L'autobiographie : raconter le monde
Introduction :
L’autobiographie consiste à faire le récit de sa vie. L’auteur retranscrit fidèlement son expérience et la partage avec son lecteur. Mais, outre le fait de se raconter, l’autobiographie peut également être l’occasion de révéler quelque chose de plus grand, elle peut être un témoignage.
Nous étudierons dans ce cours deux formes d’autobiographie. D’une part, le récit autobiographique de Primo Lévi, qui nous révèlera que l’autobiographie peut constituer un véritable témoignage historique. Et d’autre part, le film d’animation de Marjane Satrapi, qui nous permettra de constater que l’autobiographie peut à la fois émouvoir et informer le spectateur.
Un témoignage historique
Un témoignage historique
Si c’est un homme est un roman autobiographique de Primo Levi écrit en 1947. Cette œuvre constitue un témoignage précieux de l’enfer vécu par les juifs déportés dans les camps d’extermination durant la Seconde Guerre mondiale. L’auteur est un docteur en chimie italien, il raconte son expérience au sein du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz au cours de l’année 1944.
Entrée par la voie ferrée d’Auschwitz en 1945
Dans l’extrait suivant, Primo Levi et plus de six cents autres personnes sont débarqués sur un quai après avoir effectué un voyage en train épuisant. À leur arrivée, un tri est opéré par les SS pour déterminer qui sera à même de travailler efficacement pour le camp et qui sera exécuté.
SS :
« SS » est l’abréviation de la Schutzstaffel, une organisation policière, militaire et politique nazie ayant existé entre 1925 et 1945.
« En moins de dix minutes, je me trouvai faire partie du groupe des hommes valides. Ce qu’il advint des autres, femmes, enfants, vieillards, il nous fut impossible alors de le savoir : la nuit les engloutit, purement et simplement. Aujourd’hui pourtant, nous savons que ce tri rapide et sommaire avait servi à juger si nous étions capables ou non de travailler utilement pour le Reich1 ; nous savons que les camps de Buna-Monowitz et de Birkenau n’accueillirent respectivement que quatre-vingt-seize hommes et vingt-neuf femmes de notre convoi et que deux jours plus tard il ne restait de tous les autres – plus de cinq cents – aucun survivant. Nous savons aussi que même ce semblant de critère dans la discrimination entre ceux qui étaient reconnus aptes et ceux qui ne l’étaient pas ne fut pas toujours appliqué, et qu’un système plus expéditif fut adopté par la suite : on ouvrait les portières des wagons des deux côtés en même temps, sans avertir les nouveaux venus ni leur dire ce qu’il fallait faire. Ceux que le hasard faisait descendre du bon côté entraient dans le camp ; les autres finissaient à la chambre à gaz. »
1 Le Reich est un terme allemand, il fait référence ici à l’État allemand, le troisième Reich, dirigé par Hitler entre 1933 et 1945.
L’auteur emploie ici les pronoms personnels « je » et « nous », ce qui est une des caractéristiques de l’écriture autobiographique.
L’emploi du pronom personnel « nous » a deux fonctions. D’une part, cela montre la volonté de l’auteur de se faire le porte-parole de ceux qui ont souffert et qui ne peuvent pas faire entendre leur voix : « il nous fut impossible alors de le savoir ».
Porte-parole :
Un porte-parole est quelqu’un qui parle au nom d’une autre personne ou d’un groupe.
Et d’autre part, le « nous » est également employé pour désigner l’humanité toute entière qui connaît aujourd’hui l’horreur des camps : « nous savons que ce tri rapide et sommaire avait servi à juger si nous étions capables ou non de travailler utilement pour le Reich », « nous savons aussi que même ce semblant de critère dans la discrimination entre ceux qui étaient reconnus aptes et ceux qui ne l’étaient pas ne fut pas toujours appliqué ».
