Le registre satirique consiste à utiliser le comique pour tourner en ridicule, dénoncer, critiquer une personne, un objet ou un concept. La satire peut parfois passer par l’ironie (avec des figures d’amplification, des antiphrases, etc.), mais peut également prendre une forme plus directe à travers un champ lexical péjoratif. Elle peut également reposer sur des allusions et des sous-entendus.
La satire peut être rapprochée de la caricature dans la mesure où elle fait souvent appel à l’exagération, à la parodie, pour provoquer le rire et dénoncer le ridicule. Le registre satirique nourrit notamment la littérature des Lumières. Tout comme l’ironie, c’est un registre proche du registre polémique, mais il dénonce par la moquerie, se dispensant de la rigueur argumentative.
Les registres peuvent se cumuler dans une même œuvre.
« SGANARELLE :
Il n’est rien plus aisé. Cela vient de ce qu’elle a perdu la parole.
GÉRONTE :
Fort bien : mais la cause, s’il vous plaît, qui fait qu’elle a perdu la parole ?
SGANARELLE :
Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c’est l’empêchement de l’action de sa langue.
GÉRONTE :
Mais, encore, vos sentiments sur cet empêchement de l’action de sa langue ?
SGANARELLE :
Aristote là-dessus dit… de fort belles choses.
GÉRONTE :
Je le crois.
SGANARELLE :
Ah ! c’était un grand homme !
GÉRONTE :
Sans doute.
SGANARELLES, levant son bras depuis le coude :
Grand homme tout à fait : un homme qui était plus grand que moi, de tout cela. Pour revenir, donc, à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l’action de sa langue, est causé par de certaines humeurs qu’entre nous autres, savants, nous appelons humeurs peccantes, peccantes, c’est-à-dire… humeurs peccantes : d’autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s’élèvent dans la région des maladies, venant… pour ainsi dire… à… Entendez-vous le latin ?
GÉRONTE :
En aucune façon.
SGANARELLE, se levant avec étonnement :
Vous n’entendez point le latin !
GÉRONTE :
Non.
SGANARELLE, en faisant diverses plaisantes postures :
Cabricias arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo hæc Musa, “la Muse”, bonus, bona, bonum, Deus sanctus, estne oratio latinas ? Etiam, “oui”, Quare, “pourquoi ?” Quia substantivo et adjectivum concordat in generi, numerum, et casus. »
Le Médecin malgré lui , 1666
Jean-Baptiste Poquelin ditMolière
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l'année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »
Candide ou l’Optimisme , 1759
François-Marie Arouet ditVoltaire
« Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte ;
Un Curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
[…]
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l'ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s'agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le Mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient voir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Notre Curé suit son Seigneur ;
Tous deux s'en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie ;
Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,
Et la fable du Pot au lait. »
Fables, « Le Curé et le mort » , 1678
Jean de La Fontaine ditLa Fontaine
« Le couvert était mis dans ce lieu de plaisance,
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connaissance,
Deux nobles campagnards grands lecteurs de romans,
Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs compliments.
J'enrageais. Cependant on apporte un potage,
Un coq y paraissait en pompeux équipage,
Qui, changeant sur ce plat et d'état et de nom,
Par tous les conviés s'est appelé chapon.
[…]
On s'assied : mais d'abord notre troupe serrée
Tenait à peine autour d'une table carrée,
Où chacun, malgré soi, l'un sur l'autre porté,
Faisait un tour à gauche, et mangeait de côté.
[…]
Quand un des conviés, d'un ton mélancolique,
Lamentant tristement une chanson bachique,
Tous mes sots à la fois ravis de l'écouter,
Détonnant de concert, se mettent à chanter.
La musique sans doute était rare et charmante !
L'un traîne en longs fredons une voix glapissante,
Et l'autre, l'appuyant de son aigre fausset,
Semble un violon faux qui jure sous l'archet. »
Satires , 1666
Nicolas Boileau