Le Docteur Pascal est le dernier tome des Rougon-Macquart et se déroule après la chute du second Empire, marquant ainsi la fin d’une période historique qui servait de cadre à l’ensemble de cette vaste fresque. L’importance de ce roman vient de ce qu’il apporte une conclusion au cycle des Rougon-Macquart, non seulement en terminant l’œuvre, mais aussi en en proposant une interprétation. On peut donc lire ce roman comme le témoignage direct de l’intention de Zola, une intention à la fois littéraire, esthétique et scientifique. C’est en effet la réunion de ces différentes sphères qui caractérise le projet que Zola a voulu porter avec les Rougon-Macquart.
Pascal Rougon : Médecin, il est convaincu du bien-fondé de la science et voudrait voir l’humanité progresser et se débarrasser de son ignorance. Félicité Puech : La mère de Pascal. Elle craint pour la réputation de la famille. Clotilde : La nièce de Pascal. Celui-ci la fait venir pour vivre avec lui lorsqu’elle n’a que sept ans. Il veut l’arracher à son milieu afin de déterminer quelle influence domine, celle du milieu et celle de l’hérédité.
La science et l’obscurantisme : Ce dernier volume des Rougon-Macquart s’intéresse plus particulièrement à la science et à la médecine, et rendent compte de l’opinion de Zola sur le sujet : Pascal est avant tout son porte-parole.
Celui-ci croit en effet que la science peut améliorer l’humanité et l’éloigner de ses vices et de ses dégénérescences. Cette position rationnelle et optimiste est présentée en opposition avec la figure de la mère. Le roman est construit sur une série d’antithèses qui confrontent la science et la religion, la vérité et le mensonge, le savoir et l’apparence. En effet, Félicité ne s’intéresse pas à la réalité des schéma familiaux mais à l’image que les autres en auront. Ce qui compte pour elle n’est pas la réalité mais la respectabilité, quitte à ce que celle-ci entre en contradiction avec la vérité. Il vaut mieux détruire la vérité que la laisser se propager, si celle-ci ne lui convient pas. Ce sont donc deux figures bien plus larges que celle d’une mère et de son fils qui s’opposent ici : celle de la rationalité et de l’obscurantisme, que Zola présente comme un éternel combat.
Un héros proche de Zola : Mais l’intérêt de ce roman tient aussi au rapprochement entre le discours scientifique et le roman, qui n’est plus considéré comme un simple divertissement. La science n’entre pas en contradiction avec l’imagination poétique, mais au contraire, l’un peut servir l’autre.
La foi que Pascal professe dans la théorie de l’hérédité, à laquelle Zola croyait aussi, permet de voir dans ce roman une astucieuse mise en abyme. En effet, Pascal et Zola se rejoignent non seulement par leurs convictions mais aussi par leur travail : les dossiers qu’élabore Pascal sont ceux que Zola utilisait pour construire son récit. L’expérimentation de Pascal, qui a lieu au niveau de sa réalité familiale, est la même que celle de Zola, qui prend comme objet d’étude des personnages fictionnels.
Ce parallèle rend d’autant plus important la position du Docteur Pascal à la fin du cycle des Rougon-Macquart, dont il apporte l’interprétation finale.
Pascal Rougon vit à Plassans, dans une maison appelée La Souleiade. Fils de Pierre Rougon et de Félicité Puech, il a mené une vie tranquille, contrairement à ses frères Eugène et Aristide. Il s’est consacré à la recherche et à la médecine, et son rêve était d’éradiquer les maux de l’humanité. Il a maintenant 59 ans et se passionne pour les théories de l’hérédité. Afin d’étudier ce domaine, il prend sa famille comme sujet de recherche et élabore un dossier pour chaque membre du clan. Il dresse méticuleusement l’arbre généalogique de la famille et essaie d’expliquer les comportements et tendances récurrentes par l’hérédité.
Sa mère ne supporte pas cette accumulation de détails sordides qui nuisent à la réputation de la famille et elle rêve de tout détruire. Elle persuade Martine, la servante de Pascal, et Clotilde, sa nièce, de lui venir en aide.
Mais Pascal garde l’œil sur ses dossiers et archives, et il protège ce trésor de science et de rigueur contre les trois femmes. Une nuit, Clotilde parvient à lui prendre la clef de l’armoire et à l’ouvrir, mais Pascal intervient à temps pour l’empêcher de dérober les documents. Il lui révèle alors l’objet de ses recherches : la plupart des membres de la famille connaissent une destinée terrible et sont rattrapés par des maux qui atteignaient déjà leurs ancêtres.
