Poèmes saturniens est le premier recueil de Verlaine, alors âgé de 22 ans, et regroupe des textes de sa toute première jeunesse, certains écrits alors que l’auteur était encore au lycée. Le jeune homme a depuis peu abandonné ses études de droit et fréquente les cercles littéraires parisiens. Il collabore au premier Parnasse contemporain (1866), revue littéraire qui entend promouvoir un art poétique moderne et exigeant, débarrassé des fatras de la poésie lyrique romantique au nom d’un Beau transcendant, qui soumet l’émotion à la loi absolue de la forme.
Placé sous le signe de Saturne/Cronos, dieu du temps et des mélancoliques, dans le sillon de Baudelaire et de l’esthétique parnassienne, dont Verlaine soulignera pourtant les limites, on perçoit déjà les traits caractéristiques du poète : le primat de la sensation, le paysage-état d’âme, la femme rêvée toujours enfuie et la mélancolie.
Le paysage-sensation : Le monde extérieur n’est jamais décrit, mais suggéré par touches successives (à la manière des impressionnistes et plus tard, des symbolistes), toujours fluide, flottant, menacé de dispersion imminente. Rien n’existe que le paysage intérieur que le poète perçoit dans un état d’engourdissement, de porosité et de quiétude passive. La femme idéale : Sous l’impulsion de la rêverie, la femme – et l’amour – est multiple, adorable et terrible, séductrice et ingénue. Le rêve d’une relation fondée sur la compréhension et la réciprocité est ambivalent car le cauchemar, ou du moins l’engourdissement, guette toujours. La mélancolie : La mélancolie chez Verlaine, si elle emprunte encore les tournures et les motifs de ses prédécesseurs, est plus proche de la nostalgie, douce et lancinante, que de l’angoisse brutale et débilitante du spleen baudelairien. À de nombreuses reprises, elle procède du sentiment de perte d’un instant idyllique, qu’il soit un rêve ou un souvenir. L’héritage : Poèmes saturniens est un premier recueil et comme c’est souvent le cas, se confronte aux poètes du passés. Presque toutes les sections sont dédiées, les influences romantiques et parnassiennes sont évidentes. Pourtant, ces textes tournés vers un passé poétique révéré font également place aux prémices d’une voix personnelle.
Sur le modèle des Fleurs du mal (dont la seconde édition remaniée sort la même année que les Poèmes saturniens), le recueil repose sur une « architecture secrète », selon l’expression de Sainte-Beuve. Il est composé d’un poème liminaire, d’un prologue, de quatre parties distinctes, chacune dédiée à un ami poète de Verlaine et d’un épilogue, auxquels s’ajoute une douzaine de poèmes divers.
Poème liminaire : « Les Sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci… »
Ce poème place le recueil sous le patronage de Baudelaire, notamment par la similarité avec l’adresse « Au lecteur » des Fleurs du mal. Sans nommer le spleen ou la mélancolie, Verlaine convoque une communauté de « saturniens », comme autant de « happy few » paradoxaux.
Prologue
Verlaine reprend le motif déjà présent chez les romantiques du poète parmi les hommes, et le place à la marge « Aujourd'hui, l'Action et le Rêve ont brisé / Le pacte primitif par les siècles usé ».
Melancholia
Cette partie est composée de 8 sonnets en alexandrins et doit probablement son titre à une gravure d’Albert Dürer. Y sont présents autant le souvenir d’amours perdus ou idéalisés, que l’angoisse née des instants perdus.
Eaux-fortes
Les 5 poèmes de cet ensemble sont composés en vers impairs et inspirés des « Tableaux parisiens » de Baudelaire d’une part, et d’une certaine tradition du romantisme frénétique illustré entre autres par Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand. Verlaine peint la ville en terre moderne et désolée, et y superpose des paysages rêvés, fantastiques, grotesques.
Paysages tristes
Composée de 7 textes et dédiée à Catulle Mendès qui avait fondé Le Parnasse contemporain, cette section développe un lyrisme propre à Verlaine, fait de corrélation entre le poète et le monde. Le paysage, dominé par des impressions d’automne et de soleils couchant, est triste parce que l’âme est sombre et hantée. Elle contient également le poème « Chanson d’automne » qui annonce, par sa forme, le célèbre « Art poétique » de Verlaine.
Caprices
Composé de 5 textes, cet ensemble est concentré autour de la notion de relation amoureuse, sur une image de la femme idéalisée, changeante, tour à tour cruelle et ingénue, saisie dans une multitude d’images diffractées.
Autres poèmes
Il s’agit de 12 poèmes de formes et d’intentions différentes, non numérotés et rédigés majoritairement en alexandrins.
Épilogue
Ce texte permet au poète de revenir sur les questions formelles, sur la notion d’inspiration et la froideur particulière à l’esthétique parnassienne.
« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. »
« Mon rêve familier »« Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone. »
« Chanson d’automne »« Le vers est dans le fruit, le réveil dans le rêve,
Et le remords est dans l’amour : telle est la loi.
– Le Bonheur a marché côte à côte avec moi. »
« Nevermore »« Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.
Balancés par un vent automnal et berceur,
Les rosiers du jardin s’inclinent en cadence.
L’atmosphère ambiante a des baisers de sœur. »
« Épilogue »