Les récits qui composent les Lettres de mon Moulin ont d’abord été publiés sous forme de feuilletons, intitulées Chroniques provençales, dans les pages du journal L’événement durant l’été 1866. Ces récits proviennent de ses voyages en Provence entrepris à la même époque, avec pour compagnon Paul Arène. Ce dernier sera considéré comme étant son nègre, car il aurait grandement aidé à la rédaction de certains des textes des Lettres.
Bien que souvent présenté comme étant un auteur provençal, Daudet a vécu peu de temps dans la région qui l’a vu naître. Il a cependant souvent été inspiré par l’histoire et le folklore de Provence (notamment pour les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon).
Mise en abîme et tradition orale : L’ouvrage contient un grand nombre de récits qui ont été contés au narrateur. Ils sont issus des légendes et du folklore provençal. On dénote donc une structure narrative complexe sous des airs de simples contes. Le livre lui-même est conçu ainsi, puisque le narrateur évoque sa vie dans le moulin tout en racontant les histoires qui forment le cœur des textes. Le cas le plus emblématique est « Le poète Mistral », qui enchâsse plusieurs récits en son sein. Le rapport à l’oralité et l’épistolaire, qui impliquent tous deux une connivence particulière avec le lecteur sont donc des éléments centraux du recueil. Souvenir et modernité : Souvent prétexte à la narration, le souvenir a de nombreux visages dans le recueil. Ainsi, une tempête peut ramener l’auteur au phare corse (« Le Phare des Sanguinaires ») ou les oranges aux rivages d’Algérie. Ses souvenirs idéalisés d’un monde encore archaïque s’opposent à la modernité qui tue littéralement les légendes, comme dans le « Secret de Maître Cornille ». Paris est présentée comme un lieu peu intéressant et sans âme là ou la Corse, l’Algérie et la Provence semblent habitées par des forces et des valeurs anciennes. Moralité et sagesse populaire : Corollaire de la tradition orale, la sagesse et la morale véhiculée par certains textes est forte. « Les Trois Messes Basses », « L’homme au cerveau d’or » ou « La Chèvre de Monsieur Seguin » en sont de parfaits exemples. Sous des airs de simples contes ou anecdotes, ces nouvelles véhiculent un fort contenu éthique, voire chrétien.
Les Lettres de mon Moulin sont un recueil de 23 nouvelles publiées en feuilletons.
- « Installation » conte l’arrivée du narrateur dans un moulin abandonné, qui lui servira de lieu de vie durant l’écriture du recueil. Ceci est totalement fictif, car Daudet et son compère n’ont jamais résidé dans un moulin.
- « La Diligence de Beaucaire » évoque le trajet que fit le narrateur et qui l’amena à rencontrer des beaucairois dévots, un camarguais en route pour le tribunal, un boulanger d’humeur badine et un rémouleur trompé, qui fait les frais des facéties du boulanger.
- « Le Secret de Maître Cornille » décrit la fin de vie d’un des derniers meuniers traditionnels de Provence. Maître Cornille a peur de la modernité et de l’usage que l’on fait de la vapeur. Alors qu’une minoterie à vapeur s’est installée dans les environs (bâtiment produisant en masse de la farine), Cornille fait croire qu’il continue à moudre du grain en faisant passer des sacs de plâtre pour de la farine. Lorsque la supercherie est dévoilée, les paysans reviennent le voir et lui donnent un peu de leurs récoltes jusqu’à la fin de ses jours. Il sera le dernier meunier de Provence.
- « La Chèvre de Monsieur Seguin » raconte la vie morne et les envies d’aventure de Blanquette, une chèvre, adorée de son berger. Elle s’échappera de la garde de son maître et fera une escapade avec un chevreau noir dans les montagnes. Ignorant les avertissements de Monsieur Seguin, elle décide de passer la nuit dans la nature, de ne jamais revenir. Un loup la prend en chasse et, malgré une lutte acharnée, elle finira par succomber.
- Dans « Les Étoiles », un berger recueille la fille égarée de ses maîtres le temps d’une nuit. Il lui parle alors des étoiles pour la rassurer tandis que la nuit s’éveille. Elle finira par s’endormir sur son épaule, le laissant troublé mais heureux.
- « L’Arlésienne » est une histoire d’amour tragique. Le jeune Jan est tombé amoureux de l’arlésienne (habitante de la ville d’Arles) qui donne son nom à la nouvelle. Il obtient la bénédiction de ses parents mais, un jour, un homme rend visite au père de Jan et lui montre des lettres prouvant qu’il est l’amant de la jeune femme. Jan doit alors renoncer à son union. Il tente de faire croire qu’il s’est remis de cette déception en paraissant heureux mais il finira par mettre fin à ses jours.
- « La Mule du Pape » est une histoire de vengeance. Maltraitée sept ans auparavant par l’infâme Tistet Védène, la mule du pape Boniface décide de lui rendre coup pour coup.
- « Le Phare des Sanguinaires » raconte une histoire arrivée au narrateur quelques années plus tôt en Corse. Il vivait dans le phare éponyme et on lui conta l’histoire d’un homme obligé de passer une nuit de tempête avec pour seule compagnie dans la tour, un cadavre.
- « L’Agonie de la Sémillante » se déroule aussi en Corse. Il raconte le naufrage particulièrement meurtrier de la frégate du même nom. Elle se brisa sur les récifs des îles Lavezzi, chargée de 600 soldats en partance pour la Crimée.
- « Les Douaniers » raconte la mort d’un membre d’équipage d’un navire emprunté par le narrateur. Il est atteint de pleurésie (une inflammation des poumons) et même les soins des douaniers ne purent le sauver. Cette nouvelle se passe également dans un contexte Corse.
