La liberté d’expression
Introduction :
La liberté d’expression est une liberté fondamentale reconnue en France dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (1789), ainsi que dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). Néanmoins, cette liberté n’est pas absolue. En effet, en France, la liberté d’expression est encadrée par un ensemble de textes législatifs qui visent à protéger la dignité et la vie privée des citoyens.
Alors, quelle relation relie la liberté d’expression et la démocratie ?
Dans un premier temps, nous verrons que la liberté d’expression est une liberté fondamentale, indispensable à l’exercice de la démocratie. Puis, nous analyserons les limites à cette liberté et les menaces qui pèsent sur son exercice.
La liberté d’expression en France : une liberté fondamentale
La liberté d’expression en France : une liberté fondamentale
À l’instar de nombreux droits et acquis sociaux en France, la liberté d’expression est une conséquence de la Révolution française.
Mais elle a connu une progression chaotique avant d’être ce qu’elle est aujourd’hui.
Définition et enjeux
Définition et enjeux
Il faut tout d’abord comprendre précisément de quoi il est question lorsque l’on parle de liberté d’expression dans notre pays.
Liberté d’expression :
Ce droit individuel reconnaît à chacun et chacune la possibilité d’exprimer librement ses idées, ses opinions, par tous les moyens autorisés jugés appropriés (paroles, écrits, images…) et dans les limites du respect d’autrui.
Ainsi, toute personne est libre de penser comme elle l’entend, libre d’affirmer des opinions même contraires à la majorité, de les exprimer dans la mesure où cela ne porte pas atteinte au respect de l’autre.
- De la liberté d’expression résultent de nombreuses libertés : la liberté de la presse, la liberté de la communication audiovisuelle, la liberté d’expression sur Internet mais aussi la liberté d’association, la liberté syndicale, la liberté de manifester… On constate donc que la liberté d’expression constitue un véritable socle fondateur des libertés et de la démocratie.
La liberté d’expression est une conséquence directe de la Révolution française. En effet, elle a été instituée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) qui stipule :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Peinture de Jean-Jacques Le Barbier représentant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 sanctuarise cette liberté fondamentale.
La liberté d’expression en France recouvre ainsi une définition précise et des limites qui le sont tout autant. Fidèle à l’esprit de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, l’expression est une liberté qui s’exerce dans la limite où elle ne nuit pas à autrui.
Une liberté indispensable au débat démocratique
Une liberté indispensable au débat démocratique
La liberté d’expression est une condition indispensable du débat démocratique. En effet, elle permet de garantir l’expression du pluralisme politique et de la liberté d’opinion énoncés par l’article 19 de la DDHC :
« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Le pluralisme politique est l’existence de différentes sensibilités politiques au sein d’une société, permettant ainsi aux citoyennes et citoyens d’exercer leur liberté de choix concernant leurs représentants (partis politiques).
La liberté d’expression est donc indispensable à la stabilité des sociétés démocratiques.
En effet, elle permet la circulation des idées, notamment politiques, et donc l’existence de débats contradictoires, qui sont un pilier de la démocratie représentative.
À ce titre, la liberté d’expression s’oppose à la censure.
Censure :
Limitation arbitraire ou idéologique de la liberté d’expression par une autorité (par exemple l’État).
Cette liberté fondamentale, héritée de la Révolution française, constitue aujourd’hui un des principes fondamentaux de l’Union européenne. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 dispose ainsi, dans son article 11, que « la liberté d’expression est un droit supranational qui s’impose aux États membres et signataires ».
La liberté d’expression est donc garantie en France et dans l’ensemble de l’Union européenne pour l’ensemble des informations et des idées, qu’elles soient partagées ou qu’elles heurtent ou inquiètent tout ou partie de la population, voire l’État lui-même.
Dans un arrêt (Handyside c. Royaume-Uni) rendu le 7 décembre 1976, la Cour européenne des droits de l’Homme a consacré la liberté d’expression comme un fondement essentiel de la démocratie, considérant que « la liberté d’information vaut non seulement pour la diffusion des idées considérées comme inoffensives ou inopérantes, mais elle vaut également pour les informations ou idées qui heurtent, choquent ou inquiètent l’opinion ou les pouvoirs publics ». Dans cette affaire, un éditeur britannique, Handyside, avait été contraint par la justice de son pays de renoncer à la publication d’un manuel scolaire destiné aux adolescents dont elle avait jugé le contenu amoral. La Cour européenne des droits de l’Homme, sans remettre en question le caractère amoral du manuel scolaire en question, a néanmoins estimé que la liberté d’expression et d’informer de l’éditeur avait été bafouée par la justice britannique.
