Une inégalité des chances persistante

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Introduction :

Comme nous l’avons vu dans le cours précédent, si la démocratisation quantitative de l’école est un succès, notamment en raison du phénomène de massification scolaire, la démocratisation qualitative censée égaliser les chances dans l’obtention d’un diplôme ou d’un emploi reste plus mitigée. En somme, l’accès massif à la scolarisation a été un accélérateur de la démocratisation, mais il n’a cependant pas empêché les inégalités.

Comment s’explique la persistance de ces inégalités ? Nous verrons dans un premier temps ce qu’elles recouvrent, puis nous nous pencherons sur les explications sociologiques du phénomène proposées par Dubet, Bourdieu et Boudon.

Les inégalités de réussite scolaire

Les écarts de la démocratisation qualitative

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Rappel

La démocratisation qualitative est l’affaiblissement du lien entre l’origine sociale d’un·e élève et son parcours scolaire.

Or, l’École échoue à estomper ce lien et les écarts, sans se creuser, persistent.
On peut distinguer :

  • des écarts en matière de réussite ou d’échec scolaires ;
  • des écarts en matière d’orientation ;
  • des écarts entre les diplômes.
  • Écarts en matière de réussite ou d’échec scolaires

Définissons d’abord ces deux termes.

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Définition

Réussite scolaire :

On parle de « réussite » scolaire pour les élèves dont la scolarité évite les redoublements, les orientations non choisies et lorsqu’un certain niveau d’études est atteint (minimum bac + 3).

A contrario…

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Définition

Échec scolaire :

On parle d’« échec » scolaire pour qualifier des difficultés face aux apprentissages fondamentaux ou bien une situation dans laquelle les élèves quittent leur scolarité sans obtenir de diplôme.

Or, on s’aperçoit qu’il existe une corrélation entre l’origine sociale et la réussite scolaire.

  • D’après l’observatoire des inégalités, $10,4\,\%$ des enfants d’ouvrier·ère·s avaient redoublé au moins une fois à leur entrée en 6e, contre seulement $1,9\,\%$ des enfants de cadres et $1,7\,\%$ des enfants d’enseignant·e·s.
  • Écarts en matière d’orientation

L’orientation est « positive » quand les élèves poursuivent leurs études aussi longtemps qu’ils·elles le souhaitent et quand ils·elles peuvent choisir leur filière ; elle est donc « négative » quand elle est imposée.

  • On constate que les enfants de cadres restent majoritaires dans les filières générales mais également dans les classes préparatoires aux grandes écoles ($79\,\%$). À l’inverse, les enfants d’ouvrier·ère·s et d’employé·e·s sont surreprésentés dans les filières professionnelles et technologiques ainsi qu’en BTS ($50\,\%$).
  • Écarts en matière de rendement des diplômes

De la même façon, on observe qu’un même diplôme ne donne pas accès aux mêmes emplois. Ces différences de trajectoire s’expliquent non seulement par le lieu d’obtention du diplôme et l’établissement de formation, mais aussi par l’origine sociale des diplômé·e·s.

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Exemple

  • Un diplôme d’école de commerce obtenu à HEC Paris est jugé plus prestigieux qu’un diplôme équivalent obtenu à l’école de commerce de Chambéry.
  • Pour un même diplôme obtenu dans une même école, un individu provenant d’un milieu aisé aura plus de chances d’obtenir un poste plus élevé qu’un individu de milieu modeste disposant de peu ou aucun réseau.

Les critères socioéconomiques explicatifs des inégalités scolaires

Ces disparités sont fortement liées à des différences :

  • d’origine socioprofessionnelle ;
  • d’origine nationale ;
  • et de genre.
  • Origine socioprofessionnelle des inégalités

Pour parler d’origine socioprofessionnelle, on regarde la PCS des parents.
En effet, aujourd’hui, $50,4\,\%$ des élèves scolarisé·e·s dans l’enseignement supérieur sont enfants de cadres contre $5,1\,\%$ des enfants d’ouvrier·ère·s. Concernant plus spécifiquement les universités (enseignement public), $32,2\,\%$ des élèves sont enfants de cadres, contre $10,1\,\%$ qui sont enfants d’ouvrier·ère·s.

Accès à l’enseignement supérieur en fonction de l’âge et du milieu social en 2012

  • En 2012, parmi les jeunes âgés de 25 à 29 ans, $51\,\%$ étudient ou ont étudié dans le supérieur. Parmi eux·elles, $75\,\%$ étaient des enfants de cadres (ou professions intermédiaires), tandis que $37\,\%$ d’entre eux·elles étaient enfants d’ouvrier·ère·s ou d’employé·e·s.

Les trajectoires scolaires des enfants semblent donc influencées par les PCS des parents.

  • Origine nationale des inégalités

Les inégalités de réussite scolaire liées à l’origine nationale sont aussi très présentes, notamment dès le premier degré : la moitié des enfants dont les parents ont immigré en France redouble en primaire.

