Le Menteur est une pièce jouée pour la première fois en 1644 au théâtre du Marais. Le public, surtout des bourgeois et des aristocrates, est tout de suite conquis. Cela faisait huit ans que Corneille n’avait pas offert une comédie, et les spectateurs commençaient à s’impatienter. Le succès est tel qu’il écrit immédiatement après La Suite du menteur.
En 1643, au moment où il écrit Le Menteur, Corneille est une célébrité. Il bénéficie de la protection du cardinal Mazarin, qui lui offre une pension pour lui permettre d’écrire ses tragédies et ses comédies à sa guise. La tragi-comédie du Cid, écrite en 1637, avait été un véritable triomphe.
Avec Le Menteur, Corneille invente un genre de comédie très éloigné de la Commedia dell’arte et de la farce. Il n’aime pas le rire gras, trop franc et incontrôlé. Son public, qui est issu des classes dominantes de la société, non plus. Sa pièce est donc une comédie raffinée, tout en délicatesse.
Au début du dix-septième siècle, la tradition veut que le théâtre français s’inspire des œuvres des dramaturges du « Siècle d’or » espagnol. En l’occurrence, Le Menteur est une adaptation de La Verdad sospechosa de Ruiz de Alarcón, que Corneille adapte pour le public parisien. L’ambiance est très française et le dénouement n’est pas le même que dans la pièce originale.
Dorante : Jeune homme charmeur, c’est un étudiant de province qui n’assume pas son petit statut social. Il est le fameux « menteur » de la pièce. Géronte : Père de Dorante, il tient absolument à marier son fils. Contrairement à de nombreuses pièces classiques qui mettent en scène un père autoritaire, celui-ci n’est pas un personnage trop borné. Il se révèle même plutôt clément à l’égard de son fils. Cliton : Le valet rusé de Dorante. Il est indispensable au public pour lui permettre de comprendre ce qui se passe sur scène. Il offre la conclusion morale de la pièce. Alcippe : Amant de Clarice, il est profondément jaloux de Dorante, son rival. Philiste : Ami et confident à la fois de Dorante et d’Alcippe. Grâce à lui les tensions entre les personnages sont parfois apaisées. Clarice : Jeune femme de bonne société, elle est la maîtresse d’Alcippe, mais est promise en mariage à Dorante. Avec Lucrèce, elle est au cœur des machinations séductrices de Dorante, mais n’hésite pas non plus à jouer avec la vérité, notamment en ce qui concerne son identité. Lucrèce : Coquette jeune femme, amie de Clarice, avec laquelle Dorante réussit finalement à se marier. Elle est séductrice autant qu’elle est intelligente puisqu’elle évite certains pièges tendus par les menteurs autour d’elle. Isabelle : Suivante et confidente de Clarice. Sabine : Femme de chambre et confidente de Lucrèce. Lycas : Le valet d’Alcippe, qui n’a qu’une seule réplique.
Le badinage amoureux : Comme il est d’usage dans les comédies, la question de l’amour et du mariage est au cœur de l’intrigue. Dès le premier acte, le spectateur assiste au jeu des amoureux qui implique bavardages et vantardises. Clarice est tout aussi habile que Dorante dans le maniement de la parole et place comme lui la question de ses sentiments au centre de ses préoccupations. Au dix-septième siècle, l’art de la conversation et de la galanterie se déploie dans les salons, mais trouve son plein épanchement sur une scène de théâtre. La tromperie : Comme l’indique le titre de la pièce, le mensonge tient une place centrale dans les cinq actes. Tout est affaire de faux-semblants, de quiproquos et de duperies. Dorante ment pour se faire bien voir de la société, pour séduire, pour se marier avec qui il veut, pour se sortir d’autres mensonges, etc. Lucrèce et Clarice mentent pour se venger d’un premier mensonge, pour trouver la vérité chez quelqu’un, pour s’amuser, etc. Bref, toute l’intrigue articule les mensonges sur les mensonges, mais il n’est pas franchement question de les condamner. Corneille veut surtout montrer la comédie sociale, le monde d’illusions dans lequel nous vivons. Le mensonge apparaît même comme ce qui définirait notre façon d’être. La jeunesse et l’ambition : Le spectateur suit les péripéties d’êtres frivoles. Même s’ils sont des adultes, ils se comportent comme des enfants avides de jeux et d’aventures. Ils s’amusent, mangent et se promènent, loin des soucis du peuple. Cette sociologie est typique de la comédie classique. Les personnages principaux visent à satisfaire à la fois à leurs préférences amoureuses et leurs ambitions sociales, car avec le mariage ils entrent dans l’âge adulte.
