La ruse au Moyen Âge

Introduction :

La ruse est le fait d’obtenir ce que l’on veut par un procédé habile mais malhonnête. Elle est souvent au cœur de la farce ou du fabliau au Moyen Âge. La ruse est un moyen pour le héros d’arriver à ses fins mais le plus rusé n’est pas toujours celui que l’on croit.

Nous étudierons dans ce cours comment la ruse s’exprime dans les textes du Moyen Âge, à travers la pièce de théâtre La Farce de Maître Pathelin et dans le fabliau Brunain la vache au prêtre.

La Farce de Maître Pathelin

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Définition

Farce :

La farce est un genre théâtral qui connait un grand succès au Moyen Âge. Il s’agit d’une courte pièce de théâtre destinée à faire rire et dont le registre de langue est familier. L’intrigue est souvent simple et les procédés comiques grossiers.

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À retenir

Il existe trois registres de langues : le registre soutenu, le registre courant et le registre familier.

  • Le registre soutenu emploie un vocabulaire et des tournures de phrases complexes, c’est un niveau de langue élevé employé en littérature ou à l’écrit.
  • Le registre courant est le niveau de langue que l’on emploie tous les jours.
  • Le registre familier est un niveau de langue que l’on emploie entre amis et qui est quelque fois grossier ou vulgaire.

La Farce de Maître Pathelin est la farce médiévale la plus célèbre. Publiée vers 1465, elle présente les principales caractéristiques de la farce, comme la ruse, les déguisements, ou encore des personnages issus du peuple.

L’avocat Pathelin avec le berger Agnelet, dans l’édition de <em>La Farce de Maître Pathelin</em> de 1564-Français-6e L’avocat Pathelin avec le berger Agnelet, dans l’édition de La Farce de Maître Pathelin de 1564

Maître Pathelin est avocat. Agnelet, un berger, est convoqué au tribunal à cause de son employeur, le drapier, qui l’accuse de voler et de manger ses moutons.
Pathelin est résolu à tromper le drapier et trouve une ruse pour gagner le procès. Il propose au berger de faire semblant d’être simple d’esprit. Grâce à ce mensonge, il parvient à gagner le procès. Mais au moment d’être payé, Pathelin est dupé par Agnelet qui se met à bêler au lieu de parler. Voici l’extrait en question :

« PATHELIN au berger :
Dis, l’Agnelet.

LE BERGER :
Bée !

PATHELIN :
Viens ici, viens. Ton affaire est-elle bien réglée ?

LE BERGER :
Bée !

PATHELIN :
La partie adverse s’est retirée. Ne dis plus ‟Bée !” ce n’est plus la peine ! Ne l’ai-je pas bien embobiné ? Ne t’ai-je pas conseillé comme il fallait ?

LE BERGER :
Bée !

[…]

PATHELIN :
À dire vrai, tu as très bien joué ton rôle, tu t’es montré à la hauteur. Ce qui lui a donné le change, c’est que tu t’es retenu de rire.

LE BERGER :
Bée !

PATHELIN :
Quoi ‟Bée” ? Tu n’as plus besoin de le dire. Paie-moi généreusement.

LE BERGER :
Bée !

PATHELIN :
Quoi ‟Bée” ? Parle correctement ! Paie-moi, et je m’en irai.

LE BERGER :
Bée ! »

Les réponses du berger se résument à un bêlement qui est reproduit par l’onomatopée « bée ! ».

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Définition

Onomatopée :

Une onomatopée est un son que l’on tente de retranscrire à l’écrit, comme le cri d’un animal ou le bruit que fait un objet.

L’avocat quant à lui, tente de communiquer avec son client mais sans succès. On peut constater qu’il prend le berger pour plus bête qu’il ne l’est, et tente de le faire parler. Il commence par lui expliquer qu’il n’a plus besoin de bêler. Puis, voyant que le berger continue, Maître Pathelin le félicite pour avoir bien joué son rôle, « À dire vrai, tu as très bien joué ton rôle, tu t’es montré à la hauteur ». Mais voyant que ses techniques pour le faire parler ne paient pas, il s’agace et durcit le ton « Quoi « Bée » ? Parle correctement ! Paie-moi, et je m’en irai ».
On peut remarquer que Maître Pathelin a une attitude paternaliste envers son client qu’il pense moins intelligent que lui.

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Définition

Paternaliste :

Une attitude paternaliste consiste à se comporter comme un père envers une autre personne, on le protège, on l’éduque mais cette personne doit en retour respect et obéissance.

