Humain, trop humain a été écrit dans un moment de crise : Nietzsche est alors en très mauvaise santé et des problèmes d’yeux le laissent presque aveugle. De cette maladie, Nietzsche tire une force particulière qui marque sa philosophie de la vie : la santé n’est pas l’absence de maladie mais la capacité à la surmonter. Ce livre, composé d’aphorismes plutôt que de longs traités discursifs, a pour sous-titre Un livre pour esprits libres : Nietzsche se veut un exemple d’un tel esprit libre.
L’esprit libre est celui qui dit non à la culture occidentale et notamment à l’idéalisme, celui qui refuse la morale et les conventions humaines. C’est par ce non préalable qu’on pourra ensuite dire oui à la vie, qui est pour Nietzsche la seule vraie valeur. L’esprit libre, qui refuse la culture, doit accepter d’être solitaire.
Nietzsche fait une analyse généalogiste de la morale : il cherche non pas la valeur des jugements moraux, mais leur origine. Il montre ainsi que les vrais objectifs de la morale ne sont pas moraux mais servent des motifs égoïstes. Pour la même raison, il se détourne de tout esprit religieux, la religion n’étant qu’un outil pour abaisser l’homme. De manière générale, c’est toute la métaphysique qui est rejetée.
Au contraire, le domaine esthétique est envisagé positivement. Mais Nietzsche déconstruit le mythe de l’artiste en génie créateur. Il montre que la création artistique passe avant tout par un travail patient et méthodique, par la rigueur et la réflexion. De manière générale, le génie, en tant que type humain fort et créateur, est brimé par la civilisation qui l’empêche de s’élever. Il y a dans toute civilisation une part angélique et une part diabolique, et le génie est celui qui parvient à les saisir et à les exprimer en même temps.
Dans Humain, trop humain, Nietzsche dessine avant tout sa conception de l’homme : l’humain reste toujours un animal, qui se croit important à tort, qui se pense noble alors qu’il est égoïste et intéressé. L’homme a une part irréductible de médiocrité et de faiblesse. Cependant, bien que Nietzsche cherche ainsi à débarrasser la culture de toute trace de romantisme, il montre aussi que l’homme est un être créateur, libre, fait pour la vie et la joie.
« “Là où vous voyez des choses idéales, moi, je vois des choses humaines, hélas ! trop humaines !” Je connais mieux l’homme. »