« Art » est la deuxième pièce de Yasmina Reza, et la première représentation a eu lieu en octobre 1994, avec Pierre Vaneck, Fabrice Luchini et Pierre Arditi. La mise en scène était de Patrice Kerbrat. La pièce est reprise par la suite avec d’autres acteurs et part en tournée en France. Une nouvelle mise en scène, toujours par Patrice Kerbrat, renouvelle la pièce en 2018, cette fois-ci avec Charles Berling, Pierre Darroussin et Alain Fromager.
La pièce a été un grand succès et a reçu deux Molières en 1995. Elle a également été traduite en trente-cinq langues et jouée très largement dans le monde.
Marc : Ingénieur dans l’aéronautique, homme rationnel plutôt que de tempérament artiste, il a un point de vue sceptique et critique sur l’art contemporain. Il est ingénieur aéronautique et gagne bien sa vie. Serge : Dermatologue, il est assez fortuné pour acheter des œuvres d’art contemporain. Légèrement snob, il est sûr de lui et certain d’avoir raison. Yvan : Représentant dans une papeterie, il n’a pas le même train de vie que ses amis. Il est très nerveux parce qu’il va bientôt se marier. C’est un conciliateur, qui essaie de rapprocher les deux autres.
L’art : L’art contemporain, et l’art de manière générale, est bien sûr le grand thème de cette pièce. Se trouve mise en question l’idée de la valeur de l’art et la possibilité d’établir des critères d’évaluation : comment dire qu’une œuvre est réussie, lorsque le critère du beau n’est plus de mise ? Les guillemets du titre sont évidemment révélateurs.
Mais l’intérêt de la pièce est qu’elle attire notre attention également sur les discours au sujet de l’art. Ce qui est source de comique ici, ce sont les opinions sur l’art, qui apparaissent toutes comme autant de réactions stéréotypées. Chacune ayant par ailleurs sa vérité, leur opposition conflictuelle est inévitable : en matière d’art et de goût, il semble impossible de dépasser sa subjectivité.
L’amitié : La grande virtuosité des dialogues donne à l’ensemble un humour et une légèreté qui fait d’« Art » bien autre chose qu’une pièce philosophique. Derrière ces débats et querelles au sujet de l’art perce l’angoisse des personnages, renvoyés chacun à leurs tourments individuels et surtout à leur singularité. Alors que l’art devrait être une valeur universelle, il est ici ce qui enferme chacun dans ses propres perceptions et rend impossible ou en tout cas difficile le rapprochement avec les autres. Ce qui rend la situation à la fois tragique et soluble, c’est l’amitié des trois personnages. Par rapport à l’art, l’amitié propose une autre forme d’universalité qui, elle, prend en compte les singularités.
Serge aime beaucoup l’art moderne. Il achète un tableau 200 000 francs : une toile blanche avec des liserés blancs, et invite son ami Marc pour la regarder.
Marc est absolument atterré par cette acquisition, qu’il trouve totalement dépourvue d’intérêt : il ne comprend pas en quoi il s’agit d’une œuvre d’art. Sans se soucier de Serge, il tient de grands discours critiques, jusqu’à ce que son ami lui réplique et lui oppose une autre vision des choses.
Marc va alors trouver Yvan pour avoir son avis, mais celui-ci, préoccupé par son mariage, est peu intéressé par la question. Marc et Serge se mettent à se disputer vivement, et entraînent peu à peu Yvan dans leur querelle.
À force de se disputer sur l’art et l’art contemporain, les trois hommes élargissent le sujet de leur animosité. Serge dit ainsi à Marc qu’il n’aime pas la femme de celui-ci ; quant à Marc, il déclare à Yvan qu’il devrait annuler son mariage, qui est une erreur.
Marc et Serge se mettent à se battre. Mais les trois hommes tiennent avant tout à leur amitié, et ils décident alors de détruire le tableau pour préserver leur entente, ce qu’ils font. Ils vont ensuite manger tous ensemble. Après le repas, ils entreprennent de réparer le tableau.
« SERGE :
Je veux savoir ce que ce con a dit, merde !
YVAN : Vous voulez savoir ?…
(Il sort un bout de papier plié de la poche de sa veste.)
MARC :
Tu as pris des notes ?!
YVAN :
J’ai noté parce que c’est compliqué… Je vous lis ?
SERGE :
Lis.
YVAN :
"… Si je suis moi parce que je suis moi, et si tu es toi parce que tu es toi, je suis moi et tu es toi. Si, en revanche, je suis moi parce que tu es toi, et si tu es toi parce que je suis moi, alors je ne suis pas moi et tu n’es pas toi…"
(court silence)
MARC :
Tu le paies combien ?
YVAN :
Quatre cents francs la séance, deux fois par semaine.
MARC :
Joli.
SERGE :
Et en liquide. Car j’ai appris un truc, tu ne peux pas payer par chèque. Freud a dit, il faut que tu sentes les billets qui foutent le camp. »
« En réalité, je ne supporte plus aucun discours rationnel, tout ce qui a fait le monde, tout ce qui a été beau et grand dans ce monde n’est jamais né d’un discours rationnel. »« Tu as dit modernissime, comme si moderne était le nec plus ultra du compliment. Comme si parlant d’une chose, on ne pouvait pas dire plus haut, plus définitivement haut que moderne. »« Tu crois que j’aime les pochettes perforées, les rouleaux adhésifs, tu crois qu’un homme normal a envie, un jour, de vendre des chemises dos à soufflet ?!… Que veux-tu que je fasse ? J’ai fait le con jusqu’à quarante ans, ah bien sûr je t’amusais, j’amusais beaucoup mes amis avec mes conneries, mais le soir qui est seul comme un rat ? Qui rentre tout seul dans sa tanière le soir ? Le bouffon seul à crever qui allume tout ce qui parle et qui trouve sur le répondeur qui ? Sa mère. Sa mère et sa mère. »