- « Le Curé de Cucugnan » fait un rêve dans lequel il visite le Paradis, le Purgatoire et l’Enfer. Il trouve les habitants décédés de sa paroisse en Enfer, ce qui l’incite à redonner la foi à ses ouailles en les confessant.
- « Les Vieux » raconte l’après midi que passe le narrateur chez les grands-parents d’un ami, qui lui a fait promettre de leur transmettre de ses nouvelles.
- « Balades en prose » comprend deux histoires. La première est celle de « La Mort du Dauphin ». Celui-ci pense que son statut lui permettra de survivre, mais il n’en est rien et sa désillusion est très amère. La seconde est « Le Sous-préfet aux champs ». Elle raconte l’histoire d’un sous-préfet en route pour un discours. Alors qu’il fait une pause pour mieux composer son texte à l’ombre d’un sous-bois, les oiseaux se demandent qui il est. Le sous-préfet finit par renoncer à sa tâche et se met à écrire des poèmes.
- « Le portefeuille de Bixiou » raconte la rencontre que le narrateur fait avec un aveugle dans une brasserie. Ce dernier lui raconte avec véhémence sa déchéance et à quel point sa fille malade fut un poids. Il laisse son portefeuille derrière lui, rempli de lettres de sa fille, d’ordonnances pour ses maladies et d’une mèche de cheveux appartenant à sa progéniture.
- « La légende de l’homme à la cervelle d’or » raconte l’histoire d’un homme qui découvre que sa cervelle est faite d’or massif. Il en donne une part à ses parents avant de dilapider le reste. Il devient de plus en plus mauvais et avare, mais finit par tomber amoureux. Son aimée est vénale et il lui donne tout ce que son crâne compte de carats. Elle finit par mourir, et il utilise les dernières parcelles de son esprit pour lui offrir un enterrement et sombre dans la folie. Il mourut en voulant lui acheter une paire de bottines.
- « Le poète Mistral » évoque un homme que le narrateur connaît bien puisqu’il l’a rencontré à Paris avant de le rejoindre dans le Sud. Il lui fait lire un de ces ouvrages, le Calendal. Racontant les aventures d’un homme prêt à tout pour sa belle, il s’agit d’une métaphore de la vie et de la passion de Mistral.
- « Les Trois Messes basses » décrivent la perdition d’un chapelain par le Diable. Satan possède le clerc de ce chapelain, qui le pousse à commettre le péché de gourmandise en lui décrivant le repas qui suivra les trois messes basses du soir. Le chapelain, Dom Balguères expédie les offices pour mieux savourer son repas qu’il engloutit. Il meurt alors d’apoplexie, ivre d’excès et arrive au paradis, dont Dieu lui interdit l’accès tant qu’il n’aura pas célébré 300 messes de Noël en présence de tous ceux qui ont pêché à cause de lui et avec lui.
- Dans « Les Oranges », le narrateur raconte les souvenirs que ce fruit lui procure. Il évoque la cité algérienne de Blidah et les nuits mémorables qu’il y passa.
- « Les Deux Auberges » se déroule au relais de Saint-Vincent, alors que le narrateur revient de Nîmes. Une des deux est un lieu joyeux, tenu par une jeune et charmante arlésienne. L’autre est un lieu à l’abandon, où seule une paysanne triste se tient derrière le comptoir. Elle a perdu ses deux filles et même son mari préfère fréquenter l’établissement d’en face.
- « À Milianah » raconte la journée que passe le narrateur dans cette petite ville d’Algérie. En particulier l’histoire de Sid’Omar, ancien courtisan d’Alger devenu seigneur déchu à Milianah.
- « Les Sauterelles » est une autre histoire algérienne. Elle décrit l’arrivée d’un nuage de criquets dans les champs d’une ferme du Sahel, détruisant tout sur son passage.
- « L’Élixir du révérend père Gaucher » parle de salut trompeur. Alors que les familles des environs s’enfoncent dans la pauvreté, le Père Gaucher décide de produire de l’alcool afin de le revendre et de renflouer les caisses de la communauté. Le plan marche à merveille, mais le père devient trop dépendant de son breuvage et laisse l’ivresse l’emporter.
- « En Camargue » est une succession de quatre instantanés. Le premier, « Le Départ », raconte un voyage en bateau au cœur des marais salants sauvages. Le deuxième, « La Cabane », décrit la cabane dans laquelle les voyageurs s’arrêtent pour la nuit. « À l’espère ! » (À l’affût !) parle de chasse et de l’attente qu’elle implique. « Le rouge et le Blanc » évoque les rivalités politiques entre deux membres d’une expédition. « Le Vaccarès » enfin, décrit un grand lac salé du même nom, merveille naturelle de Camargue.
- « Nostalgies de caserne » est une collection de souvenirs que le narrateur garde de ses années de service. La camaraderie, les entraînements, les manœuvres… Le narrateur pense avec nostalgie à la vie parisienne.
« Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu’à l’heure où nous dormons, un monde mystérieux s’éveille dans la solitude et le silence. »
« Étoiles » « Malgré ses airs de conte fantastique, cette nouvelle est vraie d’un bout à l’autre. Il est de par le monde de pauvres gens qui sont condamnés à vivre de leur cerveau, et paient en bel or fin, avec leur moelle et leur substance, les moindres choses de leur vie… »
« La légende de l’homme au cerveau d’or » « Je rêvais de rester là tout le jour, comme un lézard, à boire de la lumière, en écoutant chanter les pins. »
« Les vieux » « Alors le massacre commença. Hideux murmure d’écrasement, de paille broyée. Avec les herses, les pioches, les charrues, on remuait ce sol mouvant ; et plus on en tuait, plus il y en avait. »
« Les Sauterelles »