Fiche de lecture
Les Clients du Bon Chien Jaune, Pierre Mac Orlan
Contexte

Mac Orlan a 44 ans lorsqu’il écrit Les Clients du Bon Chien Jaune, et après une existence assez précaire et désargentée, il a entrepris de vivre de sa plume. Il a alors publié de très nombreux articles et quelques livres, dont Le Chant de l’équipage qui a eu un petit succès littéraire. Il n’est pas pour autant un écrivain en vue, et son style n’est pas encore affirmé.

À partir des années 1920, il explore le récit d’aventure, qui est d’abord pour lui un moyen de gagner de l’argent, dont il a toujours un pressant besoin. Mais ces récits correspondent aussi à un goût fortement ancré en lui pour l’errance et l’aventure.

Bien que Les Clients du Bon Chien Jaune se déroule à la fin du XVIIIe siècle, on y retrouve quelques éléments autobiographiques. Ainsi, Mac Orlan a été confié par son père à un oncle maternel qui lui mena la vie difficile. Il a mené dès ses dix-sept ans une vie de bohème, et fréquenté des bars à matelots à Rouen et des repaires de la demi-pègre (mafia) à Paris. Ces rencontres inspirent la galerie de personnages marginaux et louches qui peuplent ce roman.

Son autre source d’inspiration est L’Île au trésor de Stevenson, modèle du récit de pirates dont Mac Orlan reprend également l’univers sombre et violent. Mais Mac Orlan écrit pour la jeunesse, aussi, Les Clients du Bon Chien Jaune se termine au dernier moment par un dénouement heureux. Cependant, cet apparent optimisme n’efface pas la noirceur de ses descriptions, l’obsession de la mort et la cruauté des rapports entre les hommes.

Personnages

Louis-Marie Benic : Le héros de ce récit d’aventure, est un tout jeune garçon de quatorze ans, déjà grand et fort, caractérisé par une chevelure rousse. Sa grande curiosité s’accompagne d’un bon sens de l’observation : rien de lui échappe. Il est également d’un très grand courage.
Nicolas Benic : C’est l’oncle de Louis-Marie. Il tient le cabaret du Bon Chien Jaune. Personnage haut en couleur, parlant un argot assez cru, il fréquente des individus peu recommandables. Lui-même est aussi louche que ses clients.
Virmoutiers : Virmoutiers est un bagnard évadé que Louis-Marie a rencontré à Brest. Personnage plus complexe que les autres pirates, il s’est lié d’amitié avec le jeune héros. Son passé est mystérieux.
Mathieu Miles : Mathieu Miles est le capitaine des pirates. Personnage caricatural, il est violent et cruel, pratique une justice expéditive et est avide d’or et d’argent.

Thèmes

La misère : Avant de partir à l’aventure, Louis-Marie est confronté à l’existence misérable de toute une population des environs de Brest. En effet, l’auberge de son oncle est installée près d’un bagne où les conditions de vie sont particulièrement difficiles. La peste sévit dans la région, et les bagnards sont chargés de nettoyer la ville, au risque de contracter la maladie. La pauvreté la plus noire côtoie la richesse la plus voyante.
La marginalité : C’est également tout un monde de marginaux qui est décrit ici. Les gardiens du bagne sont tout aussi malhonnêtes que les pirates, et l’oncle se livre à différents trafics. Mac Orlan retranscrit l’argot (langage vulgaire) de ces personnages louches, ce qui donne beaucoup de vie à son écriture.
L’aventure : L’aventure est également un grand thème de ce roman écrit pour la jeunesse. Mais bien que la peur et le suspens en soient des ingrédients, Mac Orlan renouvelle le genre en insistant sur l’ennui qui caractérise la vie sur le bateau. Les pirates errent par les mers, attendent, se cachent, et les épisodes de combat ne sont jamais épiques.
La mauvaise conscience : Le héros est dominé par la mauvaise conscience autant que par l’esprit d’aventure. Il a vu le sang couler et les morts s’accumuler. Il se rend compte que cette existence est stérile : mais bien qu’il n’y ait rien à y gagner, il est impossible de fuir. Comme le rappelle la référence au Hollandais volant, les pirates sont contraints de mener une existence de damnés. La rédemption ne sera possible que pour le héros.

