Fiche de lecture
Les Rougon-Macquart, Émile Zola
Contexte

Ces vingt livres, conçus comme faisant partie d’un même ensemble mais pouvant être lus séparément, ont été écrits entre 1871 et 1893. C’est son époque que Zola veut décrire ici, en naturaliste, comme le rappelle le sous-titre : Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire. Sa méthode se veut scientifique puisqu’il observe les êtres comme le ferait un scientifique. Son ambition de faire la peinture d’une époque lui a été inspirée par la Comédie humaine de Balzac. Mais par rapport à Balzac, il se veut davantage scientifique que sociologue. Cette volonté d’interroger précisément le monde qui l’entoure explique que, par rapport à Balzac, il ait restreint son univers : en effet, Les Rougon-Macquart suivent la destinée d’une seule famille, originaire de Plassans, sur cinq générations.

Pour présenter son projet, Zola écrit :
« Mon œuvre, à moi, sera tout autre chose. Le cadre en sera plus restreint. Je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une seule famille, en montrant le jeu de la “race modifiée” par les milieux. Si j’accepte un cadre historique, c’est uniquement pour avoir un milieu qui réagisse ; de même le métier, le lieu de résidence sont des milieux. Ma grande affaire est d’être purement naturaliste, purement physiologiste. Au lieu d’avoir des principes (la royauté, le catholicisme), j’aurai des lois (l’hérédité, l’énéité). Je ne veux pas comme Balzac avoir une décision sur les affaires des hommes, être politique, philosophe, moraliste. Je me contenterai d’être savant, de dire ce qui est en cherchant les raisons intimes. Point de conclusion d’ailleurs. Un simple exposé des faits d’une famille, en montrant le mécanisme intérieur qui la fait agir. J’accepte même l’exception. »

Thèmes

L’hérédité : L’intention de Zola est explicitement de dépeindre une famille et de mettre à jour des schémas d’hérédité. L’œuvre des Rougon-Macquart est en effet très fortement liée à une croyance forte en l’hérédité. Il y a ainsi, dans les trois branches familiales, des motifs et des tares qui se répètent, comme la folie ou l’alcoolisme. Dans ses fiches préparatoires, Zola distingue trois cas de figure : une ressemblance exclusive à l’un des parents, qu’il appelle « élection » ; un mélange des deux parents, ou « mélange soudure » ; et enfin des traits innés ne provenant pas de l’hérédité, qu’il nomme « innéité ».
Une littérature scientifique et sociale : Cette démarche, qui veut concilier littérature et science, s’accompagne d’une grande attention portée au milieu. Pour Zola, le milieu dans lequel évolue un individu contribue en grande partie à le former. Il étudie cette influence du milieu sur la personne en envisageant différents mondes : la ville, la campagne, la bourgeoisie, le prolétariat, le milieu artistique, etc.

Bien que Zola n’ait pas d’abord voulu faire une étude sociologique de son époque, il décrit la mutation d’un monde, qui voit se développer de nouvelles technologies et une industrialisation de plus en plus importante. Ce monde nouveau est celui du capitalisme naissant, des grand magasins aux spéculations boursières.

Dans tous les domaines, Zola accorde beaucoup d’importance à la précision de ses évocations et se livre à des recherches approfondies qui lui permettent de maîtriser le milieu qu’il va décrire. Son vocabulaire est précis et souvent technique, il décrit avec vivacité les lieux, les bâtiments ou les machines.

Le mélange de précision quasi-scientifique et d’intérêt pour la dimension sociale de ses intrigues l’amène à écrire sans rien cacher de son époque et à parler ainsi des réalités les plus sordides. Ce goût de la vérité et du détail est caractéristique du naturalisme, dont Zola est la figure dominante.

Résumé

La Fortune des Rougon (1871)

Ce premier tome présente les origines de la famille et présente les personnages.

Adélaïde Fouque, connue également comme « Tante Dide » est l’ancêtre des Rougon-Macquart. Vivant à Plassans, elle épouse Rougon, un jardinier, dont elle a un fils. Après la mort de son mari, elle vit avec Macquart, voleur et alcoolique, dont elle a deux enfants : Ursule et Antoine. Elle sombre ensuite dans la folie.

De ses enfants sont issus les trois branches familiales   les Rougon, qui aiment l’argent et le pouvoir ; les Mouret, issus d’Ursule et menacés par la folie ; et les Macquart, plus désargentés, et qui sont souvent victimes d’alcoolisme.