Une liberté encadrée et menacée
Une liberté encadrée et menacée
En France, la liberté d’expression est encadrée par un ensemble de textes législatifs qui visent à protéger la dignité et la vie privée des citoyens. Ces textes permettent également de lutter contre les propos discriminants ou visant à la haine ou au rejet de l’autre.
Une liberté encadrée par la loi
Une liberté encadrée par la loi
Dès l’origine, la liberté d’expression est encadrée dans la DDHC. En effet, il est mentionné dans son article 11 que cette liberté s’exerce dans la mesure où elle ne nuit pas à autrui. La liberté d’expression n’est donc pas absolue. Des restrictions sont prévues par la loi.
Les propos diffamatoires, racistes, appelant à la haine raciale ou au meurtre sont ainsi punis par la loi. La liberté d’expression comporte également des limites pour protéger les droits des tiers (vie privée, droit à l’image, droits d’auteur).
Au niveau européen, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950 rappelle que cette liberté est encadrée par la loi : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi. ».
Néanmoins, ces limitations ne peuvent s’appliquer, de façon très restrictive, qu’à certains domaines déterminés comme la sécurité nationale, la défense publique, ou « la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
Fin juin 2022, le journaliste Alex Jordanov a été mis en examen par un juge d’instruction du tribunal de Paris plus le 2 ans après la publication de son livre Les guerres de l’ombre de la DGSI. En effet, le juge a estimé que le journaliste avait franchi les limites fixées à la liberté d’expression en divulguant des informations classées secret défense.
En 2023, malgré l’inquiétude de Reporter sans frontières sur la protection des sources des journalistes dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a estimé que les poursuites étaient conformes à la loi dans la mesure où le journaliste ne pouvait pas se réclamer de la liberté d’expression et de la liberté de la presse dès lors que les informations contenues dans son ouvrage menacent la sécurité nationale.
Le droit à la liberté d’expression, fondement de la liberté de la presse, ne peut également pas être invoqué par l’auteur de propos, paroles ou écrits diffamatoires.
La diffamation est la volonté de porter atteinte publiquement à l’honneur, à la dignité ou à la réputation d’un individu.
De même, la loi Pleven du 1er juillet 1972 qui condamne la haine et la provocation raciales et la loi Gayssot, adoptée en 1990, restreignent la liberté d’expression.
Loi Gayssot :
Loi française qui sanctionne les négateurs des crimes perpétrés par les nazis dont la Shoah.
Concrètement, la loi Pleven permet aux associations antiracistes de se constituer partie civile, c’est-à-dire de pouvoir obtenir, à travers une procédure judiciaire, la reconnaissance d’un préjudice. Parallèlement, la loi reconnaît les incitations à la haine ou à la provocation raciale comme des infractions pénales, donc punissables par la loi. Depuis, cette loi a été étendue aux propos sexistes et homophobes.
La loi Gayssot intervient dans un contexte de montée du racisme et du révisionnisme.
Révisionnisme :
Idéologie qui tend à minimiser le génocide des Juifs par les nazis et prétend réviser l’histoire sur ce point.
Cette loi vient compléter la loi Pléven et fait du révisionnisme un délit. De même, elle renforce les sanctions à l’encontre des discours, actes et incitations racistes.
Les critiques contre cette loi mémorielle soulèvent cependant le fait que l’on condamne des propos de façon très systématique sans prendre le temps d’avoir un réel discours permettant de mettre en avant des arguments importants pour la conscience collective.
Cependant, l’anonymat garanti par Internet impose une vigilance nouvelle au regard de propos haineux qui peuvent être déversés sans que leurs auteurs puissent être inquiétés. C’est donc un réel enjeu de la vie civique actuelle.
Une liberté menacée susceptible de dérives difficiles à encadrer
Une liberté menacée susceptible de dérives difficiles à encadrer
La liberté d’expression est une liberté fragile qu’il convient de protéger.
En effet, sa limite n’est pas toujours évidente à établir et certaines décisions peuvent « grignoter » son étendue.
