Crédit photo : Fondation Nobel, 1937
Roger Martin du Gard a compris très jeune sa vocation d'écrivain. Étant issu d'une famille aisée, il a pu se consacrer à la littérature sans se soucier de questions financières.
En 1899, Roger Martin du Gard intègre l'École des Chartes, et cette formation d'archiviste paléographe lui donne le goût de l'exactitude historique et de la rigueur scientifique. Après ses études et son mariage en 1906, il entame sa carrière d'écrivain et la publication de son premier roman lui donne l'occasion de rencontrer André Gide et Jacques Copeau, avec lesquels il se lie d'amitié. Grâce à Copeau, Martin du Gard s'intéresse également au théâtre.
Après la Première Guerre mondiale, durant laquelle il est mobilisé, il entreprend l'écriture de son roman-fleuve Les Thibault, qui l'occupera jusqu'en 1940.
En 1937, il reçoit le prix Nobel de littérature.
Jean Barois - (1913) Les Thibault - (1922-1940) Confidence africaine - (1930) Notes sur André Gide - (1951)
Les romans de Martin du Gard, souvent amples, reposent sur une abondante documentation et sont précédés d'un rigoureux travail de recherche. En cela, son œuvre se rapproche de celle de Zola. Mais Martin du Gard est moins un écrivain naturaliste qu'un avant-gardiste, et la matière de son œuvre puise dans l'histoire : l'affaire Dreyfus pour Jean Barois, la période avant-guerre pour Les Thibault. Dans Les Thibault, vaste saga européenne, Martin du Gard fait le portrait des différentes classes sociales du début du XXe siècle et décrit la montée inéluctable de la guerre. On y lit distinctement ses convictions pacifistes et socialistes.
Il a laissé un journal et un grand nombre de textes qui seront publiés après sa mort.
« Amalia n’était pas belle ; je dirai même que ses paupières plissées de tortue, son masque envahi de graisse, son tient huileux, son torse piriforme, avachi par les grossesses et les allaitements, conspiraient à faire d’elle un souverain remède contre la concupiscence. Je m’expliquai mieux sa complexion après l’avoir vue se gaver d’une sorte de compote visqueuse, dont elle raffolait, faite de figues imbibées de crème fraîche et de miel. En sus des plâtrées de macaroni qu’elle bâfrait aux repas, elle mâchait du matin au soir des loukoums gluants, et ne parlait guère que la bouche pleine. Son tiroir-caisse était garni de dattes fourrées à la pistache ou de pâtes de fruits ; et sa monnaie était toujours poisseuse. »
Confidence africaine , 1930
« Mais ce que vous appelez anarchie, c’est simplement la vitalité intellectuelle d’une nation ! Il n’y a pas plus de dogmes en morale qu’en religion. La loi morale, ce n’est qu’un ensemble de convenances sociales, et cet ensemble est, par nature, provisoire, puisqu’il doit, pour garder sa valeur pratique, évoluer en même temps que la société : or cette évolution n’est possible que s’il y a dans la société, ce ferment que vous appelez anarchique, ce levain sans lequel aucun progrès ne peut lever. »
Jean Barois , 1913
« Qui sait, Thibault ? Peut-être que ceux qui pensent comme votre frère sont des précurseurs ? Peut-être que cette guerre fatale, en déséquilibrant à fond notre vieux continent, prépare une floraison de pseudo-vérités nouvelles que nous ne soupçonnons pas ?… Ce serait presque bon de pouvoir croire ça… Pourquoi non ? Tous les pays d’Europe vont avoir à jeter dans ce brasier la totalité de leurs forces, aussi bien spirituelles que matérielles. C’est un phénomène sans précédent. Les conséquences sont imprévisibles… Qui sait ? Tous les éléments de la civilisation vont peut-être se trouver refondus, dans ce brasier ! Les hommes ont encore tant d’expériences douloureuses à faire, avant le jour de la sagesse !… le jour où, pour organiser leur vie sur la planète, ils se contenteront, humblement, d’utiliser ce que la science leur a appris… »
Les Thibault , 1922-1940
« Me suis posé, entre autres, cette question : Pour la moyenne des gens (dont la vie s’écoule, en somme, sans qu’ils se permettent d’infractions bien accusées aux règles morales admises), qu’est-ce qui peut bien les retenir ? Car il n’y en a guère, parmi eux, qui échappent à la tentation de commettre des actes réputés ‟immoraux”… J’écarte, bien entendu, les croyants, ceux qu’une profonde conviction religieuse ou philosophique aide à triompher des pièges du Malin. Mais les autres, tous les autres, qu’est-ce qui les arrête ? Timidité ? Respect humain, crainte des on-dit ? Crainte du juge d’instruction ? Crainte des conséquences qu’ils risquent d’encourir dans leur vie privée, ou publique ? Tout ça joue, évidemment. »
Les Thibault , 1922-1940