Les Yeux d’Elsa est un recueil de poèmes publié en 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale. Il comprend 21 poèmes publiés entre 1941 et 1942, dans l’ordre de parution. Premier volume évoquant la muse d’Aragon, son épouse Elsa Triolet, le recueil s’ouvre avec le célèbre poème éponyme. Mais l’œuvre ne parle pas seulement d’amour : publié en pleine guerre, alors que la France subit l’Occupation, le recueil évoque également l’amour de la patrie et les malheurs provoqués par la guerre, particulièrement dans le cycle des « Nuits ». Tout au long du livre, Elsa est identifiée à de grandes figures de la littérature courtoise, telles Guenièvre ou Iseult. À mi-chemin entre l’érotisme et la tradition littéraire du blason (un poème dans lequel on fait l’éloge d’une femme en partant d’un détail anatomique de son corps), Les Yeux d’Elsa est un hommage à cette femme qui devient parfois l’allégorie de la France elle-même.
L’amour : Une grande partie du recueil est consacrée à l’éloge d’Elsa, à la fois individu et incarnation de la femme universelle. À travers de nombreuses références à la littérature, Aragon s’ancre dans une tradition de lyrisme et de littérature courtoise. La guerre : Thème omniprésent du recueil, la guerre est évoquée avec tristesse et mélancolie, nuancées par l’espoir redonné par Elsa, et le devoir du soldat est magnifié par des références à la littérature chevaleresque médiévale (notamment dans le poème « C »).
Le recueil débute par une préface dont le titre, Arma virumque cano, est une citation du premier vers de l’Énéide, de Virgile (« je chante l’homme et ses armes »). De manière indirecte, Aragon y évoque l’Occupation, et y écrit des réflexions techniques sur le métier de poète.
Vient ensuite le poème Les Yeux d’Elsa, premier poème du recueil, composé de dix strophes écrites en alexandrins. Ce poème, dans la tradition du blason, est une variation sur les yeux et leurs multiples significations. D’abord miroirs reflétant l’intériorité, ils sont aussi source de miracle, possèdent un pouvoir spirituel et un lien avec le sacré, comme le suggère l’allusion à la Vierge Marie. La femme apparaît tour à tour comme une consolation et un secours, à travers la métaphore du phare suggérée à la fin du poème. Dans un style lyrique marqué par les associations d’idées et l’originalité des métaphores typiques du surréalisme, le poète exprime sa passion amoureuse qui culmine au dernier vers, où l’expression « les yeux d’Elsa » est répétée trois fois, sans ponctuation.
Ensuite commence le cycle des « Nuits ». On trouve ici une référence aux poèmes de Musset intitulés de la même manière, ainsi qu’aux Châtiments de Victor Hugo, qui débutent par un poème d’introduction appelé « Nox » (« la nuit », en latin). De plus, si « Les Châtiments » sont un réquisitoire contre Napoléon III et son supposé despotisme, ici, les poèmes sont également liés à l’histoire, en faisant allusion à des événements de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. D’autres éléments biographiques sont évoqués, à travers les villes de Nice ou de Paris.
La partie suivante est intitulée « Les Plaintes », une allusion à une forme poétique médiévale de déploration, parfois associée à un discours critique ou satirique. Dans le recueil, Aragon utilise cette forme pour évoquer la séparation amoureuse, mais aussi des figures historiques ou légendaires comme Lancelot ou Richard Cœur-de-lion.
La dernière partie, « Cantique à Elsa », se réfère à la Bible, (un cantique est un chant religieux). Dans la continuité du premier poème du recueil, les poèmes rendent hommage à la muse du poète, Elsa Triolet.
« L’enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l’averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août »
« Les Yeux d’Elsa »
« Je crierai je crierai plus fort que les obus
Que ceux qui sont blessés et que ceux qui ont bu
Je crierai je crierai Ta lèvre est le verre où
J’ai bu le long amour ainsi que du vin rouge
Le lierre de tes bras à ce monde me lie
Je ne peux pas mourir Celui qui meurt oublie »
« La nuit de Dunkerque »
« Buissons quotidiens à quoi nous nous griffâmes
La vie aura passé comme un air entêtant
Jamais rassasié de ces yeux qui m’affament
Mon ciel mon désespoir ma femme
Treize ans j’aurais guetté ton silence chantant
Comme le coquillage enregistre la mer
Grisant mon cœur treize ans treize hivers treize étés
J’aurais tremblé treize ans sur le seuil des chimères
Treize ans d’une peur douce-amère
Et treize ans conjuré des périls inventés »
« Cantique d’Elsa »
« N’aimes-tu pas le velours des mensonges
Il est des fleurs que l’on appelle pensées
J’en ai cueilli qui poussaient dans mes songes
J’en ai pour toi des couronnes tressé
Ils sont entrés dans la chapelle peinte
Et sacrilège il allait l’embrasser
La foudre éclate et brûle aux yeux de la Sainte
Le toit se fend les murs sont renversés. »
« Plainte pour le quatrième centenaire d’un amour »