En novembre 2020, l’Assemblée nationale a adopté, dans un climat tendu, la « loi sécurité globale » et un article très controversé (article 24) qui prévoyait la pénalisation de la diffusion sur les réseaux sociaux d’images qui permettraient d’identifier des membres des forces de l’ordre. De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une atteinte à la liberté d’expression et un risque de musellement de l’information. En mai 2021, cet article a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel qui l’a jugé trop imprécis et donc contraire à la Constitution.
Autre exemple : en 2009, un petit groupe de militants pro-palestiniens appellent au boycott des produits israéliens dans un supermarché en Alsace pour protester contre l’occupation des territoires palestiniens et dénoncer des atteintes aux droits de l’homme dans la bande de Gaza. Renvoyés devant le tribunal, les militantes et militants sont condamnés par la justice française qui juge que leur action constitue une « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation ». Les personnes inculpées s’en remettent alors à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui finit par condamner la France en 2020 pour violation de la liberté d’expression, considérant que l’appel au boycott en question s’inscrivait dans un débat contemporain et constituait une forme d’expression politique et militante légitime, aucun incident ou acte de violence n’ayant été constaté.
On voit donc que l’étendue de la liberté d’expression et ses limites sont relativement flottantes et que, selon les contextes, ce flou peut porter atteinte à la liberté d’expression.
La liberté d’expression est donc un droit fondamental qu’il convient de protéger, notamment contre les tentatives de censure. Mais protéger la liberté d’expression, c’est aussi la protéger contre ses propres dérives.
Le développement d’Internet et des réseaux sociaux, et l’anonymat qu’ils permettent, peuvent par exemple, entraîner des dérives de la liberté d’expression. Le cyberharcèlement constitue une de ces dérives.
Cyberharcèlement :
Harcèlement pratiqué par voie électronique, principalement sur les réseaux sociaux.
Concrètement, plusieurs formes de cyberharcèlement existent. C’est notamment le cas du harcèlement en ligne, qui consiste à envoyer des messages menaçants, violents ou diffamatoires de façon répétitive à une personne ou le doxxing, qui se traduit par la diffusion des informations personnelles (adresse, numéro de téléphone) de la victime sur Internet dans le but de lui nuire. De nombreuses personnalités, comme des anonymes, sont victimes de cette dérive de la liberté d’expression. C’est également le cas de journalistes et de personnalités politiques dont on veut restreindre la liberté d’expression par l’intimidation.
En 2022, la journaliste Christine Kelly a été victime d’une violente campagne de cyberharcèlement en ligne qui s’est notamment traduite par des menaces de mort et de décapitation.
L’équilibre entre la protection de la liberté d’expression et la lutte contre les comportements nuisibles en ligne est difficile.
En effet, en France, le Code pénal prévoit des sanctions contre les auteurs de harcèlement moral, notamment en ligne. Les peines encourues peuvent aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Néanmoins, du fait de l’anonymat que permet Internet, il est difficile d’identifier les auteurs de cyberharcèlement. Il s’agit pourtant d’un problème d’ampleur, puisqu’une enquête de l’OMS de 2024 (Organisation mondiale de la santé) estime que 15 % des adolescents sont ou ont été victimes de cyberharcèlement.
La liberté d’expression est également menacée par le terrorisme. Les attentats contre la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, mais également les menaces ou les agressions à l’encontre de journalistes, d’intellectuels ou d’écrivains tendent à mettre en danger la liberté d’expression.
L’écrivain Salman Rushdie, symbole de la lutte pour la liberté d’expression et objet d’une fatwa depuis 1989 dans l’espoir de le faire taire, a été violemment agressé lors d’une conférence littéraire aux États-Unis en août 2022, perdant notamment un œil lors de l’attaque.
Conclusion :
La liberté d’expression est une liberté fondamentale née de la Révolution française. Indispensable au débat démocratique, la liberté d’expression, garante de la liberté de la presse et du pluralisme politique est un pilier de la démocratie. Néanmoins, cette liberté n’est pas absolue. Encadrée par la loi, tant au niveau national qu’européen, cette liberté est aujourd’hui menacée et objet de dérives à l’image du cyberharcèlement. Face aux bouleversements liés au développement du numérique, le défi pour les États est donc d’adapter leur cadre réglementaire afin de concilier liberté d’expression et protection des droits et de la dignité des citoyens.