L’Arctique : un espace fragile et attractif
Introduction :
L’Arctique a longtemps été délaissé par les États dont il formait la frontière. Cet espace peu connu, froid et hostile, résistait en grande partie à l’installation humaine. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la région éveille un nouvel intérêt. Ses nombreuses ressources suscitent la convoitise des grandes puissances qui bordent l’océan Arctique comme la Russie, le Canada ou les États-Unis. La fonte progressive de la banquise ouvre la possibilité d’une nouvelle route commerciale par le pôle qui concurrencerait les routes principales actuelles. Dès lors, l’impact de l’activité humaine sur cet espace fragile doit être questionné.
Dans une première partie, nous étudierons les caractéristiques physiques et politiques de la région arctique. Ensuite, nous nous intéresserons aux facteurs d’attractivité de cet espace polaire qui est aujourd’hui un lieu de tensions géostratégiques entre divers États. Enfin, nous nous interrogerons sur l’impact des activités humaines sur l’écosystème arctique.
Un milieu contraignant partagé entre plusieurs États
Un milieu contraignant partagé entre plusieurs États
Caractéristiques principales du milieu
Caractéristiques principales du milieu
L’Arctique est une région située dans l’hémisphère nord, à l’intérieur du cercle polaire arctique. Sa surface est de 21 millions de km². Les deux tiers de cette superficie sont couverts par l’océan Arctique, par ailleurs le plus petit océan du monde.
Conventionnellement, on délimite l’Arctique par la « ligne de Koppen » (en bleu sur la carte ci-dessus).
Ligne de Koppen :
La ligne de Koppen correspond au lieu à partir duquel les arbres ne poussent pas. La ligne de Koppen apporte aussi une donnée climatique : la température maximale y est de 10 °C en été. En Arctique l’hiver dure 9 mois.
L’Arctique est un milieu majoritairement composé d’espaces maritimes, ce qui explique pourquoi, contrairement à l’Antarctique, ce n’est pas un continent mais une zone maritime gelée. Cet espace d’eau gelée forme la banquise.
Banquise :
La banquise est de l’eau de mer gelée. Elle se compose donc d’eau salée. Il ne faut pas la confondre avec les icebergs qui sont des morceaux de glace détachés d’un glacier, composés d’eau douce.
Les espaces de terre, recouverts de lichens et de végétation basse, forment la toundra arctique. Le sol gelé caractéristique des espaces polaires s’appelle le pergélisol.
Pergélisol :
Le pergélisol est un sol gelé en permanence, pendant au moins deux années consécutives. On le nomme parfois par le terme anglais « permafrost ». Constitué de plusieurs couches, la partie supérieure peut dégeler en été et se reformer en hiver. Il atteint parfois plusieurs centaines de mètres de profondeur.
Pergélisol en Alaska (États-Unis d’Amérique) ©Brandt Meixell, USGS, 2014
Le milieu arctique est donc peu favorable à l’implantation humaine :
- la moyenne annuelle des températures est de - 37 °C. En hiver, elle se rapproche de - 60 °C ;
- l’espace arctique est isolé et peu accessible. Les contraintes naturelles rendent difficiles la mise en place de liaisons routières ou ferroviaires ;
- la nuit polaire est aussi une contrainte forte pour les activités humaines.
Nuit polaire :
La nuit polaire est la période de l’année durant laquelle, aux Pôles, le Soleil ne se lève pas. Au point le plus au nord, la nuit dure six mois, de septembre à mars.
Le terme « arctique » vient du grec ancien arkos qui signifie « ours ». C’est un espace habité par l’ours polaire, contrairement à l’Antarctique (« sans ours »).
L’espace arctique appartient à différents États qui se partagent ce vaste espace maritime aux multiples contraintes.
Organisation politique et démographique de l’espace arctique
Organisation politique et démographique de l’espace arctique
Sur le plan politique, l’espace arctique est partagé entre huit États :
- La Russie
- La Norvège
- L’Islande
- Le Danemark avec le Groenland
- Le Canada
- Les États-Unis avec l’État de l’Alaska
- La Suède
- La Finlande
Ce sont les États circumpolaires.
États circumpolaires :
Les États circumpolaires sont les États ayant une partie de leur territoire dans les zones polaires. Le terme « circumpolaire » vient du latin et signifie « autour du pôle ».
Ces huit États ont longtemps négligé l’espace arctique, compte tenu de ses contraintes naturelles. En revanche, l’Arctique est habité par des populations nomades autochtones qui se sont adaptées à ces contraintes. Elles sont parfois réparties sur plusieurs États comme les Inuits, présents au Canada, aux États-Unis et au Groenland.
Les populations autochtones étant mal répertoriées par certains États, il est difficile d’établir leur nombre exact. Cependant, ils sont peu nombreux. Le Canada, qui réalise des recensements réguliers, annonce un chiffre de 65 000 Inuits sur son territoire (soit seulement 0,2 % de la population du pays).