Pascal est tombé malade. Il croit être rattrapé par son hérédité et menacé de mort. Clotilde le soigne avec dévouement et cette activité le rapproche de son oncle : elle se détourne de la religion, alors qu’elle était très dévote, et prend peu à peu le parti scientifique de son oncle.
Une fois guéri, Pascal se rend compte qu’il est amoureux de sa nièce. Ne supportant pas ce sentiment incestueux, il essaie de la pousser dans les bras de l’un de ses amis. Mais Clotilde ne veut pas épouser cet homme et elle avoue son amour à Pascal. Pascal et Clotilde deviennent amants. Leur amour est intense et leur bonheur au plus haut lorsque Pascal perd presque toute sa fortune à cause de la mauvaise gestion d’un notaire peu honnête. Il doit se séparer de Clotilde et accepter qu’elle parte à Paris, où elle doit soigner son frère Maxime.
Pascal ne se remet pas de cette séparation et il meurt quelques semaines après le départ de Clotilde. Il apprend que la jeune femme est enceinte mais meurt avant d’avoir pu la revoir.
Après sa mort, sa mère, aidée de Martine, brule l’ensemble de ses dossiers, ne laissant subsister que l’arbre généalogique.
Les dernières lignes du roman décrivent Clotilde qui, souriante et pleine de vie, donne le sein à son enfant.
« - Ah ! reprit-il, en montrant encore d’un geste les dossiers, c’est un monde, une société et une civilisation, et la vie entière est là, avec ses manifestations bonnes et mauvaises, dans le feu et le travail de forge qui emporte tout… Oui, notre famille pourrait, aujourd’hui, suffire d’exemple à la science, dont l’espoir est de fixer un jour, mathématiquement, les lois des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d’une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms de vertus et de vices. Et elle est aussi un document d’histoire, elle raconte le second empire, du coup d’État à Sedan, car les nôtres sont partis du peuple, se sont répandus parmi toute la société contemporaine, ont envahi toutes les situations, emportés par le débordement des appétits, par cette impulsion essentiellement moderne, ce coup de fouet qui jette aux jouissances les basses classes, en marche à travers le corps social… Les origines, je te les ai dites : elles sont parties de Plassans ; et nous voici à Plassans encore, au point d’arrivée. »« Pourtant, il doutait de l’atavisme, son opinion était, malgré un exemple singulier pris dans sa propre famille, que la ressemblance, au bout de deux ou trois générations, doit sombrer, en raison des accidents, des interventions, des mille combinaisons possibles. Il y avait donc là un perpétuel devenir, une transformation constante dans cet effort communiqué, cette puissance transmise, cet ébranlement qui souffle la vie à la matière et qui est toute la vie. Et des questions multiples se posaient. Existait-il un progrès physique et intellectuel à travers les âges ? Le cerveau, au contact des sciences grandissantes, s’amplifiait-il ? Pouvait-on espérer, à la longue, une plus grande somme de raison et de bonheur ? »« Lui, suffoqué par l’émotion, l’avait suivie dans sa chambre ; et, comme elle n’était plus qu’en jupon, les bras nus, les épaules nues, il affecta de remarquer quelque chose à son cou.
- Tiens ! qu’est-ce que tu as donc là ? Fais voir.
Il cachait le collier dans sa main, il parvint à le lui mettre, en feignant de promener ses doigts, pour s’assurer qu’elle n’avait rien. Mais elle se débattait, gaiement.
- Finis donc ! Je sais bien qu’il n’y a rien… Voyons, qu’est-ce que tu trafiques, qu’est-ce que tu as qui me chatouille ?
D’une étreinte, il la saisit, il la mena devant la grande psyché, où elle se vit toute. À son cou, la mince chaîne n’était qu’un fil d’or, et elle aperçut les sept perles comme des étoiles laiteuses, nées là et doucement luisantes sur la soie de sa peau. C’était enfantin et délicieux. Tout de suite, elle eut un rire charmé, un roucoulement de colombe coquette qui se rengorge. »« Et, dans le tiède silence, dans la paix solitaire de la salle de travail, Clotilde souriait à l’enfant qui tétait toujours, son petit bras en l’air, tout droit, tout dressé comme un drapeau d’appel à la vie. »