Désert paraît en 1980 et connaît un bel accueil de la part de la critique littéraire qui le considère comme l’un des plus beaux romans de son époque.
Roman à la fois épique, romanesque, tragique, poétique et métaphysique, la richesse de Désert marque un moment décisif dans l’œuvre de Le Clézio.
Le roman retrace l’aventure collective des Touaregs qui apprennent peu à peu à faire face aux agressions du monde extérieur, comme celles des troupes de l’armée française lors de la colonisation du Sahara occidental au début du XXe siècle. L’ouvrage n’hésite pas à peindre les massacres et les tueries sauvages qui se déroulent pendant toute la durée de l’invasion de l’Occident.
Le désert devient alors l’autre côté du monde, que les nomades ont rejoint.
Nour : Nour, « la lumière » en arabe, est le protagoniste pieux et bon de la première histoire du roman (1909 et 1912). C’est l’arrière-petit-neveu du très respecté Al-Azraq (l’Homme Bleu), l’élu de dieu, faiseur de miracles qui enseigne la sagesse. Il fait partie des tribus de nomades, dits les « Hommes Bleus », qui vivent dans le désert. Lalla Hawa : C’est l’héroïne de la seconde histoire du roman. Cette jeune orpheline vit dans un bidonville en compagnie d’Aamma, sa tante paternelle, près d’une grande ville du sud marocain. Lalla signifie « Madame » en arabe. Enthousiaste, pleine de vie, elle est reconnue pour sa beauté. Ma el Aïnine : II incarne la figure du marabout des tribus insoumises qui refusent d’abdiquer devant les envahisseurs. Il est le symbole de la fidélité à la tradition, aux ancêtres et à la religion musulmane. Radiez : C’est un gitan qui subit la misère des grandes villes et auquel on a appris à mendier, à voler et à fuir. Il est l’ami de Lalla. Aamma : C’est la tante de Lalla qui a recueillie la jeune fille. Elle pense à ce que Lalla peut lui rapporter (socialement, financièrement). Naman : C’est un pêcheur, un homme bon que Lalla apprécie pour ses histoires merveilleuses (le dauphin, l’oiseau blanc). Elle aime par dessus tout ses yeux. Es Ser : C’est un personnage proche de Lalla. Es Ser, « le secret », est le nom qu’elle a donné à l’homme bleu qu’elle rencontre à la frontière du désert. Le Hartani : Il « n’est pas comme les autres garçons. Personne ne sait d’où il vient réellement ». Son surnom lui vient de sa peau noire. C’est un jeune berger muet, exclu de la société, qui vit dans le désert. C’est aussi l’un des meilleurs amis de Lalla. Plus tard, il découvre l’amour avec elle pendant leur fuite, et devient le père de son enfant. Le désert : Personne en soi et personnage principal du roman, il est ce lieu qui bourdonne et qui brûle. Il occupe la pensée de tous les personnages. Cet espace « lavé de la présence humaine » reçoit la visite des nomades, surtout depuis l’invasion de l’Occident.
L’amour et de l’amitié : L’amour est lié à une certaine pureté des sentiments. Il s’agit d’une communion spirituelle avant tout (le modèle de Lalla et Hartani). La bonté : Elle est l’une des valeurs du désert et des âmes simples. C’est, par exemple, la bonté de Lalla pour les pauvres, pour les mendiants et les clochards. La bonté semble liée à ceux qui connaissent la misère ou ceux qui se retrouvent face aux beautés simples de l’Afrique. Elle s’oppose à l’indifférence des villes. La nature et l’enfance : La nature est décrite sous plusieurs formes : mouvante comme la mer ou statique comme le désert. L’homme est heureux dans la nature tandis qu’il est malheureux dans la ville. La nature est aussi liée à l’enfance et à l’innocence : c’est l’espace sans limite. La ville : La ville est le lieu privilégié pour une vie misérable comme le peint le bidonville de Marseille. C’est le lieu propice au développement de la pauvreté, de la prostitution, de l’avilissement. L’homme y perd ses valeurs, sa fierté et sa liberté. La ville symbolise le mensonge, loin des rêves qu’elle peut créer sur les papiers glacés. Le regard : Il exprime la liberté. C’est le reflet de la vie intérieure, le miroir de l’âme. Le regard de Lalla s’oppose au regard mesquin de l’homme des villes. L’homme contemplatif, valorisé, aime regarder, imaginer et rêver. Le roman met en avant l’homme sensible.