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Astuce

Ces inégalités s’estompent plus à partir du collège où ils·elles se confondent alors statistiquement avec ceux·celles des catégories sociales auxquelles ils appartiennent (majoritairement ouvrier·ère·s et employé·e·s).

  • Inégalités de genre

Les effets de la socialisation différenciée à partir de stéréotype de genre sont multiples : les femmes sont, par exemple, plus représentées au lycée (général et professionnel) où elles constituent $55\,\%$ des effectifs de classe.
On observait aussi, avant la réforme du baccalauréat, une spécialisation genrée au niveau des filières : les femmes représentaient $79\,\%$ des effectifs en série L[ittéraire], contre $45\,\%$ en série S[cientifique].
Ces différences marquées impactaient alors les filières du supérieur.

part des femmes dans les formations de l’enseignement supérieur

Ainsi, pour l’année scolaire 2012-2013, les femmes représentaient $28\,\%$ des élèves inscrit·e·s en formation d’ingénieur·e·s (tous établissements confondus), contre $72\,\%$ d’hommes. En parallèle cette même année, elles représentaient $70\,\%$ des inscrit·e·s en facultés de lettres et sciences humaines.

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Astuce

Notez par ailleurs qu’on peut observer un recul de ces disparités statistiques en 10 ans (comparaison aux données de l’année scolaire 2002-2003), léger certes, mais toutefois notable.

Ainsi, si la massification est observée depuis les années 1950, la démocratisation qualitative qui devait accompagner la démocratisation quantitative est encore loin d’être acquise. Des corrélations entre réussite scolaire et origine sociale, nationale, et selon le genre persistent.

Explications théoriques des inégalités scolaires

L'analyse de François Dubet : les inégalités sociales faussent la compétition méritocratique

Depuis un peu plus de cinquante ans, la massification scolaire a entraîné une compétition méritocratique neutre sur laquelle on fait reposer l’égalité des chances. On envisage alors l’École comme une institution dont le rôle est de valoriser les efforts individuels, peu importe son milieu d’origine, et donc de lutter contre les inégalités sociales.

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Définition

Égalité des chances :

L’égalité des chances désigne une situation dans laquelle les individus disposent des mêmes chances de réussite/succès et ce peu importe leur origine sociale, leur ethnie, leur sexe, etc.

Selon François Dubet (né en 1946) l’égalité des chances suppose que tous les individus participent à une compétition ouverte et équitable selon le mérite et non l’origine.
Pour tendre vers cet idéal d’égalité des chances, il est nécessaire de pratiquer l’équité et de répartir les moyens de telle façon que soient favorisé·e·s les défavorisé·e·s.

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Astuce

Or, instaurer le principe d’équité suppose que des élèves socialement différents ne soient pas dans des situations identiques et donc que leur réussite scolaire ne soit pas homogène.

La ségrégation sociale et spatiale, respectivement des filières et des cartes scolaires, tend à justifier l’analyse de Dubet puisque les élèves issu·e·s de milieux favorisés poursuivent plus leurs études et occupent donc à la fin un emploi mieux rémunéré.

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À retenir

Pour que la compétition méritocratique soit parfaitement équitable, il faudrait que les individus n’héritent pas des capitaux culturels et économiques de leurs familles.

  • La première difficulté de l’égalité des chances scolaire tient donc à l’impossibilité de neutraliser complètement les effets des inégalités sociales sur les compétences scolaires.

Ainsi, selon Dubet, la compétition méritocratique est biaisée par les inégalités sociales (auxquelles sont très souvent liées des inégalités spatiales) qui empêchent l’école de jouer le rôle qui lui a été attribué dans l’égalité des chances.

L'analyse de Pierre Bourdieu : l’habitus et la dotation en capital sont des facteurs de reproduction sociale

De son côté, Pierre Bourdieu (1930-2002) propose, au milieu des années 1960, une explication à ces inégalités scolaires en voyant dans l’École un instrument de reproduction des positions de dominant·e·s et de dominé·e·s.

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À retenir

Ce phénomène de reproduction s’appuie sur le lien entre les valeurs véhiculées par l'École et les valeurs des classes dominantes.

En effet, l’École valorise certaines matières, certaines normes, certains savoir-faire, et certaines pratiques culturelles, et ceux·celles-ci sont essentiellement partagé·e·s par la classe favorisée (voire dominante) de la population, et moins par la classe défavorisée.

  • Ce décalage débouche sur une hiérarchie implicite qui avantage les enfants d’une partie de la population dont l’habitus est adapté à ce que l’École attend et valorise.
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Rappel

Bourdieu définit l’habitus comme un ensemble de dispositions permanentes guidant les comportements, les goûts et les pratiques culturelles.

Ces dispositions acquises sous forme de qualifications, grâce à l’expérience et l’éducation, vont donc favoriser ou défavoriser la réussite des individus.

