La mer Méditerranée : un bassin migratoire
Introduction :
La Méditerranée est le théâtre d’une des plus importantes crises migratoires de l’époque contemporaine depuis le début des années 2010. Ces flux affectent à la fois le pays de départ (émetteur) et le pays d’arrivée (récepteur). Le cas des migrations en Méditerranée nous permet de comprendre les enjeux des mobilités humaines à grande échelle, qu’elles soient à motivation économique, géopolitique ou touristique. Cette étude de cas permet également d’appréhender la diversité des acteurs concernés par ces flux.
Nous étudierons dans une première partie la typologie des flux migratoires en Méditerranée, avant de nous intéresser aux enjeux soulevés par ces migrations.
Des flux migratoires aux origines diverses
Des flux migratoires aux origines diverses
La Méditerranée, vaste espace de 2,5 millions de km², joue un rôle d’interface entre l’espace européen et l’espace africain.
Interface :
Une interface, en géographie, est une zone de contact entre deux espaces, entraînant des échanges entre ces deux espaces.
Elle sépare géographiquement les deux territoires mais elle les relie également par les différents flux qui la traversent. À l’est, elle borde par ailleurs plusieurs pays du Proche-Orient (ou Moyen-Orient) : Chypre, Égypte, Syrie, Israël, Liban, Jordanie, Turquie.
On distingue le Proche-Orient de l’Extrême Orient. Le mot « orient » fait référence à l’est. On désigne par Proche-Orient les pays les plus proches de l’ouest, tandis que l’Extrême Orient désigne les pays qui en sont le plus éloignés. Le mot « occident » fait, lui, référence à l’ouest.
Si l’on s’intéresse aux flux de personnes, on voit qu’ils ont pour origine des motivations diverses : économiques, géopolitiques et touristiques.
Les migrations économiques Sud / Nord
Les migrations économiques Sud / Nord
La Méditerranée sépare deux espaces géographiques, l’Europe et l’Afrique, ayant un développement humain inégal. En effet, l’Europe occidentale est composée uniquement de pays développés, faisant partie des zones les plus riches de la planète. À l’inverse, le continent africain comprend la quasi-totalité des PMA (Pays les Moins Avancés).
PMA – Pays les Moins Avancés :
Les PMA sont les pays les plus pauvres de la planète, selon les critères de développement de l’ONU (Organisation des Nations Unies). 47 pays appartiennent à cette catégorie et la grande majorité sont situés en Afrique subsaharienne.
Le Maghreb, composé en partie de pays émergents au développement humain plus satisfaisant, reste moins attractif économiquement que les pays européens.
Maghreb :
Le Maghreb est une région située au nord de l’Afrique, et est la partie occidentale du monde arabe. Elle est constituée du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Mauritanie, de la Libye et du Sahara occidental.
Ainsi, les migrations de l’Afrique vers l’Europe s’expliquent avant tout par des motivations économiques. Les migrants se tournent vers l’Europe dans l’espoir de conditions de vie meilleures.
Les migrations économiques peuvent être légales ou illégales :
- elles sont légales si le migrant a obtenu un titre de séjour auprès de son pays de destination. Cette pièce d’identité mentionne la date jusqu’à laquelle la personne a le droit de rester sur le territoire ;
- elles sont illégales si le migrant n’obtient pas ce titre de séjour. On appelle ces migrants des clandestins ou, plus familièrement, des « sans-papiers ».
Les migrants en situation illégale en provenance d’Afrique subsaharienne (au sud du Sahara) transitent par le Maghreb pour atteindre l’Europe. Les premiers pays d’accueil sont l’Italie, l’Espagne ou encore la Grèce car ils sont en situation littorale et relativement proches des zones de départ. Cependant, les migrants ne restent pas forcément sur ces territoires. Une fois dans l’espace Schengen, le contrôle aux frontières étant inexistant, ils peuvent facilement se diriger vers un autre pays de destination.
Espace Schengen :
L'Espace Schengen est un espace de circulation libre au sein du continent européen. Les frontières se franchissent sans passeport ni contrôle. Il comprend 22 États membres de l’Union européenne dont la France et 4 États non-membres de l’UE (Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse).
Un migrant économique est un migrant volontaire : il choisit de quitter son pays d’origine pour un autre pays. Le but est d’avoir du travail, un meilleur salaire, de meilleures conditions de vie. Parfois, un migrant est dit « contraint », c’est-à-dire que son pays est si pauvre qu’il n’a aucun avenir possible. Mais comme son pays ne connaît pas la guerre, il n’obtient pas le statut de réfugié.
Un réfugié, un demandeur d’asile, est un migrant forcé, qui fuit son pays en raison d’un danger : guerre, persécution pour raisons politiques, religieuses ou d’orientation sexuelle, catastrophe naturelle, etc.
Les migrants économiques proviennent donc d’un pays dans lequel leur sécurité n’est pas compromise. Ce n’est pas le cas des réfugiés, en provenance de pays en guerre ou en situation de forte vulnérabilité.
Les migrations contraintes : les réfugiés
Les migrations contraintes : les réfugiés
La Méditerranée est aussi un espace qui sépare des pays développés et en paix, de pays en situation très vulnérable. Certains pays littoraux sont en guerre. Le cas le plus emblématique de ces dernières années est celui de la Syrie, en guerre civile depuis 2011.
