Jean Bodel est un trouvère (poète et jongleur de la France du Nord) né vers 1165 et mort vers 1210 de la lèpre. Il a vécu à Arras, dans le Nord de la France. Il est l’auteur de chansons de geste et de fabliaux en ancien français. Il est également auteur de pastourelles (poèmes chantés) et d’une pièce de théâtre. Il était également membre d’une confrérie de jongleurs.
Brunain, la vache au prêtre est un fabliau satirique : il se moque et critique certains aspects de la société.
Le paysan / le vilain : null La femme du paysan : null Le curé / prêtre de la paroisse : null Blérain : La vache du paysan Brunain : La vache du prêtre
Le fabliau : Le fabliau est récit bref qui met en scène des personnages « classiques » : le paysan, le prêtre, le mari, le bourgeois… et leurs défauts : l’avarice, la tromperie, l’orgueil…
Il prend place dans un cadre réaliste (ce n’est pas un conte merveilleux).
Il se termine par une morale ou moralité, c’est-à-dire une leçon à retenir, un conseil de vie.
Pour ce fabliau, il y a plusieurs morales :
- c’est Dieu qui décide à qui appartient un bien ;
- seule la chance peut permettre d’obtenir autant ou de tout perdre si rapidement ;
- « Tel croit avancer qui recule », que l’on peut lire dans la morale, c’est l’équivalent de « Tel est pris qui croyait prendre » de La Fontaine.
Énonciation et schéma narratif : Jean Bodel est un trouvère : il raconte ses fabliaux à l’oral. Ils sont généralement chantés et contiennent des rimes. La transmission des textes se fait essentiellement à l’oral au Moyen Âge, la population ne sachant ni lire, ni écrire.
Le conteur est donc le narrateur, d’où une énonciation interne : « je », « vous », pour introduire l’histoire et pour conclure (morale).
Le cadre de la narration est réaliste : l’église, la maison, l’étable, le pré… Les actions s’enchainent de façon chronologique : - une situation initiale dans l’église ;
- un élément perturbateur lors du sermon du prêtre ;
- des péripéties avec les deux vaches ; *un élément de résolution quand Blérain rentre chez elle ;
- et une situation finale lorsque le paysan découvre les deux vaches ;
- la morale vient clore le récit par l’enseignement qu’il apporte, directement tiré du récit.
Le comique et la satire : La morale évoque d’une part Dieu et ses bienfaits et d’autre part, la chance. Un fabliau n’a pas pour but d’illustrer une morale religieuse ; aussi, elle est corrigée aussitôt. Elle a pour but de faire rire et de critiquer certains types de personnages et leurs défauts.
Dans la deuxième moitié du Moyen Âge, la satire est un genre très populaire, principalement dans la classe sociale des bourgeois à laquelle appartient Jean Bodel.
Le texte est divisé en 2 critiques :
la première concerne le clergé, à travers le personnage du prêtre : il symbolise la cupidité, le côté rusé, malin, celui qui abuse de la confiance de ses paroissiens. Il est « habile et intelligent » et ne cherche « qu’à s’emparer de richesses ». Il est celui qui a la connaissance : il sait généralement lire et écrire et il rend compte de la parole de Dieu. La religion est omniprésente dans la vie du peuple et il le sait, il en profite. Le texte invite donc à se méfier des prêtres et de leur sermon : ils savent utiliser leur verve et leur savoir pour leur propre profit, aux dépends des fidèles ;
l’autre aspect satirique du fabliau concerne le couple de vilains (paysans). Ils sont montrés comme des personnages naïfs, crédules. La phrase prononcée par le prêtre à leur sujet est ironique : « Si tous mes paroissiens étaient aussi sages que toi, j’aurais de nombreuses bêtes. » Le terme « sage » pourrait être remplacé par « naïf » voire « idiot ». Il se moque du vilain. De même, en voyant les deux vaches, le paysan pense vraiment que Dieu est intervenu en sa faveur.
Le curé du village, lors de son sermon, invite ses paroissiens à être généreux, Dieu rendant au double ce qui lui est donné.
Ayant entendu cela, un vilain propose à sa femme de donner au prêtre leur unique vache, Blérain. Celui-ci, rusé et pensant faire une belle affaire face à ce paysan, accepte et attache la vache avec la sienne nommée Brunain.
Mais Blérain ne veut pas rester attachée là et entraîne Brunain jusqu’à la demeure du vilain qui pense alors posséder deux vaches, comme si la volonté de Dieu s’était accomplie.
Ouverture du fabliau par le narrateur, conteur, trouvère :
« Je vais vous raconter l’histoire d’un vilain et de sa femme. »
L’objet du fabliau, autour duquel tournent l’histoire et la morale :
« Le curé vint faire son sermon. Il dit qu’il était bon de donner au Bon Dieu et que celui-ci rendait le double à qui donnait de bon cœur. »
Le curé est perçu comme un personnage rusé et malintentionné :
« Le vilain […] la [sa vache] présente à son curé. Celui-ci était fin et madré […]
‟Ami, tu viens d’agir sagement, répond le curé dom Constant qui toujours est d’humeur à prendre. Retourne en paix, tu as bien fait ton devoir. Si tous mes paroissiens étaient aussi sages que toi, j’aurais du bétail en abondance.” »
La naïveté comique du paysan :
« Ah ! dit-il alors, ma chère, il est vrai que Dieu donne au double. Blérain revient avec une autre. C’est une belle vache brune. Nous en avons donc deux au lieu d’une. Notre étable sera petite ! »
La morale :
« Par cet exemple, ce fabliau nous montre que fou est celui qui ne se résigne pas. Le bien est à celui qui Dieu le donne et non à celui qui le cache et l’enfouit. Nul ne doublera son avoir sans grande chance. C’est par chance que le vilain eut deux vaches, et le prêtre aucune. Tel croit avancer qui recule. »