Malgré cette faible densité démographique, l’Arctique compte plusieurs villes de plusieurs milliers d’habitants. La plus grande est Mourmansk, en Russie, avec plus de 300 000 habitants.
Longtemps ignoré des puissances politiques, l’Arctique est aujourd’hui un espace convoité aux enjeux géopolitiques majeurs.
Un espace aux enjeux géopolitiques majeurs
Un espace aux enjeux géopolitiques majeurs
Un droit de la mer qui entraîne des revendications territoriales
Un droit de la mer qui entraîne des revendications territoriales
L’Arctique est un espace qui suscite des convoitises internationales depuis la guerre froide. Les États-Unis et l’URSS partageant une frontière de l’Arctique, cette dernière a fait l’objet d’une surveillance accrue lors des moments de tensions.
Aujourd’hui, les regains de tension proviennent de l’absence de définition claire des frontières maritimes.
La conférence de Montego Bay en 1982 a abouti à la rédaction d’un droit de la mer s’appliquant à tous les États du globe. Cette législation définit les espaces maritimes dépendants de chaque État :
- la Mer territoriale : 12 miles (19 km) à partir des côtes d’un État. L’État a tous les pouvoirs sur cet espace, y compris celui d’interdire le passage des navires étrangers ;
- la Zone Économique Exclusive (ZEE) est une zone de 200 miles (322 km) à partir des côtes d’un État. L’État est souverain sur cet espace maritime : il possède les ressources de la zone. Cependant, il ne peut pas empêcher la libre circulation d’un navire marchand. La ZEE peut s’étendre davantage, jusqu’à la limite du plateau continental ;
- au-delà, ce sont les eaux internationales : elles n’appartiennent à aucun État. Cela signifie que tout État du globe est libre d’en exploiter les ressources et d’y faire circuler ses navires.
Plateau continental :
Le plateau continental est la partie du continent qui se poursuit sous la mer.
Ces dispositions entraînent des désaccords entre les États bordant l’océan Arctique. Par exemple, la Russie réclame un élargissement de sa ZEE. Selon elle, son plateau continental se poursuit au-delà de 200 miles. En 2007, elle a commandité une opération de plongée, à plus de 4 000m de profondeur, pour en apporter la preuve. Les plongeurs y ont planté un drapeau russe en titane, hautement symbolique.
Ces querelles sur l’extension de la ZEE sont causées par la diversité et la richesse des ressources disponibles dans l’espace arctique.
Des ressources diverses et convoitées
Des ressources diverses et convoitées
Tout d’abord, l’Arctique est une région qui possède des ressources halieutiques très abondantes.
Ressources halieutiques :
Les ressources halieutiques désignent les ressources issues de la pêche (poissons, crustacés).
Le Pôle Nord est également un gisement d’hydrocarbures (ressources non renouvelables telles le pétrole ou le gaz naturel) encore peu exploités. Cependant, le pétrole est une ressource qui se raréfie dans les gisements traditionnels (Moyen-Orient, golfe de l’Afrique). Par conséquent, à l’avenir, l’Arctique pourrait devenir le site principal d’extraction pétrolière au monde. Les gisements d’hydrocarbures se trouvent au fond de l’océan Arctique : il s’agira donc d’exploitation off-shore.
Gisement off-shore :
Un gisement off-shore est un gisement qui se trouve au large des côtes.
À partir d’estimations géologiques, on estime que 22 % des ressources énergétiques non découvertes mais exploitables se trouveraient en Arctique. Cela explique l’intérêt des puissances mondiales pour cette zone.
Les ressources minières sont également importantes, notamment en Russie où la ville de Norilsk est devenue le premier site d’extraction de minerais non ferreux (nickel, cobalt) du pays. On trouve aussi dans l’Arctique des mines de diamants parmi les plus rentables du monde.
Depuis peu, l’Arctique attire également les convoitises en raison du développement d’une nouvelle route maritime : le passage par les routes polaires.
Une nouvelle route maritime
Une nouvelle route maritime
Depuis la fin du XXe siècle, le réchauffement climatique entraîne une fonte progressive de la banquise, qui libère un passage pour les navires de marchandises.
90 % du commerce mondial transite par voie maritime. Les marchandises sont majoritairement transportées dans des conteneurs. Il existe des routes maritimes principales, reliant les trois grands pôles de richesses que sont l’Asie de l’Est, l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord.
Ces nouvelles routes maritimes permettent des gains de temps et des économies en carburant considérables par rapport aux routes commerciales classiques, passant par le canal de Suez (Égypte) ou le canal de Panama (Amérique Centrale). La Russie affirme que le trafic maritime dans la zone est passé de 300 tonnes à 4 millions de tonnes par an en moins de vingt ans.