On peut relever les verbes « viens », « dis », « paie », « parle » : maître Pathelin emploie l’impératif lorsqu’il s’adresse au berger. Il se croit supérieur à lui et lui donne des ordres. Le fait de le féliciter pour son rôle peut également être considéré comme du paternalisme.
Enfin les phrases exclamatives « Ne dis plus ‟Bée !” ce n’est plus la peine ! » et « Parle correctement ! » traduisent l’agacement de l’avocat.

C’est l’obstination du berger à bêler mais aussi l’énervement de son avocat qui provoque le rire du spectateur. Mais l’élément le plus comique dans cette scène est le fait que ce soit précisément l’avocat qui ait enseigné ce tour à son client et qu’il se fasse avoir. C’est le thème de l’arroseur arrosé.

Cette expression renvoie à une thématique plusieurs fois reprise dans les jeux de duperie. La personne qui voulait tromper se trouve trompée à son tour. On retrouve cette thématique dans un des premiers films du cinéma français (Arroseur et arrosé, par Louis Lumière, 1895), dans lequel un arroseur se retrouve arrosé par les bêtises d’un garçon.

Celui qui croyait faire une farce est en fait celui qui en subit les effets. En effet, Maître Pathelin est celui qui a encouragé l’Agnelet à jouer les simples d’esprit pour obtenir ce qu’il désirait. Mais il ne sera pas payé car cette ruse se retourne contre lui à présent, puisque le berger joue à nouveau les simples d’esprit afin de ne pas payer l’avocat.

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À retenir

Cette farce enseigne au spectateur que les plus malins ne sont pas toujours ceux que l’on croit, et qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

Observons à présent comment s’exprime la ruse dans le fabliau Brunain la vache au prêtre.

Brunain la vache au prêtre

Brunain la vache au prêtre est un fabliau du XIIe siècle de Jean Bodel.

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Définition

Fabliau :

Un fabliau est court récit écrit en vers destiné à amuser le lecteur mais qui livre aussi une morale, un enseignement.

Dans ce fabliau, un prêtre malhonnête explique à ses fidèles qu’ils doivent faire preuve de générosité en donnant leurs biens à l’église et que Dieu leur rendra au double. Un paysan et sa femme décident d’appliquer le conseil du prêtre en lui offrant leur seule vache. Voici un extrait du fabliau :

« Le vilain1 va dans son étable, et prend la vache par la corde. Il la présente à son curé. Celui-ci était fin et madré2 :
‟Cher sire, dit l’autre les mains jointes, en jurant qu’il n’a pas d’autres biens. Pour l’amour de Dieu, je vous donne Blérain3.”
Il lui a mis la corde au poing, et jure qu’elle n’est plus sienne.
‟Ami, tu viens d’agir sagement, répond le curé dom Constant qui toujours est d’humeur à prendre. Retourne en paix, tu as bien fait ton devoir.” »

1 Au Moyen Âge, un vilain est un paysan libre.
2 Un madré est un homme rusé.
3 Blérain est le nom de la vache du paysan.

Blérain la vache au prêtre-français-6e

Le paysan est un personnage crédule.

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Définition

Crédule :

L’adjectif crédule désigne quelqu’un de naïf, qui croit tout ce qu’on lui dit.

Il a cru ce que le prêtre a dit à la messe et sans y réfléchir, lui a donné son seul et unique bien. Le prêtre est un personnage malhonnête, il abuse de la naïveté de ses fidèles pour se faire offrir des biens. Il est qualifié par les adjectifs « fin et madré » et l’auteur le décrit ainsi : « le curé dom Constant qui toujours est d’humeur à prendre ». L’auteur sous-entend que le curé aime recevoir des cadeaux, il extorque les biens de ses fidèles.

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Définition

Extorquer :

Extorquer signifie obtenir quelque chose de manière malhonnête, que ce soit par la violence ou par la ruse.

À la fin du fabliau, le prêtre attache sa propre vache à la corde de Blérain. Mais la vache du paysan s’enfuit et rentre chez elle, entraînant la vache du prêtre dans sa fuite. Le paysan se retrouve alors avec deux vaches au lieu d’une seule.

La première partie de la morale à la fin du fabliau nous apprend qu’il ne sert à rien de cacher ses richesses, que le véritable bien est celui qui est donné par Dieu. Mais ici, l’auteur nous explique que c’est la chance qui a fait que le paysan a pu doubler ses biens, et non Dieu. Il y a donc une forte critique de l’Église dans ce fabliau. La dernière partie de la morale invite à la méfiance, car celui qui croit avoir obtenu ce qu’il désirait peut se voir retirer ce qu’il avait.

Conclusion :

Dans Brunain et la vache au prêtre comme dans la Farce de Maître Pathelin, le rire est provoqué par le procédé comique de l’arroseur arrosé, autrement dit « tel est pris qui croyait prendre ». La ruse peut être retournée contre celui qui croyait être le plus rusé.