Crédit photo : auteur inconnu, BNF
Tristan Corbière naît en 1845 à Morlaix, dans le Finistère. Son père, Édouard Corbière, jouit d’une certaine notoriété : marin, journaliste et romancier, toute sa vie est consacrée à l’océan. Tristan passe une enfance sans histoires dans la maison de ses parents, avant d’être envoyé en pension à Saint-Brieuc, où il se révèle un élève assez médiocre, sauf en latin.
À cette époque, il souffre déjà de rhumatismes articulaires. Il commence à écrire des poèmes et des satires. Sa maladie s’aggrave, et l’empêche de passer le bac. Il s’installe ensuite à Roscoff, où il mène une vie de reclus, surnommé l’Ankou par les villageois (une figure de la mort dans le folklore breton).
Lorsqu’il rencontre une actrice parisienne qu’il se plaît à appeler Marcelle, elle devient sa muse et son unique amour. Mais la jeune femme ne lui rend pas ses sentiments, et il meurt dans la solitude et l’anonymat à l’âge de vingt-neuf ans.
Les Amours jaunes - (1873)
Tristan Corbière est l’auteur d’une seule œuvre, Les Amours jaunes, qu’il publie à compte d’auteur en 1873 et qui passe à l’époque totalement inaperçue. Pour la publication, il choisit le pseudonyme de Tristan pour ses sonorités (Tristan Corbière pour « Triste en corps bière »). Le recueil ne passera à la postérité que grâce à Verlaine, qui consacre un chapitre au poète dans son essai Les Poètes maudits, en 1884. Les Amours jaunes sont également citées dans le grand roman de Huysmans, À rebours, où le recueil figure dans la bibliothèque de Des Esseintes.
Ce recueil aborde les thèmes de l’amour, de la mélancolie et de la mer avec des poèmes de formes très variées. Avec Baudelaire, Tristan Corbière peut être considéré comme un précurseur du symbolisme. Influencée par le romantisme, la poésie de Corbière mélange la contrainte stylistique et la liberté créative, notamment avec une utilisation récurrente du rejet. La musicalité du rythme et des sonorités explique sans doute l’intérêt de Verlaine pour ce poète.
« La passion c’est l’averse
Qui traverse !
Mais la femme n’est qu’un grain :
Grain de beauté, de folie
Ou de pluie…
Grain d’orage – ou de serein. »
« Après la pluie »
Les Amours jaunes , 1873
« – Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière :
Eux ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot
Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
Respire à chaque flot.
– Voyez à l’horizon se soulever la houle ;
On dirait le ventre amoureux
D’une fille de joie en rut, à moitié soûle…
Ils sont là ! – La houle a du creux. »
« La Fin »
Les Amours jaunes , 1873
« J’entends comme un bruit de crécelle…
C’est la male heure qui m’appelle.
Dans le creux des nuits tombe : un glas… deux glas
J’ai compté plus de quatorze heures…
L’heure est une larme – Tu pleures,
Mon cœur !… Chante encor, va – Ne compte pas. »
« Heures »
Les Amours jaunes , 1873
« Dors : on t’appellera beau décrocheur d’étoiles !
Chevaucheur de rayons !… quand il fera bien noir ;
Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,
– Espoir – sur ton front vide ira filer ses toiles. »
« Sonnet posthume »
Les Amours jaunes , 1873