La Curée (1872)

Ce roman se déroule à Paris et suit Eugène Rougon qui est devenu ministre de l’Intérieur. Grâce à son poste, il spécule sur les grand travaux haussmanniens et incite son frère, Aristide Rougon, à venir s’enrichir à Paris.
Ce volume décrit le milieu des financiers et des urbanistes qui disloquent Paris afin de faire fortune.

Le Ventre de Paris (1873)

Zola décrit ici les halles de Paris, marché couvert de construction récente.

On suit Lisa Macquart, sœur de Gervaise et mariée à Quenu, un charcutier travaillant aux halles.
Le demi-frère de Quenu, Florent, s’est retrouvé orphelin très jeune et est devenu instituteur. Ayant participé aux émeutes de 1851, il est envoyé au bagne mais s’échappe et revient à Paris où il demande de l’aide à Quenu.
Lisa finit par dénoncer Florent qui est arrêté.

La Conquête de Plassans (1874)

L’abbé Faujas est envoyé à Plassans pour tenter de faire revenir la ville au napoléonisme.
Il est d’abord hébergé par la famille Mouret : François Mouret, fils d’Ursule Macquart, ancien négociant en vin, sa femme Marthe Rougon, et leurs enfants Octave, Serge et Désirée.
Pour reconquérir Plassans, l’abbé Faujas n’hésitera pas à détruire la famille Mouret.

Dans ce livre très critique à l’égard de la religion, Zola explore également le thème de la folie puisque François Mouret devient fou et est interné dans la même institution qu’Adélaïde Fouque.

La Faute de l’abbé Mouret (1875)

Serge Mouret est le fils de François Rougon et de Marthe Mouret. Il est gravement malade et l’abbé Faujas s’occupe de lui tout en cherchant à susciter en lui une vocation religieuse.
Serge guérit et entre dans les ordres. Il part en tant que prêtre dans un petit village isolé de Provence, Les Artauds. Il s’installe là avec sa sœur Désirée qui est un peu attardée et ils vivent simplement.
Son oncle, Pascal Rougon, qui est docteur, vient lui rendre visite et l’emmène au Paradou, où il doit soigner le gardien Jeanbernat.
Serge attrape la typhoïde et son oncle lui fait passer sa convalescence au Paradou où il rencontre Albine, la fille de Jeanbernat. Il en tombe amoureux, mais le couple est découvert. Albine est tombée enceinte de Serge mais elle ne le lui dit pas et meurt quelques temps plus tard.

Son Excellence Eugène Rougon (1876)

Eugène Rougon a fait une brillante carrière politique et devient ministre de l’Intérieur. Il aime la puissance et le pouvoir et n’hésite pas à faire enfermer ses adversaire.
Mais il perd son ministère et une partie de son pouvoir. Par opportunisme, il devient alors libéral.
Il rencontre Clorinde Balbi, qui lui fait découvrir l’amour, et c’est la première fois qu’il s’intéresse à autre chose qu’au pouvoir. Mais il préfère s’en éloigner car elle risquerait de le détourner de ses ambitions. Aussi la pousse-t-il auprès de Delestang. Elle ne lui pardonnera pas et complotera contre lui.

L’Assommoir (1877)

À travers le destin de Gervaise Macquart, Zola décrit dans ce roman les ravage de l’alcoolisme auprès du peuple.
Venant de Plassans, Gervaise arrive à Paris avec Auguste Lantier et ses deux enfants, Claude et Étienne. Mais Auguste, qui ne supporte pas leur pauvreté, l’abandonne.
Gervaise travaille en tant que blanchisseuse, puis épouse Coupeau par lassitude. Ils ont une fille, Anna.

Coupeau fait une mauvaise chute et ne peut plus travailler. Auguste Lantier revient et renoue avec Gervaise sans que Coupeau ne s’y oppose ; mais celui-ci sombre dans l’alcool, bientôt rejoint par Gervaise.

Une page d’amour (1878)

Hélène Grandjean est la fille d’Ursule Macquart. Elle a épousé M. Granjean et eu une fille de faible constitution, Jeanne.

Ils déménagent à Paris, où Granjean meurt.
Hélène devient la maitresse d’Henri Deberbe, un médecin qui l’aide à soigner sa fille. Mais Deberbe est marié.
Suite à ces intrigues amoureuses, Hélène épouse son vieil ami Rambaud et part vivre avec lui dans le Midi après la mort de sa fille.

Nana (1880)

Nana est la fille de Gervaise et de Coupeau. Elle se prostitue pour faire vivre son fils Louiset puis devient actrice, grâce à sa grande beauté et à sa sensualité.
Elle est la maitresse du comte Muffat qu’elle ruinera et finira par abandonner. Elle termine sa vie seule et sans argent.