Acte I
Acte I
Aux Tuileries, Dorante explique à Cliton qu’il veut devenir un vrai Parisien. Il arrive tout droit de Poitiers, et ne veut pas passer pour un simple étudiant de province. Il cherche à se faire une place, et cela passe notamment par un bon mariage. C’est alors que les deux hommes rencontrent deux jeunes femmes : Clarice et Lucrèce. Dorante entreprend de séduire Clarice, qu’il croit être Lucrèce. Pour se faire, il recourt à mille mensonges. Il se présente notamment comme un grand chevalier ayant accompli des actes héroïques en Allemagne.
Acte II
Acte II
Géronte veut marier son fils à Clarice, et commence à organiser le mariage. Or, Dorante croit que Clarice est Lucrèce, et Clarice ne sait pas qu’elle a déjà rencontré Dorante. Le trouble au sujet de l’identité des deux jeunes femmes est de plus en plus intense. Alcippe est ouvertement jaloux, car il aime Clarice. Un duel est donc annoncé entre les deux rivaux. Cependant, Dorante ne veut pas se marier avec Clarice. Il prétend devant son père qu’il s’est déjà marié à Poitiers.
Acte III
Acte III
Philiste intervient et empêche le duel. Il recourt à de nouveaux mensonges pour calmer la colère d’Alcippe. Clarice est furieuse quand elle découvre que Dorante est le jeune homme menteur qu’elle a rencontré dans le jardin des Tuileries. Elle veut absolument le démasquer. En effet, elle croit encore qu’il est déjà marié.
Acte IV
Acte IV
Dorante multiplie les mensonges absurdes pour essayer de justifier tous ses anciens mensonges. Le spectateur le voit même mentir à Cliton, qui est son plus fidèle allié depuis le début. Clarice et Lucrèce sont jalouses l’une de l’autre, car il apparaît clairement que Dorante aime plutôt Lucrèce et que cette dernière l’aime aussi.
Acte V
Acte V
Géronte découvre la série de mensonges, et son fils est forcé de tout reconnaître. La colère de Géronte éclate, mais il se radoucit. Apprenant que Dorante aime en réalité Lucrèce, il va demander la main de la jeune fille pour lui. Quand Dorante comprend que les identités des deux femmes étaient échangées depuis le début, il prétend qu’en fait il avait maîtrisé le cours des événements. Il va finalement se marier avec Lucrèce. En dernière réplique, Cliton explique en quoi mentir est art que son maître, un modèle en la matière, maîtrise parfaitement.
« CLARICE
Quoi ! Vous avez donc vu l’Allemagne et la guerre ?
DORANTE
Je m’y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre.
CLITON
Que lui va-t-il conter ?
DORANTE
Et durant ces quatre ans
Il ne s’est fait combats, ni sièges importants,
Nos armes n’ont jamais remporté de victoire,
Où cette main n’ait eu bonne part à la gloire,
Et même la gazette a souvent divulgué…
CLITON, le tirant par la basque :
Savez-vous bien, monsieur, que vous extravaguez ?
DORANTE
Tais-toi.
CLITON
Vous rêvez, dis-je, ou…
DORANTE
Tais-toi, misérable.
CLITON
Vous venez de Poitiers, ou je me donne au diable,
Vous en revîntes hier. »
Acte I, Scène 3
« CLARICE
Mais pour le voir ainsi qu’en pourrai-je juger ?
J’en verrai le dehors, la mine, l’apparence,
Mais du reste, Isabelle, où prendre l’assurance ?
Le dedans paraît mal en ces miroirs flatteurs,
Les visages souvent sont de doux imposteurs,
Que de défauts d’esprit se couvrent de leurs grâces !
Et que de beaux semblants cachent des âmes basses ! »
Acte II, Scène 2
« LUCRÈCE
[…]
Était-ce amour alors, ou curiosité ?
CLARICE
Curiosité pure, avec dessein de rire
De tous les compliments qu’il aurait pu me dire.
LUCRÈCE
Je fais de ce billet même chose à mon tour,
Je l’ai pris, je l’ai lu, mais le tout sans amour,
Curiosité pure, avec dessein de rire,
De tous les compliments qu’il aurait pu m’écrire.
CLARICE
Ce sont deux que de lire, et d’avoir écouté,
L’un est grande faveur, l’autre, civilité ;
Mais trouves-y ton compte, et j’en serai ravie,
En l’état où je suis j’en parle sans envie.
LUCRÈCE
Sabine lui dira que je l’ai déchiré.
CLARICE
Nul avantage ainsi n’en peut être tiré,
Tu n’es que curieuse. »
Acte IV, Scène 9