Primo Levi mêle ainsi deux niveaux de connaissance :
- l’expérience qu’il a vécue et vue de ses yeux,
- mais aussi ce qu’il a appris par la suite.
Deux temps sont donc présents :
- le temps de l’action : le passé simple et l’imparfait évoquant des événements vécus dans le camp,
- et le temps de l’écriture : le présent de l’indicatif nous rappelle que l’auteur écrit son roman deux ans après sa sortie du camp.
Primo Lévi révèle des informations précises tel un scientifique. Il livre notamment les chiffres des hommes et des femmes qui ont été conservés pour travailler au camp « quatre-vingt-seize hommes et vingt-neuf femmes », et ceux qui n’ont pas survécu qui sont « plus de cinq cents ».
Il élabore un témoignage objectif en choisissant de mettre à distance ses émotions.
Objectivité :
L’objectivité consiste à n’apporter aucun jugement personnel, à décrire les faits conformément à la réalité.
Primo Levi dénonce l’horreur et le caractère injuste du traitement réservé aux Juifs ; notamment à travers la narration du procédé de sélection qu’appliquaient les nazis, selon si l’on tombait d’un côté ou de l’autre du train. Ce manque d’humanité est énoncé par l’auteur avec distance, presque froidement.
Primo Levi, à travers son autobiographie, se fait donc témoin, afin de rendre hommage aux victimes mais surtout de révéler la vérité sur ce que l’humanité a pu engendrer.
- C’est donc le devoir de mémoire qui est l’enjeu principal de ce récit autobiographique.
L’Histoire peut ainsi gagner à être éclairée par le récit d’une seule vie. L’autobiographie prend ses racines dans le réel, elle permet donc d’obtenir un point de vue sur une époque. Tout en divertissant le lecteur, elle lui permet de prendre conscience d’une réalité qui lui échappait jusqu’alors.
Émouvoir et informer
Émouvoir et informer
L’œuvre autobiographique donne au lecteur une vision de la vie de l’auteur mais aussi du contexte historique dans lequel il évolue.
La bande dessinée Persépolis est une œuvre autobiographique de Marjane Satrapi publiée entre 2000 et 2003. Elle a été adaptée en film d’animation en 2007 par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud.
L’auteure raconte son enfance en Iran dans les années 70, sous le régime dictatorial du chah puis sous celui de l’ayatollah Khomeiny.
Chah :
« Chah » (ou « shah ») est un titre porté par les empereurs de Perse. Il s’agit ici de Mohammad Reza Chah, qui a été le dernier chah d’Iran.
Ayatollah :
L’ayatollah est le titre religieux le plus élevé du chiisme, un courant de la religion musulmane.
Marjane mène, malgré les événements, une vie heureuse au sein d’une famille très soudée. Mais lors de la guerre Iran/Iraq, sa famille décide de l’envoyer à Vienne poursuivre ses études. La scène que nous allons étudier se déroule en Iran, à l’aéroport de Téhéran, où la jeune fille dit au revoir à ses parents.
Cette scène commence à quarante minutes et quarante-trois secondes du film.
Cette scène fait écho à la scène d’exposition.
Scène d’exposition :
La scène d’exposition est la première scène d’un film ou d’une pièce de théâtre.
En effet, dans la première scène du film, Marjane est seule à l’aéroport d’Orly, à Paris, et s’apprête à prendre l’avion pour Téhéran.
- La scène est alors en couleur.
Mais dans la scène que nous allons étudier ici, le noir et le blanc dominent car il s’agit d’un souvenir ; la voix off de Marjane, qui accompagne le film et raconte son histoire, est ici absente.
La scène s’ouvre sur un plan d’ensemble laissant apparaître Marjane et ses parents à la porte d’embarquement.
Plan d’ensemble :
Un plan d’ensemble est un plan où l’on peut voir à la fois le décor et les personnages, il permet de situer les personnages dans leur milieu.