Pot-Bouille (1882)

Ce roman évoque la vie de plusieurs personnages habitant dans un immeuble parisien. Complots, intrigues et adultères en forment la trame.
On y suit notamment Octave Mouret qui finit par épouser Caroline Hédouin, propriétaire du magasin Au Bonheur des Dames.

Au Bonheur des Dames (1883)

Octave Mouret dirige seule le magasin Au Bonheur des Dames depuis la mort de sa femme. Le magasin s’agrandit et devient un endroit incontournable.
Le roman suit également les aventures de Denise Baudu et de ses frères Jean et Pépé qui arrivent de Paris. Denise se met à travailler au Bonheur des Dames.
Elle est licenciée et travaille ensuite dans une boutique dont Mouret finit par provoquer la ruine.

Mouret et Denise sont attirés l’un par l’autre mais mettent très longtemps avant de parvenir à se comprendre. Enfin, Denise accepte la demande en mariage de Mouret.

La Joie de vivre (1884)

Dans la ville portuaire de Bonneville habite Pauline Quenu, fille de Lisa Macquart et du charcutier Quenu, une orpheline ayant fait un bon héritage.
La famille Chanteau la recueille mais s’approprie son héritage. Pauline continue malgré tout à accorder son soutien au fils de la maison, Lazare Chanteau, qu’elle aime, et à se dévouer aux autres membres de la famille, malgré leur ingratitude.

Germinal (1885)

Le roman se passe dans le Nord de la France, à Montsou, et raconte l’histoire d’Étienne Lantier, fils de Gervaise Macquart et Auguste Lantier.
Étienne boit beaucoup, ce qui lui donne des accès de fureur. Mais c’est un bon ouvrier qui travaille dans une mine. Il s’intéresse au socialisme et se lance dans l’activisme politique. Il devient le leader d’une grève.
La grève est finalement étouffée par l’armée et fait de nombreux morts.

L’Œuvre (1886)

Ce roman raconte la vie du peintre Claude Lantier, fils de Gervaise et d’Auguste Lantier. Artiste maudit, sa peinture assez moderne est incomprise de tous.
Il rencontre Christine, qui accepte de poser pour lui. Le couple part vivre à la campagne et a un enfant malade, Jacques-Louis.

Claude décide de peindre sa dernière toile qui devra être son chef-d’œuvre. Il peine à mener ce travail à bien et s’éloigne de plus en plus de Christine, surtout après la mort de leur fils. Claude finit par se suicider devant sa toile restée inachevée.

La Terre (1887)

Jean Macquart, le frère de Gervaise, est un ancien militaire qui trouve un travail à Romilly-sur-Aigre dans la Beauce.
Il se marie avec Françoise Fouan, qui a hérité de mauvaises terres.

La destinée du couple est contrariée par Buteau, qui veut s’emparer des terres familiales. Il finit par tuer Françoise, et Jean quitte la région.

Le Rêve (1888)

Angélique est la fille de Sidonie Rougon et d’un inconnu. Abandonnée à la naissance, elle a connu différents malheurs jusqu’à ce qu’elle rencontre les Hubert qui l’adoptent et avec lesquels elle est très heureuse. Elle apprend leur profession et devient brodeuse d’ornements ecclésiastiques, travail dans lequel elle excelle.
Elle tombe amoureuse de Félicien, le fils de l’évêque, mais les parents ne veulent pas de ce mariage. Angélique dépérit alors, si bien que les familles consentent au mariage. Mais Angélique meurt juste après la cérémonie.

La Bête humaine (1890)

Jacques Lantier est le fils de Gervaise Macquart et Auguste Lantier. Il travaille dans les chemins de fer et conduit une locomotive appelée « La Lison ». C’est le seul endroit où il se sent bien et où il est délivré de ses pulsions meurtrières.
Sa tante, Phasie Misard est peu à peu empoisonnée par son mari qui croit qu’elle cache de l’argent. Leur fille, Flore, plaît beaucoup à Jacques.
Jacques est témoin d’un meurtre perpétré par Roubaud aidé de sa femme Séverine. Séverine devient sa maîtresse. Flore se suicide. Séverine encourage Jacques à tuer son mari Roubaud, mais c’est elle qui se fait tuer et Roubaud est accusé du meurtre.
Jacques meurt finalement écrasé sous un train à la suite d’une bagarre.

