Fils de bonne famille et ayant fait des études, Alain-René Lesage perd une partie de sa fortune suite à une injustice juridique, ce qui explique peut-être son ressentiment envers les financiers que cette pièce critique sans pitié.
Au moment où il écrit Turcaret, Lesage a connu le succès, après des publications passées inaperçues, grâce au roman Le Diable boiteux. C’est avec Turcaret qu’il s’essaie à l’écriture théâtrale où il révèle un génie inattendu grâce à sa vivacité d’esprit, ses talents d’observation psychologique et son sens de la satire à la fois cruel et précis. Tous les personnages ou presque sont mauvais, et cette construction inhabituelle fait l’originalité et l’intérêt de cette pièce aussi réjouissante que dérangeante.
La baronne : Jeune veuve qui veut vivre joyeusement. M. Turcaret : Ancien valet devenu banquier, amoureux de la baronne. Le chevalier et le marquis : Deux jeunes élégants. Mme Turcaret : Femme de monsieur Turcaret. Mme Jacob : Vendeuse de vêtements, sœur de monsieur Turcaret. Marine et Lisette : Suivantes de la Baronne. Frontin : Valet du Chevalier. Flamand : Valet de monsieur Turcaret. M. Rafle : Usurier. Jasmin : Laquais de la baronne.
La ruse et la manipulation : Comme dans toutes les comédies de cette époque, la ruse, la manipulation et la tromperie constituent le fond de cette intrigue, mais ici poussées jusqu’à la plus grande extrémité. Aucun personnage n’est honnête, chacun est animé par la volonté de voler et de dépouiller les autres. Même l’amour n’est pas un noble sentiment mais plutôt une état qui rend celui qui en est atteint si bête et si naïf qu’il semble presque mériter ce qui lui arrive. L’argent : La grande originalité de cette pièce est d’attribuer cet état généralisé de tromperie à une cause précise, qui constitue le vrai thème de Turcaret : l’argent. À cette époque qui voit naître la finance moderne, l’argent prend ici la forme de la valeur virtuelle : dette, billet, taux d’intérêt etc. Mais il ne s’agit pas de valeur aussi réelles que des objets matériels : tout s’échange extrêmement rapidement, passant de Turcaret à la baronne puis au chevalier, les sommes gonflent en un instant, mais s’effondrent tout aussi vite. C’est d’une véritable spéculation qui s’agit ici, et qui est dénoncé comme une forme de vol : chacun utilise des moyens peu honnêtes pour obtenir ce qui ne lui est pas dû. La cruauté de cette pièce vient de ce que ce système financier met aux prises un profiteur avec des profiteurs plus dangereux encore. Ainsi, Turcaret, qui représente la figure du financier peu scrupuleux, est véritablement dépouillé par l’alliance formé par les maîtres, les valets et les suivantes. La chaîne de l’escroquerie semble ne pas avoir de fin, comme en témoigne la fin de la pièce.
Acte I
Acte I
Turcaret offre de nombreux présents à la baronne dont il est amoureux.
La baronne quant à elle, si elle accepte volontiers ses cadeaux et semble partager ses sentiments, est en fait amoureuse du chevalier.
On comprend vite que le chevalier est aussi peu sincère que la baronne et qu’il s’intéresse surtout à l’argent de celle-ci.
Acte II
Acte II
La baronne a renvoyé sa suivante Marine.
Frontin, le valet du chevalier, lui fait engager Lisette, qu’il connaît bien.
Pour se venger, Marine a raconté à Turcaret comment la baronne le manipulait. Turcaret vient donc demander des comptes à la baronne, mais celle-ci parvient à retourner la situation et à se réconcilier avec lui.
Frontin se fait engager par Turcaret afin de lui prendre autant d’argent que possible.
Acte III
Acte III
Le marquis fait des révélations sur Turcaret : celui-ci est un ancien valet. De plus, sa fortune n’est pas honnête puisqu’il pratique l’usure (prêt d’argent à un taux supérieur au taux légal) avec M. Rafle.
Acte IV
Acte IV
Frontin vole et arnaque Turcaret : il lui fait encaisser une dette de la baronne qui est en fait un faux.
Mme Jacob, une vendeuse de toilette, est en fait la sœur de Turcaret, que celui-ci a très mal traité, voulant cacher ses origines. Celle-ci apprend à la baronne que Turcaret est déjà marié.
Acte V
Acte V
Turcaret est arrêté et tous ses biens sont saisis par ses créanciers.
La baronne chasse Lisette et se sépare du chevalier.
Frontin est renvoyé par le chevalier. Mais comme il avait auparavant réussi à escroquer tout le monde, il se retrouve avec 40 000 livres. Il épouse Lisette et se prépare à prendre la place de Turcaret.
« FRONTIN :
C’en est donc fait, madame, vous ne verrez plus monsieur le chevalier. La honte de ne pouvoir payer ses dettes va l’écarter de vous pour jamais ; car rien n’est plus sensible pour un enfant de famille. Nous allons tout à l’heure prendre la poste.
LA BARONNE, bas à Marine :
Prendre la poste. Marine !
MARINE :
Ils n’ont pas de quoi la payer.
FRONTIN, à la baronne :
Adieu, madame.
LA BARONNE, tirant son diamant de son doigt :
Attends, Frontin.
MARINE, à Frontin :
Non, non, va-t’en vite lui faire réponse.
LA BARONNE, à Marine :
Oh ! je ne puis me résoudre à l’abandonner…
(À Frontin, en lui donnant son diamant.)
Tiens, voilà un diamant de cinq cents pistoles que M. Turcaret m’a donné ; va le mettre en gage, et tire ton maître de l’affreuse situation où il se trouve. »« LAMAND, à la baronne, en lui présentant un petit coffre :
M. Turcaret, madame, vous prie d’agréer ce petit présent. (À Marine.) Serviteur, Marine.
MARINE : Tu sois le bien venu. Flamand. J’aime mieux te voir que ce vilain Frontin.
LA BARONNE, à Marine, en lui montrant le coffre :
Considère, Marine ; admire le travail de ce petit coffre : as-tu rien vu de plus délicat ?
MARINE :
Ouvrez, ouvrez ; je réserve mon admiration pour le dedans. Le cœur me dit que nous en serons plus charmées que du dehors.
LA BARONNE, ouvrant le coffret :
Que vois-je ? un billet au porteur ! L’affaire est sérieuse.
MARINE :
De combien, madame ?
LA BARONNE, examinant le billet :
De dix mille écus. »« FRONTIN :
Courage ! Frontin , courage ! mon ami ; la fortune t’appelle. Te voilà placé chez un homme d’affaires, par le canal d’une coquette. Quelle joie ! l’agréable perspective ! Je m’imagine que toutes les choses que je vais toucher vont se convertir en or… »« FRONTIN :
J’en ai déjà touché l’argent ; il est en sûreté : j’ai quarante mille francs. Si ton ambition veut se borner à cette petite fortune, nous allons faire souche d’honnêtes gens.
LISETTE :
J’y consens.
FRONTIN :
Voilà le règne de M. Turcaret fini ; le mien va commencer. »