L’Utopie emprunte à la fois à la philosophie, à la Bible et la Kabbale et aux récits de grands voyageurs, ce qui en fait un ouvrage très caractéristique de l’humanisme.
Le livre II a été écrit en 1510 comme un écho à l’Éloge de la folie d’Érasme, qui était un ami de More et qui lui a demandé d’ajouter ce qui constituera le livre I. Les deux livres forment un pamphlet contre la société de l’époque, mais aussi la proposition d’un autre modèle social et politique. Le début du capitalisme en Angleterre, ainsi que la privatisation des espaces agricoles jusque-là communs, avaient en effet plongé dans la misère une partie de la population.
Le récit de voyage : L’Utopie constitue d’abord une fiction littéraire, un récit de voyage imaginaire et merveilleux. Reprenant toute une tradition, Thomas More s’amuse à inventer non seulement une topographie mais aussi les détails d’une culture, jusqu’à sa langue et son alphabet. Il y a ainsi un jeu avec les codes des récits de voyage de l’époque, qui transcrivaient les découvertes de territoires nouveaux, tout en maintenant assez nettement la dimension fictionnelle de cette description : le lecteur sait qu’il lit un texte fonctionnant comme un récit de voyage, mais il sait également qu’il s’agit d’une invention de toute pièce. La critique de la société et la proposition d’une alternative : C’est cette dimension fictionnelle située sur une terre lointaine qui permet d’opérer un double geste : tout d’abord la critique de la société actuelle, ensuite la description d’un monde idéal. L’ordre des parties est très significatif et indique sans doute l’intention de Thomas More : il s’agit tout d’abord de montrer combien les sociétés européennes, et particulièrement la société anglaise, sont perverties.
Quant au monde d’Utopie, il présente des traits qui se veulent radicalement différents. La société décrite par More essaie dépasser tout principe individualiste et de proposer une conception communautaire de la société. Mais il s’agit moins d’une conception collectiviste que d’une volonté presque spirituelle de purifier et racheter une société. On ne peut cependant s’empêcher de remarquer qu’elle contient déjà des marques de totalitarisme.
Préface
Préface
Dans une lettre, Thomas More dédie son livre à Pierre Gilles, secrétaire de la ville d’Anvers, et joint une carte de l’île d’Utopie ainsi que l’alphabet de cette civilisation.
Livre I : dystopie
Livre I : dystopie
Pour donner une impression de réalité, Thomas More se met en scène échangeant des lettres avec quelques personnalités de l’époque. Cette correspondance donne à voir l’alphabet utopien ainsi que des échantillons de la poésie utopienne.
Mais c’est une série de conversations avec le navigateur Raphaël Hythlodée qui permet véritablement d’entrer dans le vif du sujet. Hythlodée, en décrivant les maladies morales et sociales qui atteignent l’Europe, dessine une véritable contre-utopie, ce qu’on appelle une dystopie : l’envers d’un modèle idéal.
Il fait la critique des lois pénales terriblement sévères, de l’esprit guerrier des princes, du goût pour l’argent des soldats, et de manière générale d’une gestion égoïste de l’économie.
Livre II : utopie
Livre II : utopie
La deuxième partie est un récit de voyage imaginaire de Hythlodée dans le « pays de nulle part », utopie signifiant en effet « sans lieu ».
L’île d’Utopie est située dans le Nouveau monde et formait au départ une péninsule ; mais le fondateur d’Utopie a ordonné de séparer l’île des terres voisines.
Utopie comprend 54 villes, chacune séparée en quatre parties. Amaurot en est la capitale. Les villes sont de taille modeste.
La démographie est régulée grâce à des colonies qui permettent d’éponger une éventuelle surpopulation.
La société d’Utopie ne connaît pas la propriété privée et tous les biens sont mis en commun. Il n’y a pas de serrure aux portes et les habitants échangent régulièrement leur logement.
L’agriculture est la base de l’économie, chacun devant avoir vécu et travaillé à la campagne. Mais chacun doit également apprendre au moins un artisanat.
Tous les habitants travaillent, mais le temps de travail peut n’être que de six heures par jour.
L’esclavage est en vigueur à Utopie, chaque foyer possédant deux esclaves. Il s’agit soit de criminels utopiens, soit de prisonniers d’autres pays. Les esclaves sont libérés lorsqu’ils se conduisent bien.
Utopie propose une politique d’aide sociale et des hôpitaux gratuits. Les repas sont pris en commun.
Pour voyager sur l’île, les habitants doivent avoir un passeport intérieur.
« Il existe une foule de nobles qui passent leur vie à ne rien faire, frelons nourris du labeur d’autrui, et qui, de plus, pour accroitre leurs revenus, tondent jusqu’au vif les métayers de leurs terres. Ils ne conçoivent pas d’autre façon de faire des économies, prodigues pour tout le reste jusqu’à se réduire à la mendicité. Ils trainent de plus avec eux des escortes de fainéants qui n’ont jamais appris aucun métier capable de leur donner leur pain. »« Est-il, en effet, de plus belle richesse que de vivre joyeux et tranquille, sans inquiétude ni souci ? »« Un roi qui aurait soulevé la haine et le mépris des citoyens, et dont le gouvernement ne pourrait se maintenir que par la vexation, le pillage, la confiscation et la mendicité universelle devrait descendre du trône et déposer le pouvoir suprême. »« Un vol simple n’est pas un crime si grand qu’on doive le payer de la vie. D’autre part aucune peine ne réussira à empêcher de voler ceux qui n’ont aucun autre moyen de se procurer de quoi vivre. Votre peuple et la plupart des autres me paraissent agir en cela comme ces mauvais maîtres qui s’occupent à battre leurs élèves plutôt qu’à les instruire. On décrète contre le voleur des peines dures et terribles alors qu’on ferait mieux de lui chercher des moyens de vivre, afin que personne ne soit dans la cruelle nécessité de voler d’abord et ensuite d’être pendu. »