Résumé

Dans un village de Bretagne, en 1756, Louis-Marie Benic se retrouve orphelin à 14 ans. Il décide d’aller près de Brest, à Kéravel, où un oncle qu’il ne connaît pas tient un cabaret appelé au « Bon Chien jaune ». Son oncle accepte de le prendre à son service.

Louis-Marie surprend une conversation entre son oncle et un individu qui lui semble louche, surnommé « Pain Noir ». Le jeune homme comprend que son oncle est lié à une bande de pirate qui sévit entre la France et l’Angleterre.

Curieux et épris d’aventure, Louis-Marie embarque en cachette sur le bateau des pirates. Rapidement découvert, il est cependant bien accepté par les pirates qui admirent son courage. De plus, l’un d’eux est l’ancien forçat Virmoutiers, avec lequel il s’était lié d’amitié à Kéravel.

La technique des pirates est originale : le bateau est peint en noir et blanc, les hommes se déguisent en squelettes, ils font flotter un drapeau de pirates et rebaptisent le navire Le Hollandais Volant. Les équipages qu’ils croisent sont ainsi terrorisés.

Louis-Marie découvre avec désillusion la vie à bord : plutôt qu’une existence d’aventure, les journées sont dominées par l’ennui. Il essaie de s’enfuir mais n’y parvient pas.

Le chef des pirates, Mathieu Miles, leur fait capturer un navire marchand français dont l’équipage succombe à l’assaut. Un grand navire espagnol arrive à ce moment-là. Pour s’en protéger, Mathieu Miles fait charger à bord les cadavres français et ordonne à ses hommes de s’allonger parmi eux sans bouger. La ruse fonctionne, l’équipage espagnol croit passer près d’un bateau décimé.

Les pirates sont heureux de ce succès, mais alors qu’ils s’apprêtent à fêter leur réussite, le cadavre d’une jeune femme bouge, se lève et prend la barre du bateau. D’autres cadavres se lèvent à leur tour. Les pirates sont terrorisés. Puis ils comprennent la supercherie : ces hommes jouaient les morts et sont en réalité des soldats chargés de les capturer. La jeune femme qui dirige le bateau est la chevalière de Kergoez et c’est elle qui a mené cette expédition contre eux. Virmoutiers était en fait chargé de les espionner.

Les pirates sont jugés à Brest et tous sont pendus, sauf Louis-Marie grâce à sa jeunesse et à l’intervention de la chevalière. Il se met désormais à son service. À sa mort, la chevalière lui lègue assez d’argent pour qu’il puisse s’établir en tant que marchand à Pointe-à-Pitre.

De nombreuses années plus tard, il revient en Bretagne avec sa femme et son fils pour revoir l’auberge du Bon Chien Jaune, mais celle-ci a été démolie.

Citation

« Mon père exerçait la profession de pêcheur de homard dans un tout petit village de la côte du Léon. Ce village en ce temps-là s’appelait Kerninon. Il changea de nom après la grande révolution de 1789 pour des raisons politiques à ce qu’il paraît. À l’époque où commence ce récit, c’est-à-dire en 1756, j’avais quatorze ans. J’étais un robuste et jeune Léonward plutôt trapu et rouquin quant à la couleur des cheveux. J’aimais à marauder dans les champs et, quand mon père me cherchait, la couleur de mes cheveux révélait ma présence. »
« Je comprends que les fanandels et ton oncle combinent quelque chose de chenu. C’est comme ça qu’un jour on fait connaissance avec Charlot. Quant à toi, il ne faut rien dire. Il ne faut pas parler de cela, surtout à la servante. Cette marque-là te vendrait pour un bout de lardon savonné. »
« Depuis le dernier combat - si j’ose employer ce terme - auquel j’avais participé, je me sentais envahi d’un affreux dégoût de moi-même. »
« La vie à bord du Hollandais volant devenait d’une platitude dans l’ignominie bien propre à me rendre plus mélancolique que ma nature m’y portait. »