Les parents de Marjane se veulent rassurants et lui prodiguent des conseils. Les gros plans sur le visage de Marjane, baigné de larmes, ainsi que sur celui de ses parents alternent et donnent une intensité dramatique à l’extrait.
Gros plan :
Un gros plan est un plan cadré uniquement sur un objet ou une partie du corps, par exemple un visage ou une main.
La phrase nominale « pas de larme » est répétée à plusieurs reprises par ses parents afin de redonner du courage à Marjane.
Une phrase nominale est une phrase ne comportant pas de verbe.
On peut entendre démarrer une musique aux résonnances orientales qui laisse planer un sentiment de tristesse. C’est ce qu’on appelle une musique de fosse.
Musique de fosse :
La musique de fosse est, au cinéma, une musique dont la source sonore n’apparaît pas à l’écran. C’est une musique principalement destinée à créer une ambiance ou une émotion particulière.
Le père de Marjane lui donne un dernier conseil, « n’oublie jamais qui tu es et d’où tu viens », destiné à lui rappeler que même si elle s’apprête à vivre sa vie à l’européenne, elle ne doit pas oublier son identité iranienne, sa culture. Les parents, émus, étreignent leur fille une dernière fois en lui disant les mots doux : « ma fille » et « ma p’tite Marji ».
Un plan d’ensemble montre Marjane s’éloignant lentement, puis un fondu enchainé laisse place à la fouille de la valise.
Fondu enchainé :
Le fondu enchainé est une technique cinématographique pour raccorder deux plans entre eux. La première image disparaît peu à peu pour laisser apparaître la deuxième : elle se fond progressivement dans la suivante.
Après un nouveau fondu enchainé, les parents de Marjane sont de dos et le spectateur est placé juste derrière eux : il adopte leur point de vue. On voit donc Marjane s’éloigner dans le couloir qui la conduit à son avion. Alors qu’on observe Marjane, on peut remarquer que, de dos, rien ne la différencie des autres femmes : il y a une uniformisation de la tenue féminine en Iran. En effet, les lois dictatoriales de l’époque imposaient aux femmes de porter le tchador, un voile ne laissant apparaître que leur visage.
Uniformisation :
L’uniformisation a pour principe de rendre uniforme, pareil pour tous. Il n’existe alors plus aucune différence.
Apparait ensuite un champ contre champ qui laisse voir le visage de Marjane de face, marchant sereinement. Mais derrière elle, le spectateur peut voir à travers la vitre sa mère qui s’effondre de chagrin.
Champ contre champ :
Le champ contre champ est une technique de prise de vue cinématographique destinée à filmer une scène sous un certain angle puis à filmer la même scène d’un angle opposé.
Marjane s’est retournée et un gros plan est fait sur son visage, d’abord souriant puis inquiet et étonné. La dernière scène montre, grâce à un nouveau champ contre champ, ce que voit Marjane : son père, de dos, s’éloigne en portant sa mère évanouie dans ses bras. Les parents sont représentés en ombres chinoises, puis un fondu au noir les absorbe.
Fondu au noir :
Le fondu au noir permet de créer une transition entre deux plans, l’écran devient alors progressivement totalement noir.
Cet extrait mêle émotion et dénonciation subtile de l’époque difficile dans laquelle est plongée Marjane.
En effet, l’auteure raconte le déchirement que le contexte politique a infligé à cette famille : l’obligation de se séparer.
L’alternance des champs contre champs permet de rendre compte des différents points de vue des personnages afin de saisir l’ampleur de l’émotion qui les submerge.
Conclusion :
L’autobiographie n’est pas uniquement le récit d’une vie. Chaque auteur étant lié à une époque, un pays et une culture, il peut transmettre, à travers sa narration, un véritable témoignage. Ainsi, à travers la narration de sa vie, l’auteur peut transmettre des émotions et des informations précieuses à la fois au lecteur mais aussi à l’Histoire.