Cependant, ces routes restent des routes secondaires. Tout d’abord, elles ne sont praticables qu’en été, quand une partie de la banquise a fondu et ne s’est pas encore reconstituée. De plus, les navires marchands doivent être précédés par des navires « brise-glace », à coque renforcée, qui permettent d’éviter les chocs avec les icebergs présents dans l’océan Arctique.
Navires brise-glaces finlandais dans le port d’Helsinki, juillet 2010 ©Ludovic Péron – CC BY-SA 3.0
Ce récent intérêt pour l’espace arctique entraîne une pression anthropique sur le milieu, présentant des risques pour les écosystèmes et pour les populations.
Une pression anthropique (humaine) présentant de nouveaux risques pour le milieu et pour les populations
Une pression anthropique (humaine) présentant de nouveaux risques pour le milieu et pour les populations
L’impact écologique de l’exploitation de l’Arctique
L’impact écologique de l’exploitation de l’Arctique
L’Arctique subit le changement global au même titre que les autres espaces du globe. Au Pôle Nord, cela se matérialise par une fonte anormale de la banquise. Les conséquences sur la biodiversité sont déjà visibles : la réduction de la zone d’habitat des ours polaires est médiatisée sans que des solutions ne soient apportées.
Cependant, la surexploitation humaine de la zone entraine d’autres conséquences sur les écosystèmes :
- l’utilisation des brise-glaces fragilise encore davantage la banquise ;
- l’extraction minière et pétrolière entraine des pollutions diverses : pollution de l’air, pollution des sols, risque de contamination de l’eau ;
- l’exploitation des gisements off-shore induit un risque important de marée noire qui fragiliserait fortement l’écosystème sur un temps long.
Marée noire :
Une marée noire est un écoulement accidentel de pétrole brut dans l’océan.
En 2015, la revue scientifique américaine Nature a publié un article selon lequel un tiers des réserves de pétrole, la moitié des ressources de gaz, et 80 % des ressources de charbon ne devraient pas être exploitées, si l’on souhaite respecter l'objectif de hausse des températures de 2 °C maximum d'ici 2050. Dès lors, de nombreuses associations comme le WWF alertent sur les risques d’une exploitation des hydrocarbures en Arctique.
Enfin, un nouveau risque pèse sur les écosystèmes. En raison des fortes contraintes naturelles, l’Arctique est restée longtemps protégée du tourisme de masse. Néanmoins, l’attrait pour les régions dites « extrêmes » se développe. Or, le tourisme polaire représente un danger pour l’équilibre du milieu arctique en raison de la pollution qu’il engendre. On peut citer l’exemple des navires de croisières dans l’océan Arctique, précédés de brise-glaces, qui fragilisent le milieu marin dans son ensemble.
Une croisière en Alaska, face au glacier, février 2017
La prise en compte des enjeux écologiques a amené les États du cercle polaire à prendre des mesures pour limiter l’impact de l’homme en Arctique.
Vers une meilleure protection de la région arctique ?
Vers une meilleure protection de la région arctique ?
Depuis 1996, les huit États du cercle polaire se sont réunis au sein du Conseil de l’Arctique.
Conseil de l’Arctique :
Le Conseil de l’Arctique s’est constitué en 1996 à l’initiative des huit pays du cercle polaire arctique : Russie, Norvège, Suède, Finlande, Islande, Danemark (Groenland), Canada et États-Unis. Cette organisation intergouvernementale a pour mission de promouvoir le développement durable dans l’espace arctique.
Le développement durable est un mode de développement fondé sur trois piliers : économique, social et environnemental. Il vise à « répondre aux besoins actuels de la population sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Rapport Bruntland, 1987).
Le Conseil de l’Arctique a mis en place divers groupes de travail visant à protéger les espèces marines, à limiter les polluants ou encore à mesurer les évolutions climatiques de la zone. Cependant, les différentes actions menées ne semblent pas freiner l’exploitation des ressources.
Plus récemment, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) a publié le Code polaire. Il s’agit d’un texte de lois réglementant la navigation dans les eaux polaires. Il concerne donc l’Arctique mais aussi l’Antarctique.
Code polaire :
Le Code polaire est un recueil de lois élaboré par l’Organisation Maritime Internationale en 2017. Il vise à limiter l’impact de l’exploitation des ressources en Arctique en imposant des normes de sécurité et des normes environnementales aux navires naviguant dans les eaux polaires.
La mise en application du Code polaire est encore trop récente pour analyser son efficacité sur la pollution en milieu arctique.
Conclusion :
L’espace arctique est un espace fragile, doté de ressources variées mais présentant de fortes contraintes pour l’implantation humaine. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, il génère un intérêt nouveau de par ses ressources en hydrocarbures mais aussi en raison du développement d’une nouvelle route commerciale maritime. Cette exploitation par l’homme entraîne des menaces qui affectent l’écosystème et les populations autochtones qui y vivent. Les mesures internationales récentes semblent montrer une volonté de promouvoir le développement durable mais les résultats sont insuffisants.