Crédit photo : document découvert par Jean-Jacques Lefrère, Blanchard, 1867
On ne sait presque rien du Comte de Lautréamont, de son vrai nom Isidore Ducasse. Il naît en 1846 à Montevideo, en Uruguay, dans un pays en proie à la guerre. Sa famille est aisée : son père est commis-chancelier au consulat de France de Montevideo, la capitale de l’Uruguay. Après des études au lycée impérial de Tarbes, puis à Pau, Lautréamont obtient son baccalauréat de Lettres et voyage en Uruguay avant de s’installer à Paris en 1867, où il aurait passé le concours d’entrée de l’École polytechnique. En 1868, il publie anonymement le premier chant des Chants de Maldoror. Il faut attendre 1869 pour une publication intégrale par un éditeur belge. Cependant, l’ouvrage n’est pas diffusé. En 1870, il publie ses Poésies. Il meurt la même année dans des circonstances inconnues, lors du siège de Paris par les armées prussiennes (un épisode qui correspond à la fin du Second Empire de Napoléon III). La diffusion des Chants de Maldoror se fera de manière posthume, en 1874.
Les Chants de Maldoror - (1874) Poésie I - (1870) Poésies II - (1870)
De son vivant, Lautréamont n’a jamais connu le succès, ni même la reconnaissance. Mort très jeune, il a laissé peu d’écrits, mais son œuvre en prose, Les Chants de Maldoror, constitue aujourd’hui un classique de la littérature française. En effet, l’œuvre est mise en lumière par le mouvement surréaliste, et notamment par André Breton. Ce dernier publie sa poésie et le cite dans son Manifeste du surréalisme pour illustrer la notion d’image surréaliste, dont la force réside dans le rapprochement d’éléments très éloignés, voire contradictoires.
Œuvre d’une grande violence, Les Chants de Maldoror se caractérise par une ironie constante qui empêche d’y voir un ouvrage purement romantique en dépit de ses envolées lyriques et de ses thématiques proches de ce mouvement esthétique : la mort, le mal, l’exploration de son propre esprit par l’introspection, le satanisme à travers l’opposition radicale à un Dieu injuste et cruel. Ainsi, l’aspect tourmenté, et même torturé du discours est sans cessé désamorcé par une adresse ironique au lecteur.
De même, dans ses Poésies, Lautréamont se sert de l’ironie pour mieux exprimer son pessimisme face à la nature humaine et à ses propres prétentions littéraires, mais aussi face à l’hypocrisie sociale qui ne veut célébrer que des œuvres « morales ».
« Je n’accepte pas le mal. L’homme est parfait. L’âme ne tombe pas. Le progrès existe. Le bien est irréductible. Les antéchrists, les anges accusateurs, les peines éternelles, les religions sont le produit du doute. »
Poésies II , 1870
« Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement le littérateur à l’abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière humain dans les raisonnements. […] Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans. »
Poésies I , 1870
« Hélas ! Qu’est-ce donc que le bien et le mal ? Est-ce une même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuissance, et la passion d’atteindre à l’infini avec les moyens même les plus insensés ? Ou bien sont-ce deux choses différentes ? »
Les Chants de Maldoror , 1874
« J’ai reçu la vie comme une blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C’est le châtiment que je lui inflige. »
Les Chants de Maldoror , 1874