Désert est l’histoire entrecroisée de deux destins : celui des « hommes bleus », qui doivent se confronter à l’expansion coloniale et qui sont massacrés par l’armée française; et celui, plus contemporain au roman, de la jeune Lalla qui connaît l’exil et l’enfer des villes européennes (avant de retourner vers sa seule patrie : le désert).
La structure du roman appuie cette double destinée entre l’Afrique et Marseille, le massacre des hommes bleus du désert par les Chrétiens et la misère contemporaine des immigrés, et deux enfants-héros. On trouve donc deux récits entrelacés.
La chronique de Nour, mis en page avec d’étroites colonnes, parle de l’extermination des hommes bleus du Sarah en 1909. Des Touaregs, qui marchent dans le désert à la recherche de l’eau, viennent voir le cheikh Ma el Aïnine qui lutte contre l’expansion coloniale des Chrétiens et qui rassemble des troupes à Smara, en plein désert. Les guerriers nomades finissent décimés par les automitrailleuses du colonel Mangin alors qu’ils remontent à Agadir en 1911.
Le récit de Lalla Hawa raconte sa vie de jeune orpheline élevée par sa tante. Elle descend des hommes bleus du désert. Aamma et le vieux pêcheur Naman lui parlent de ce temps révolu. Ils vivent aujourd’hui tous ensemble dans des bidonvilles. Lalla garde néanmoins en elle le souvenir ancien de sa tribu nomade, et elle sent l’appel du désert. Elle rencontre Hartani, un jeune berger muet.
Dans un premier temps, les villes modernes occidentales apparaissent comme attrayantes. Lalla en rêve. Mais le jour où un homme riche veut l’emmener avec lui, et face à l’intérêt de sa tante pour cet arrangement, Lalla fuit avec Hartani dans le désert.
Elle est retrouvée presque sans vie et enceinte d’Hartani. Elle part alors seule retrouver sa tante à Marseille. Par contraste avec les beautés simples qu’elle a jusqu’ici connues, le bidonville de Marseille lui révèle non pas la magie des papiers glacés dont elle rêvait mais la misère des villes européennes.
L’appel du désert persiste et elle finit par retourner dans son pays où elle accouche d’une petite fille au pied d’un puissant figuier.
« Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu’ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace.
Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune. Ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés, touchaient, l’horizon inaccessible. »« Quand ils sont arrivés sur le lit du fleuve, les sous-officiers commandant les mitrailleuses ont regardé le colonel Mangin qui avait levé le bras. Il a laissé passer les premiers cavaliers, puis, tout à coup, il a baissé son bras, et les canons d’acier ont commencé à tirer leur flot de balles, six cent à la minute, avec un bruit sinistre qui hachait l’air et résonnait dans toute la vallée, jusqu’aux montagnes. Est-ce que le temps existe, quand quelques minutes suffisent pour tuer mille hommes, mille chevaux ? »« C’est autour d’elle, à l’infini, le désert qui ondule et ondoie, les gerbes d’étincelles, les lentes vagues des dunes qui avancent vers l’inconnu.
Il y a des cités, de grandes villes blanches aux tours fines comme les troncs des palmiers, des palais rouges ornés de feuillage, de lianes, de fleurs géantes.
Il y a de grands lacs d’eau bleue comme le ciel, une eau si belle et si pure qu’il n’y en a nulle part ailleurs sur terre. »« Il ne parle pas. C’est-à-dire, qu’il ne parle pas le même langage que les hommes…
Peut-être qu’il parle avec le bruit léger du vent qui vient du fond de l’espace, ou bien avec le silence entre chaque souffle du vent. Peut-être qu’il parle avec les mots de la lumière, avec les mots qui explosent en gerbes d’étincelles sur les lames des pierres, les mots du sable, les mots des cailloux qui s’effritent en poudre dure, et aussi les mots des scorpions et des serpents qui laissent leurs traces légères dans la poussière. »