L’Argent (1891)

Aristide Saccard, frère d’Eugène Rougon, est devenu riche, mais de mauvaises affaires lui font tout perdre.
Il crée la Banque Universelle et s’intéresse aux marchés financiers du Moyen-Orient. Il met en place des arnaques aux petits épargnants.
Son rival est le banquier Gundermann. Celui-ci réussira à faire éclater les spéculations d’Aristide. Accusé d’escroquerie, Aristide Saccard est condamné à cinq ans de prison.

La Débâcle (1892)

Après ses malheurs décrits dans La Terre, Jean Macquart s’est réengagé dans l’armée. Il devient ami avec Maurice Levasseur, bien que leurs opinions politiques soient opposées : Jean est un partisan de l’ordre et Maurice rêve de révolution. Chacun a l’occasion de sauver la vie de l’autre, et leur amitié est renforcée par l’expérience de la captivité. Puis, la fin de la guerre les éloigne.
Ils se retrouvent par hasard pendant la Commune, Jean blessant Maurice d’un coup de baïonnette : son ami meurt dans ses bras.
Jean décide de quitter l’armée et de partir pour la Provence.

Le Docteur Pascal (1893)

Pascal Rougon est le fils de Pierre Rougon et de Félicité Puech. Médecin, il travaille à une étude portant sur la tare héréditaire qui sévit dans sa famille et il tient un dossier sur chaque membre de la famille. Sa mère, Félicité, voudrait tout détruire, et elle persuade sa nièce Clotilde, très religieuse, de l’aider.

Mais Clotilde est découverte par Pascal, qui finit par la convaincre du bien-fondé de la science. Pascal et Clotilde tombent amoureux mais cachent leur amour incestueux.

Lorsque Pascal est ruiné par un notaire malhonnête, Clotilde doit partir vivre à Paris. Pascal apprend qu’elle est enceinte de lui, mais il meurt peu de temps après. Après la mort de Pascal, sa mère détruit tout son travail.

Citation

« Et se levant, mettant la nomination dans les mains d’Aristide :
- Prends, continua-t-il, tu me remercieras un jour. C’est moi qui ai choisi la place, je sais ce que tu peux en tirer… Tu n’auras qu’à regarder et à écouter. Si tu es intelligent, tu comprendras et tu agiras… Maintenant retiens bien ce qu’il me reste à te dire. Nous entrons dans un temps où toutes les fortunes sont possibles. Gagne beaucoup d’argent, je te le permets ; seulement pas de bêtise, pas de scandale trop bruyant, ou je te supprime. Cette menace produisit l’effet que ses promesses n’avaient pu amener. Toute la fièvre d’Aristide se ralluma à la pensée de cette fortune dont son frère lui parlait. Il lui sembla qu’on le lâchait enfin dans la mêlée, en l’autorisant à égorger les gens, mais légalement, sans trop les faire crier. »

La Curée


« À partir de ce jour, il ne s’inquiéta plus, ne demandant jamais d’où venait la monnaie, la mine grise quand il y avait des pommes de terre, riant à se décrocher les mâchoires devant les dindes et les gigots, sans préjudice pourtant de quelques claques qu’il allongeait à Nana, même dans son bonheur, pour s’entretenir la main. Nana avait donc trouvé le moyen de suffire à tout. La maison, certains jours, regorgeait de nourriture.
Deux fois par semaine, Bosc prenait des indigestions. Un soir que madame Lerat se retirait, enragée de voir au feu un dîner copieux dont elle ne mangerait pas, elle ne put s’empêcher de demander brutalement qui est-ce qui payait. Nana, surprise, devint toute bête et se mit à pleurer. »

Nana


« Au milieu de cette existence enragée par la misère, Gervaise souffrait encore des faims qu’elle entendait râler autour d’elle. Ce coin de la maison était le coin des pouilleux, où trois ou quatre ménages semblaient s’être donné le mot pour ne pas avoir du pain tous les jours. Les portes avaient beau s’ouvrir, elles ne lâchaient guère souvent des odeurs de cuisine. Le long du corridor, il y avait un silence de crevaison, et les murs sonnaient creux, comme des ventres vides. »

L’Assommoir


« La famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien, cette fêlure héréditaire ; non pas qu’il fût d’une santé mauvaise, car l’appréhension et la honte de ses crises l’avaient seules maigri autrefois ; mais c’étaient, dans son être, de subites pertes d’équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d’une sorte de grande fumée qui déformait tout. Il ne s’appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée. Pourtant, il ne buvait pas, il se refusait même un petit verre d’eau-de-vie, ayant remarqué que la moindre goutte d’alcool le rendait fou. »

La Bête humaine