Il s’agit du dernier écrit achevé par le philosophe de son vivant. Alors installé pour quelques mois dans la campagne provençale, à proximité d’Aix-en-Provence au Tholonet, il goûte le plaisir de ce lieu, profitant chaque jour des paysages et réinterrogeant la vision en même temps que la peinture. Ce texte est écrit un an après Le Visible et l’Invisible et reprend les mêmes questions. Le titre n’indique pas une dichotomie entre l’esprit et le corps : au contraire, le phénoménologue procède à une réhabilitation de la pensée par le corps. C’est une nouvelle vision de l’esthétique que Merleau-Ponty propose dans cet ouvrage.
Dans cet ouvrage, Merleau-Ponty prête une attention aux diverses formes d’arts, qu’ils soient visuels, plastiques, littéraires ou poétiques. Mais cette attention n’est pas liée à un questionnement sur le beau, ou l’essence du beau. À la différence de Kant et Hegel, le philosophe évoque des artistes et des œuvres. Il ne part pas de concepts philosophiques mais du travail des artistes. Merleau-Ponty propose un « retour aux choses » selon les mots de Husserl, à travers la vision et en particulier celle du peintre. Pour lui, « la science manipule les choses et renonce à les habiter ». En tant qu’art visuel, la peinture ouvre au monde vécu et intérieur, elle ouvre au réel. Cet ouvrage peut être considéré comme une méditation sur le corps et sur la perception qui se fait en lui-même. Là où la pensée échoue à saisir le monde sensible malgré ses efforts, la vision déploie cette capacité de rejoindre et de capter le monde immédiatement. Les sens sont ce par quoi le monde s’offre à moi, par l’ouïe, le sentir, le toucher ou la vision. Merleau-Ponty s’intéresse plus particulièrement à cette dernière, car à travers elle, le monde entre en nous, mais grâce à elle, nous sommes également dans les choses. En cela, le philosophe dépasse l’idéalisme cartésien pour redéfinir la vision en rapport non plus avec la pensée mais avec le corps.
« L'énigme tient en ceci que mon corps est à la fois voyant et visible. […] Visible et mobile, mon corps est au nombre des choses, il est l'une d'elles, il est pris dans le tissu du monde […]. Mais puisqu'il voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe ou un prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chair, et le monde est fait de l'étoffe même du corps. »