Bourdieu met en évidence quatre types de capitaux différents :

  • le capital économique correspond au revenu et au patrimoine qui, quand ils sont élevés, permettent de financer plus aisément des études longues, des cours particuliers et/ou des séjours à l’étranger, par exemple ;
  • le capital culturel désigne l'ensemble des ressources culturelles dont dispose un individu (capacités de langage, maîtrise d'outils artistiques, etc.), le plus souvent attestées par des diplômes ;
  • le capital social désigne le réseau de relations personnelles qu'un individu peut mobiliser et qui est en parti hérité (les relations, le « piston ») ;
  • le capital symbolique désigne toutes formes de capital (culturel, social, ou économique) ayant une reconnaissance particulière au sein de la société.
  • Pour Bourdieu, le capital le plus important est le capital culturel dans lequel on retrouve la notion d’habitus. C’est grâce à ce capital que les enfants de classes aisées vont davantage réussir que les enfants des classes populaires car la culture transmise est davantage en correspondance avec celle inculquée par l’école.
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À retenir

En somme, selon le raisonnement bourdieusien, plus un individu est doté en capitaux et plus il réussira à l'École, justifiant ainsi que la réussite scolaire des enfants soit corrélée à la dotation en capital des parents.

En conséquence, les enfants de cadres, professions libérales et intellectuelles (classes dominantes) réussissent statistiquement mieux à l’école que les enfants d’ouvrier·ère·s, employé·e·s, artisan·e·s et commerçant·e·s.

  • Habitus et dotations en capitaux expliquent donc le déterminisme social, facteur d’inégalités scolaires.
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Définition

Déterminisme social :

Le déterminisme social est un concept sociologique selon lequel les comportements humains sont le fruit de la contrainte sociale qui s'exerce sur les individus, la plupart du temps sans que ceux-ci en aient conscience.

Pour Bourdieu, les inégalités scolaires sont le résultat de mécanismes sociaux voulus, afin que perdure la domination des classes dominantes sur les classes dominées. L'École devient donc un instrument de domination et de reproduction sociale.

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À retenir

Bourdieu dénonce ici le mythe de la démocratisation sociale de l’école qu’il considère plus comme une massification répondant aux besoins économiques de la tertiarisation qu’une véritable mobilité sociale.

L'analyse de Raymond Boudon : les stratégies individuelles et familiales sources d’inégalités scolaires

Raymond Boudon (1934-2013) s’est lui aussi penché sur les inégalités scolaires. Ses analyses divergent de celles de Bourdieu.

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À retenir

Selon lui, ce sont les stratégies individuelles et familiales qui expliquent les inégalités de parcours et de réussite scolaire.

Il convient que l’institution scolaire cherche à égaliser les chances, mais il ajoute qu’elle y parvient progressivement.

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Astuce

Sa sociologie, moins radicale que celle de Bourdieu, s'inscrit dans l’approche individualiste méthodologique.

Selon Boudon, la scolarité implique des choix qui se traduisent par des coûts qu’il calcule en temps, en argent et en renoncement. Par exemple, régulièrement, les étudiant·e·s et leurs familles doivent décider de poursuivre ou d’arrêter des études, de suivre tel ou tel cursus, de préparer tel ou tel diplôme.

  • Ces coûts sont autant de paris sur des avantages que l’on espère pouvoir tirer des diplômes obtenus, au moment de l’insertion professionnelle.

Selon cette approche, les jeunes et les familles opèrent de façon rationnelle : il·elle·s arbitrent les coûts et les avantages, liés à la poursuite des études, en fonction de leurs goûts, leurs capacités, leurs moyens financiers, leurs expériences et leurs attentes.

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À retenir

Les individus font donc des choix en fonction de leurs ressources et de leurs objectifs, eux-mêmes corrélés à la situation socioprofessionnelle des individus et donc à leur origine sociale.

Ainsi, les enfants issus des classes défavorisées ont des trajectoires scolaires courtes qui offrent des diplômes inférieurs à la moyenne car eux·elles-mêmes, à l’instar de leur entourage, croient peu aux avantages tirés d’études longues dont le coût est jugé excessif.

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Attention

Dans cette approche, ce ne sont pas directement les inégalités socioculturelles qui expliquent les inégalités mais bien des stratégies différentes, elles-mêmes en partie liées aux différences sociales.

  • Les inégalités scolaires sont moins dues à des inégalités sociales qu’à des stratégies familiales.

Sur le long terme, Boudon considère donc la massification scolaire et l’allongement des études comme conduisant progressivement à l’égalisation des chances.
Il relativise donc le rôle de l’École en matière d’inégalités sociales.

Conclusion :

En conclusion, le principe de l’égalité des chances promis par l'École démocratique connaît un bilan assez mitigé révélé par les données statistiques qui attestent d’inégalités scolaires elles-mêmes dues à des inégalités sociales.

Le processus d’inégalités scolaires en lien avec les inégalités économiques et sociales