes dominées unifiées, d’autre part, la mobilisation de mouvements populaires qui tentent de résister à la grève patronale et de reprendre le travail. Le MIR et le MAPU sont particulièrement impliqués dans la coordination du travail volontaire. Ces organisations ouvrières prennent le nom de « cordons industriels » et font fonctionner les usines sans patron.
Mais cette mobilisation populaire ne suffit pas à sauver l’économie du pays.

Grèves et manifestations se multiplient, accompagnées d’affrontements entre groupes d’extrême-droite et d’extrême-gauche.
La question est de savoir si, face à un tel chaos, l’armée est prête à soutenir le gouvernement. Salvador Allende semble le croire lorsqu’il nomme le général Augusto Pinochet au poste de commandant en chef des forces armées le 23 août 1973 pour rétablir l’ordre.

Mais ces divisions sont en réalité renforcées par la pression internationale. En effet, la menace est également extérieure, les États-Unis ne voulant risquer de voir s’installer un « second Cuba » sur le continent sud-américain.

La forte pression internationale

Le contexte de la guerre froide

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Rappel

La guerre froide est une période de tensions qui oppose les États-Unis et l’Union soviétique, de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991.
Les deux camps défendent deux modèles idéologiques diamétralement opposés : le libéralisme pour les États-Unis et le communisme pour l’URSS.

Depuis la doctrine Monroe de 1823 – doctrine américaine qui veut faire de l’Amérique latine la chasse gardée des États-Unis –, le continent américain est sous l’influence des États-Unis. L’Amérique latine devient en quelque sorte l’arrière-cour des États-Unis.
Pendant la guerre froide, Fidel Castro s’empare du pouvoir à Cuba et établit un gouvernement communiste proche de l’URSS. Après la crise des missiles de 1962, les États-Unis refusent d’accepter l’émergence d’un nouveau régime socialiste en Amérique latine, craignant l’expansion du communisme sur le continent. Pourtant, la situation est bien différente et l’URSS ne soutient pas le régime de Salvador Allende.

carte sur le continent américain dans le contexte de guerre froide

  • On remarque sur cette carte que, durant la guerre froide, les États-Unis veulent à tout prix sauvegarder leurs intérêts (économiques, idéologiques), même si cela doit se faire aux dépens de la démocratie.

La politique étrangère de Salvador Allende

La politique étrangère de Salvador Allende repose sur une volonté d’indépendance.
Sur tous les plans, il souhaite se démarquer de la tutelle des États-Unis et mettre fin à un alignement imposé en politique étrangère pour retrouver pleinement sa souveraineté.
Il choisit donc de rejoindre le mouvement des non-alignés.

Pour montre son indépendance vis-à-vis des États-Unis, il décide de rétablir ses relations diplomatiques avec Cuba. Un an plus tard, le dirigeant cubain, Fidel Castro, est invité au Chili pour une visite officielle, ce qui renforce l’inquiétude des conservateurs chiliens et des États-Unis.

Et nous allons voir que l’ingérence des États-Unis au Chili a clairement une volonté déstabilisatrice.

L’ingérence étatsunienne

La victoire de Salvador Allende a pris les États-Unis par surprise, leurs services secrets ayant en effet prévu la victoire du candidat conservateur, qu’ils avaient d’ailleurs soutenu indirectement.
Dès l’élection de septembre 1970, le président Nixon envisage d’empêcher le Congrès chilien de ratifier l’élection de Salvador Allende. N’y parvenant pas, une déstabilisation du Chili est privilégiée.

« Notre principale préoccupation concernant le Chili, c’est le fait qu’Allende puisse consolider son pouvoir, et que le monde ait alors l’impression qu’il est en train de réussir. Nous ne devons pas laisser l’Amérique latine penser qu’elle peut prendre ce chemin sans en subir les conséquences. »

Discours du président Nixon au Conseil national de sécurité des États-Unis, novembre 1970

L’arme utilisée est avant tout économique.
Le FMI et la Banque mondiale, dirigée par l’Américain Robert McNamara, décident un arrêt des aides au développement et de tout prêt au Chili, plongeant le pays dans une importante crise économique dont il ne parvient pas à s’extraire.

graphique sur l’évolution des prêts de la Banque mondiale auprès du Chili

  • Sur ce graphique, on remarque clairement l’arrêt des prêts de la Banque mondiale au Chili à partir de l’élection de Salvador Allende. On note par ailleurs le rebond très important de ces prêts sous la dictature de Pinochet.

Cette déstabilisation a pour but affiché de conduire à un coup d’État en créant le climat propice à un renversement du pouvoir. Les États-Unis sont en effet prêts à soutenir indirectement toute action militaire qui pourrait renverser le régime. Ainsi, ils financent le groupe paramilitaire d’extrême-droite Patrie et Liberté qui distille son idéologie néofasciste et a recours à la violence pour déstabiliser le gouvernement de Salvador Allende.
Le secrétaire d’État Henry Kissinger et le directeur de la CIA, Richard Helms, sont connectés au monde des Affaires et aux partis d’opposition favorables à un coup d’État. Par leurs relations et les agences de renseignements les États-Unis contribuent donc également à la radicalisation des oppositions au gouvernement de Salvador Allende.

Le 11 septembre 1973, le palais présidentiel de la Moneda, à Santiago, est pris d’assaut par l’armée chilienne. Après avoir prononcé un discours d’adieu et refusé de s’enfuir, Salvador Allende se suicide.

Alt texte Dernière photographie de Salvador Allende prise au Palais de la Moneda le 11 septembre 1973, photographie de Leopoldo Victor Vargas

Le général Pinochet organise alors une violente répression : plus de 45 000 personnes sont tout de suite arrêtées et emprisonnées.
Il met une en place une dictature militaire, marquée par l’usage de la torture et par des exécutions sommaires. Pinochet reste au pouvoir jusqu’en 1990.

Conclusion :

Le basculement de la démocratie chilienne vers la dictature intervient dans un contexte de crise multiforme.

L’expérience socialiste de Salvador Allende ne parvient pas à résoudre la crise économique et sociale du pays. Le projet d’Allende suscite des espoirs et soutiens forts, mais il se heurte également à l’exacerbation des divisions sociales et politiques dans le contexte de la guerre froide.
Les oppositions (partis de droite, grand patronat, militaires) se renforcent, se radicalisent et se mobilisent, avec le soutien très important des États-Unis. Les documents déclassifiés aux États-Unis témoignent de cette ingérence en faveur du coup d’État militaire.