1664 est une année importante pour Jean de La Fontaine. Il quitte le service du ministre des finances Fouquet pour passer au service de la duchesse de Bouillon et de la duchesse douairière d’Orléans. En tant que gentilhomme, il peut donc accéder à la noblesse.
D’un point de vue littéraire, c’est aussi une époque charnière. En effet, les années 1664 à 1679 constituent une apogée dans sa carrière d’auteur et son arrivée est remarquée sur la scène littéraire. Il publie un grand nombre d’histoires courtes et de nouvelles, qui sont sa spécialité.
Nous sommes en pleine période classique (qui s’étend de 1660 à 1715) et La Fontaine va livrer avec ses Fables une des œuvres les plus représentatives de son temps. Ce n’était pas une évidence, tant le genre était réputé pour n’avoir qu’une utilité pédagogique, sans qualités littéraires.
Critique sociale et politique : La Fontaine est un homme de son temps. Du fait de sa position de noble courtisan, il est au cœur du pouvoir et donc à même de l’observer et de le critiquer. Le Lion (qui apparaît plus de trente fois dans le récit) représente donc le roi, toujours flatté par le renard, incarnation du courtisan opportuniste. Il évoque la vie du peuple dominé par la noblesse. Il s’agit donc de récits en phase avec l’actualité de l’époque. Morale et éducation : Le premier recueil est dédié au Dauphin (qui est âgé de trois ans à l’époque) ; son objectif est de montrer à celui que l’on imagine être le futur roi ce qu’est le monde et son fonctionnement (les tensions entre ville et campagne dans « Le Pot de terre et le Pot de fer » par exemple). Mais il faut aussi lui donner des repères moraux, lui transmettre vertus et valeurs (l’importance du labeur dans « La Cigale et la Fourmi », l’absurdité de l’injustice dans « Le Loup et l’Agneau »). Nature humaine : En tant que satiriste, La Fontaine ne peut que traiter des défauts et vices de ses congénères. Ainsi, la peur de la mort est au cœur de « La Mort et le Bûcheron ». On peut donc y voir une volonté de pointer du doigt certains traits de caractère pour mieux les changer. Philosophie : Le second recueil développe des réflexions philosophiques héritées des sources antiques utilisées par La Fontaine. Mais son travail l’amène à utiliser ses écrits pour diffuser sa vision des choses, sans qu’ils ne soient porteurs de dogmes. Ainsi, on trouve par exemple « Le Philosophe Scythe », qui mène une réflexion poussée sur le pouvoir. L’auteur se fait le porte-parole de la modération et de la parcimonie, au nom de la raison.
Au nombre de 243, les Fables sont originalement publiées en trois tomes, en 1668, 1679 et 1694. Le premier tome est dédié au Dauphin (Louis de France, fils aîné de Louis XIV), le second à madame de Montespan (maîtresse du roi) et le troisième à nouveau à Louis de France, désormais duc de Bourgogne.
Il s’agit, le plus souvent, de récits mettant en scène des animaux anthropomorphes (ayant des traits et caractéristiques humaines). Il y a toujours une morale, que ce soit en introduction ou pour conclure chaque récit. À ce sujet, La Fontaine expliquera : « je me sers d’animaux pour instruire les hommes ». Les sujets traités sont nombreux. La Fontaine tient le lecteur en éveil et le préserve de l’ennui.
Les Fables de La Fontaine puisent leur inspiration dans diverses sources. Tout d’abord, l’Antiquité gréco-romaine, avec des auteurs comme Ésope (qui pratiquait déjà ce format et à qui l’on doit « La Cigale et la Fourmi »), Horace, Phèdre ou Tite-Live, dont les écrits ont été traduits sous forme de nouvelles fables. On trouve aussi l’influence médiévale du Roman de Renart. Le second recueil à même ouvert la porte aux récits venus d’Inde. « Les Animaux malades de la peste » est ainsi inspiré d’une fable traduite du Pañchatantra (ou Livre d’instruction en cinq parties, recueil de contes et fables à visée éducative).
La première édition des Fables est illustrée par Chauveau et ses apprentis. Le genre se prête particulièrement à l’exercice car les fables reposant sur des images fortes, qui résument certains aspects de la nature humaine ou de la société. Un grand nombre d’illustrateurs de renom se pencheront également sur l’œuvre de La Fontaine: Grandville, Gustave Doré, Chagall…
« Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort ;
Ils font cesser de vivre avant que l’on soit mort. »
« Le Philosophe Scythe »« Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d’où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes. »
« La Mort et le Bûcheron »« Par ceux qui s’en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière »
« Le Lion Malade et le Renard »« L’avare rarement finit ses jours sans pleurs :
Il a le moins de part au trésor qu’il enserre,
Thésaurisant pour les voleurs,
Pour ses parents, ou pour la terre.
Mais que dire du troc que la Fortune fit ? »
« Le Trésor et les deux Hommes »