Fiche de lecture
Calligrammes, Guillaume Apollinaire
Contexte

Ce recueil, sous-titré Poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916, comprend des poèmes écrits en temps de guerre. Apollinaire s’était engagé volontairement lors de la Première Guerre mondiale et avait pour cela entamé une procédure de naturalisation (il était alors de nationalité polonaise).
Si Apollinaire est l’inventeur du terme « calligramme », le genre existait avant lui. « Calligramme » est un mot valise contractant les mots « calligraphie », l’art de la belle écriture, et « idéogramme », qui désigne un signe représentant une idée. Il s’agit donc de poèmes dont la disposition des vers forme un dessin. Le poète reprend ici une vieille tradition poétique mais la modernise.

Thèmes

L’art visuel du calligramme : Outre les thèmes explicites du recueil, tels que la guerre, l’amour, les villes et la personne d’Apollinaire lui-même, Calligramme est particulièrement intéressant par le rapport qu’il tisse entre la poésie et les arts visuels. Le sens n’est pas uniquement celui de la phrase : l’association des mots, à la rime ou selon leur position sur la page, fait émerger d’autres significations. La poésie va ici au-delà des mots et de la seule langue, dans un éclatement moderne, qui ne cherche pas uniquement à décrire ou à raconter, mais également à évoquer des images et des sensations.
La peinture et la création : Apollinaire se montre ici très moderne et inspiré par la peinture de son époque. Si les tableaux cubistes procèdent par collages qui incluent des affiches, des extraits de journaux et des mots, Apollinaire fait le chemin inverse en introduisant la représentation graphique dans le monde des mots. Il se livre de plus à une grande inventivité, recourant non seulement au vers libres et au monostiche (strophe d’un seul vers), mais n’hésitant pas non plus à utiliser des néologismes, à commencer par celui de « calligramme ».

Résumé

Le recueil est composé de six parties qui entrecroisent quelques thèmes communs.

L’un des sujets récurrents est la guerre, et les liens qui « ligot[ent] les nations ». Tout le recueil est traversé par une description, parfois précise, de la guerre et de la vie de soldat, et par une évocation plus politique de la destruction et de l’ennemi.

Au motif de la guerre se mêle celui des jours heureux mais enfuis, des noms disparus, des amis aimés, des amours perdus, dans une mélancolie du temps qui détruit tout. Cette idée très souvent présente chez Apollinaire est ici explicitement rattachée à celle de la guerre, qui est la cause de ces disparitions. Le poème le plus emblématique de cette inspiration est certainement « La colombe poignardée et le jet d’eau ».

Mais Apollinaire explore également le plaisir poétique et gratuit du calligramme par de nombreuses descriptions. Il peut s’agit de descriptions d’objets, comme dans « La cravate et la montre », prétexte à une réflexion sur la fuite du temps. Mais on trouve aussi de nombreuses évocations de lieux, de paysages et de villes comme dans « Les fenêtres », qui évoque différentes villes, avec leurs tours et leurs jeunes filles marchant dans les rues ; ou bien avec « Paysage » qui, comme dans un tableau cubiste, représente une maison, un arbre, un cigare et un couple enlacé, sans qu’aucune de ces images n’ait de rapport explicite avec les autres.

Certains calligrammes réunissent, par leur représentation, le fond et la forme. Ainsi « La tour Eiffel », hommage à Paris en guerre, prend la forme de la tour du même nom. Un autre poème, en forme de cœur, évoque le cœur du poète « pareil à une flamme renversée ».

Certains poèmes sont d’inspiration autobiographique, soit qu’ils racontent effectivement des moments de la vie du poète, soit qu’ils retranscrivent des aventures plus ou moins imaginaires. On peut ainsi mentionner « C’est Lou qu’on la nommait », poème dédié à Lou, la femme qu’il aimait alors, ou bien « Lettre-Océan », souvenir de sa vie en Allemagne et d’un amour perdu, ou encore « Le musicien de Saint-Merry », dans lequel Apollinaire évoque des choses vues et des amours disparues.

Bien que ces thèmes se croisent tout au long du recueil, on peut néanmoins discerner une progression.

La première partie, « Ondes », est plus descriptive et figurative que les autres et se concentre moins sur les détails concrets de la guerre.

Les quatre parties suivantes, « Étendards », « Case d’Armons », « Lueurs des tirs » et « Obus couleur de lune » sont, au contraire, plus spécifiquement consacrées à la vie dans les tranchées et aux observations faites par Apollinaire lorsqu’il était soldat.

La dernière partie, « La tête étoilée », est toujours marquées par les images de la guerre mais contient l’idée du retour, réintroduit par exemple par le poème « L’avenir », qui ouvre vers l’après-guerre.

Le recueil se termine par « La jolie rousse », poème biographique qui commence par un bilan de la vie du poète et qu’il a écrit à son retour de guerre, alors qu’il était blessé :

« Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme ».

Citation

« Tous les souvenirs de naguère
Ô mes amis partis en guerre
Jaillissent vers le firmament
Et vos regards en l’eau dormant
Meurent mélancoliquement
Où sont-ils Braque et Max Jacob
Derain aux yeux gris comme l’aube »

« La colombe poignardée et le jet d’eau »

calligramme apollinaire


« Mais vois quelle douceur partout Paris comme une jeune fille S’éveille langoureusement Secoue sa longue chevelure Et chante sa belle chanson »

« Les collines »


« Salut monde dont je suis la langue éloquente que sa bouche Ô Paris tire et tirera toujours aux allemands »

« La tour Eiffel »

calligrammes apollinaire


« Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans le souvenir. c’est vous aussi qu’il pleut, merveilleuses rencontres de ma vie. ô gouttelettes ! et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout un univers de villes auriculaires écoute s’il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne musique écoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas. »

« Il pleut »

calligrammes apollinaire


« La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor Ma pensée te rejoint et le tienne la croise Tes seins sont les seuls obus que j’aime Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à pointer la nuit »

« Fusée »