Retour au calme regroupe des poèmes écrits entre 1975 et 1987, longue période pendant laquelle Jacques Réda a également publié d’autres livres. Ce recueil ne présente donc pas toujours de continuité ni d’unité de ton, mais doit tout de même être considéré comme un ensemble à part entière, ne serait-ce que par la volonté du poète de les rassembler en un même volume.
Le fil directeur est souligné par le titre qui indique que, dans l’agitation ou peut-être l’inattention de la vie quotidienne, une rupture se met en place grâce à la poésie. Ces poèmes méditatifs et élégiaques marquent à la fois le moyen et le moment de cette reprise du poète qui accède à nouveau pleinement à lui-même et au monde extérieur.
Les lieux : Les lieux, à la fois extérieurs et intérieurs, forment l’élément principal de ces poèmes. Ce sont le plus souvent des décors vus ou traversés qui font naître le poème. Mais celui-ci s’attache surtout à décrire l’émotion suscitée par le lieu et à le saisir dans sa fugacité : c’est donc bien aussi un lieu intérieur et subjectif qui est le vrai sujet du poème.
La sérénité : Chaque poème est comme un moment choisi ou un moment de grâce, pendant lequel le poète a connu un retour au calme : ce qui est exploré ici, c’est l’harmonie et la sérénité, jusque dans les métamorphoses du monde. D’où l’attention aux choses et à leur réalité, puisque Jacques Réda semble vouloir rendre compte de leur essence et de leur mystère à la fois.
La poésie : La poésie est l’autre grand sujet de ce recueil. Comme souvent, Jacques Réda s’amuse avec la langue et expérimente à la fois sa passion des mots, libre et exubérante, et la rigueur stricte de la poésie. On ne trouve pas de vers libres ni irréguliers ici, mais une métrique précise et régulière.
Cet effort n’a pas pour but de vivre la poésie comme une contrainte sévère, mais au contraire, par la concentration nécessaire, d’en faire à la fois une consolation et un recueillement.
Les poèmes rassemblés ici sont presque tous une observation du monde ou une méditation sur le monde. Mais il ne s’agit pas de décrire l’agitation de la vie humaine ou de la nature : au contraire, le poète cherche à saisir quelque chose de l’essence, pure et calme, de ce qui l’entoure.
La promenade revient dans de nombreux poèmes, souvent comme point de départ à l’écriture ou à l’observation. On sait que l’errance est une des activités favorites de Jacques Réda, activité qu’il associe étroitement à l’écriture poétique dans nombre de ses recueils. Il peut s’agir ici soit de la narration d’une promenade, par laquelle le poète traverse différents décors et différentes ambiances, soit plus simplement de l’occasion qui lui a permis de rencontrer tel objet ou tel paysage qu’il va s’attacher à décrire.
Les lieux ont une extrême importance dans ce recueil. Ils semblent porter un secret ou pouvoir révéler un sens ou une sagesse la poésie consiste à mettre en évidence ce mystère.
De même, Jacques Réda prête une grande attention aux ambiances et aux sons, à l’atmosphère et aux décors, qu’il s’agisse d’une rue vide ou, au contraire, d’une foule à traverser, de la route parcourue ou d’un chemin aperçu de loin. Chaque lieu semble avoir son univers propre, son identité, aussi bien qu’un être humain.
Trains, nuages et oiseaux peuplent ce recueil comme autant de personnages familiers, appartenant à la ville comme à la campagne. Jacques Réda a le sens du détail et de l’anecdotique, son point de départ semble bien souvent plonger dans une expérience concrète et réelle qu’il cherche à étirer jusqu’à une dimension universelle.
« Passant dans la rue un dimanche à six heures, soudain,
Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange,
On voit un torrent de soleil qui roule entre des branches
Et se pulvérise à travers les feuilles d’un jardin,
Avec des éclats palpitants au milieu du pavage
Et des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo.
C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites,
Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bête »
« La bicyclette »
« L’arbre qui frémit devant notre fenêtre
Est comme une autre chambre où nous ne pénétrons
Qu’au moment de dormir et dans les environs
Du rêve, quand il est malaisé de connaître
Ce qui distingue l’âme du corps, et la nuit.
Alors nous devenons peu à peu ce feuillage »
« La deuxième chambre »
« Ces visages qui tout à tour m’auront brûlé,
Que voilaient-ils, de quelle invisible figure
Étaient-ils le symbole ou la caricature,
Ou bien la vérité changeante et vouée à l’oubli ?
Mais quand je les revois, surgis de ces replis
Où la cendre à présent voisine avec la roche,
Ne laissant plus au feu qu’un médiocre aliment,
Je redoute un peu moins l’ombre qui se rapproche
Et le souci du vrai s’endort en moi comme un enfant
Fatigué du voyage. »
« Le Visage caché »
« Pareils aux inquiets, aux longs velléitaires
Qui n’auront jamais su choisir un seul chemin,
Tous ceux que j’aperçois, lorsque je passe en train,
Filer à travers bois, dans l’épaisseur des terres,
Me paraissent chacun devenir, tour à tour,
Celui que j’aurais dû suivre sans aucun doute.
Je me dis : la voici, c’est elle, c’est la route
Certaine qu’il faudra revenir prendre un jour. »
« Chemins perdus »