Fiche annale
Sujet bac ES/S - Annale français 2014

BACCALAURÉAT GÉNÉRAL

SESSION 2014

FRANÇAIS

Série ES-S

Durée de l’épreuve : 4 heures – coefficient : 2

L’usage des calculatrices et des dictionnaires est interdit.

Le candidat s’assurera qu’il est en possession du sujet correspondant à sa série.

Objet d’étude :

Écriture poétique et quête de sens, du Moyen Âge à nos jours.

Le sujet comprend :

Texte A – Victor Hugo (1802-1885), « Crépuscule », Les Contemplations, II,XXVI (1856)

Texte B – Louis Aragon (1897-1982), « Vers à danser », Le Fou d’Elsa (1963)

Texte C – Claude Roy (1915-1997), « L’inconnue », À la lisière du temps (1986)

TEXTE A – Victor Hugo (1802-1885), « Crépuscule », Les Contemplations, II,XXVI (1856)

CRÉPUSCULE

L'étang mystérieux, suaire1 aux blanches moires2,

Frissonne ; au fond du bois la clairière apparaît ;

Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;

Avez-vous vu Vénus3 à travers la forêt ?

Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?

Vous qui passez dans l'ombre, êtes-vous des amants ?

Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines4;

L'herbe s'éveille et parle aux sépulcres5 dormants.

Que dit-il, le brin d'herbe ? et que répond la tombe ?

Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs6.

Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ;

Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.

Dieu veut qu'on ait aimé. Vivez ! faites envie,

Ô couples qui passez sous le vert coudrier7.

Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,

On emporta d'amour, on l'emploie à prier.

Les mortes d'aujourd'hui furent jadis les belles.

Le ver luisant dans l'ombre erre avec son flambeau.

Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles8,

Le brin d'herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.

La forme d'un toit noir dessine une chaumière ;

On entend dans les prés le pas lourd du faucheur ;

L'étoile aux cieux, ainsi qu'une fleur de lumière,

Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.

Aimez-vous ! c'est le mois où les fraises sont mûres.

L'ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,

Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,

Les prières des morts aux baisers des vivants.

Chelles, 18…

1 Suaire : linceul, c’est-à-dire drap blanc qui enveloppe les défunts.
2 Moires : les reflets changeants, mats ou brillants, de certains tissus.
3 Vénus : peut désigner la planète qui se lève (appelée aussi l’étoile du soir ou l’étoile du berger), mais aussi la déesse de l’amour.
4 Mousselines : étoffes de coton blanches portées par les promeneuses.
5 If : conifère souvent planté dans les cimetières.
6 Coudrier : variété de noisetier.
7 Javelle : brassée de céréales, destinée à être liée pour former une gerbe.

TEXTE B – Louis Aragon (1897-1982), « Vers à danser », Le Fou d’Elsa (1963)

VERS À DANSER

Que ce soit dimanche ou lundi

Soir ou matin minuit midi

Dans l’enfer ou le paradis

Les amours aux amours ressemblent

C’était hier que je t’ai dit

Nous dormirons ensemble

C’était hier et c’est demain

Je n’ai plus que toi de chemin

J’ai mis mon cœur entre tes mains

Avec le tien comme il va l’amble1

Tout ce qu’il a de temps humain

Nous dormirons ensemble

Mon amour ce qui fut sera

Le ciel est sur nous comme un drap

J’ai refermé sur toi mes bras

Et tant je t’aime que j’en tremble

Aussi longtemps que tu voudras

Nous dormirons ensemble

1 Amble : allure dans laquelle le cheval lève ensemble les deux jambes du même côté, alternativement avec celles du côté opposé.

TEXTE C – Claude Roy (1915-1997), « L’inconnue », À la lisière du temps (1986)

L'inconnue

Le premier froid luisant dans le soleil plain-chant1

le vif vent vert qui garde une bienveillance certaine

et le bleu du ciel aigu comme un cri bleu d'hirondelle

(elles sont pourtant bien loin--2--quelque part aux Afriques)

Il y a encore les arbres en chœur qui chantent en vert majeur

mais déjà les doigts de cuivre de l'automne les rouillent ici et là

et il y a un arbuste (nous ne savons pas son nom)

dont les feuilles roussies sont d'un capucine3 insolent

mais ne veulent pas être feuilles mortes0000et s'accrochent

Je suis simplement content d'être là avec toi

de marcher près de toi dans l'herbe entre les arbres

Plus je me sens rétrécir de l'écorce et du temps plus la vie est vaste plus le monde est grand

Mais ça ne me fâche pas0000ni ne me fait peur

Je ne saurai jamais l'allemand pour lire Rilke4 dans le texte

Je n'irai probablement ni à Kyoto5 ni à Bali6

Il se fait un peu tard pour maîtriser le piano

et je respecte sans pouvoir y entrer le savoir en mathématiques

de mon ami Jacques Roubaud70000Tout ça n'a pas beaucoup d'importance

Même si j'avais encore des ans et des années

jamais non plus je ne te déchiffrerais entière

jamais je ne connaîtrais tous les chemins de ta rêverie

Les gens qu'on aime sont pareils à l'horizon

qui se dérobe quand on avance et qui recule quand on approche

Mais le bonheur d'être avec toi

c'est de te connaître par cœur

et pourtant de si peu te savoir que chaque matin je m'émerveille

en découvrant à mon côté0000la mieux connue des inconnues

le Haut Bout

samedi 22 octobre 1983

1 Plain-chant : terme de musique qui désigne un chant dans lequel toutes les voix se font entendre à l'unisson.
2 Les espaces blancs, aux vers 4, 9, 14, 19, 25, 27, sont voulus par le poète.
3 Capucine : rouge orangé.
4 Rilke : poète de langue allemande (1875-1926).
5 Kyoto : ville du Japon.
6 Bali : l’une des îles de l’Indonésie.
7 Jacques Roubaud : poète et mathématicien contemporain de Claude Roy.

ÉCRITURE

I – Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Comment s’exprime le sentiment amoureux dans les trois textes du corpus ?

II – Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des trois sujets suivants (16 points) :

1- Commentaire

Vous ferez le commentaire du texte de Victor Hugo, « Crépuscule » (texte A).

2- Dissertation

D’où provient, selon vous, l’émotion que l’on ressent à la lecture d’un texte poétique ? Vous répondrez à cette question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et lus.

3- Invention

Un article paru dans une revue littéraire reproche aux poètes de privilégier des thèmes sérieux et graves. Vous répondez à cet article par une lettre destinée au courrier des lecteurs de cette revue. Votre réponse comportera des arguments qui s’appuieront sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.