La guerre civile syrienne débute en 2011 à la suite du Printemps Arabe. Ce vaste mouvement de protestation dénonçait les régimes politiques dictatoriaux en place dans certains pays arabes. En Syrie, le président Bachar-al-Hassad s’oppose à divers mouvements rebelles. Cette guerre civile a des conséquences internationales car d’autres pays sont intervenus (Russie, Turquie, peuple kurde…). L’association terroriste DAESH a aussi profité de la situation pour s’implanter dans le pays, en établissant en Irak et en Syrie son « califat » fictif, l’État islamique. D’après l’ONU, plus de 500 000 Syriens ont été tués depuis le début de la guerre.
La guerre syrienne a entraîné un exode massif de la population qui a fuit les ravages des bombardements et de la conscription pour les hommes.
Conscription :
La conscription désigne le service militaire obligatoire. Les citoyens d’un État, le plus souvent uniquement les hommes, sont obligés de servir dans les forces armées pour un temps défini.
Si une personne parvient à faire reconnaitre son statut de « réfugié » dans un pays, elle peut obtenir un « droit d’asile ». Cela signifie que le pays d’accueil facilite son entrée sur son territoire en lui donnant des papiers d’identité, un titre de séjour et parfois des aides matérielles ou financières. Ce statut est protégé par la Convention de Genève de 1951 et le Haut-Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés (HCR), qui défend leurs droits.
D’après le HCR, la guerre a entraîné le déplacement de 10 millions de personnes dont 4 millions en-dehors des frontières syriennes. Les pays les plus concernés par l’accueil des réfugiés syriens sont les pays limitrophes comme la Turquie (3 millions), le Liban (1 million) ou encore la Jordanie (600 000).
Face à cet afflux massif de population, les pays hôtes placent les réfugiés dans des camps d’accueil, censés être temporaires avant leur accueil définitif sur le territoire ou leur transfert vers un autre pays. Ici, le camp de réfugiés de Za’atri en Jordanie (2013). Les réfugiés vivent dans des conditions précaires. Au Liban, 70 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Le camp de réfugiés de Za’atri en Jordanie (2013) ©U.S. Department of State
Cependant, un nombre important de Syriens ont cherché à rejoindre l’Union européenne. D’après Frontex, 1/3 des migrants cherchant à traverser la Méditerranée en 2015 étaient des Syriens. Les autres migrants proviennent également de pays en guerre ou en situation de grande vulnérabilité, comme l’Afghanistan ou le Nigéria.
Frontex :
Frontex est l’organisme européen en charge de la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne.
À l’opposé des migrations contraintes des réfugiés de guerre, la Méditerranée connait aussi des flux importants de migrations temporaires choisies : les migrations touristiques.
Les migrations touristiques
Les migrations touristiques
Certaines images saisissantes sont apparues dans les médias ces dernières années. Des photographies de stations balnéaires montrant, sur la plage, des touristes occidentaux, confrontés à l’arrivée par la mer de migrants ayant traversé illégalement la Méditerranée sur des bateaux de fortune.
L’espace méditerranéen est, depuis la fin du XIXe siècle, un espace majeur du tourisme. Les stations balnéaires sont légions d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée (Côte d’Azur en France, littoral italien, îles grecques, Tunisie, Maroc…).
De plus, la mer Méditerranée est le 2e bassin de croisières mondial après la mer des Caraïbes. Si les croisières dans le secteur existent depuis les années 1960, l’heure est actuellement au gigantisme des paquebots. Beaucoup atteignent les 4 000 couchages et les constructeurs comme MSC ou Costa annoncent des paquebots de plus de 6 000 lits dans le futur.
Le MSC BELLISSIMA, construit à Saint-Nazaire en 2019 peut accueillir 5 700 passagers ©Hashar – CC BY-SA 4.0
Le tourisme en Méditerranée est donc très lié au tourisme de masse et à l’héliotropisme, générant des flux de personnes et de capitaux importants. Il s’agit en majorité de flux Nord/Nord ou Nord/Sud.
Héliotropisme :
L’héliotropisme est l’attrait des populations pour les espaces plus ensoleillés.
On appelle « les Nords » les pays développés, offrant un développement humain satisfaisant à leurs populations. Dans cette étude de cas, il s’agit de l’Europe occidentale.
On appelle « les Suds » les pays plus en difficulté, notamment les pays en voie de développement. Ici, il s’agit d’une partie importante des pays d’Afrique. Les pays du Maghreb sont des pays émergents, offrant un développement humain plus satisfaisant, mais pas au niveau des pays développés.
Enfin, il ne faut pas négliger la présence d’un fort tourisme médical dans le bassin de la Méditerranée. Les Occidentaux profitent de prix plus avantageux dans les pays du Maghreb pour des opérations coûteuses (dents, optique) ou esthétiques.
Les causes des flux de personnes au sein de l’espace méditerranéen sont donc multiples. Voyons à présent les différents acteurs impliqués dans ces migrations, légales ou illégales, et les enjeux qu’ils soulèvent. Nous ne traiterons pas des questions soulevées par le tourisme, qui relèvent de problématiques propres traitées dans un chapitre dédié.
Les enjeux soulevés par les flux migratoires en Méditerranée
Les enjeux soulevés par les flux migratoires en Méditerranée
L’Europe, terre d’accueil ou « Europe forteresse » ?
L’Europe, terre d’accueil ou « Europe forteresse » ?
La crise migratoire européenne des années 2010 désigne la multiplication des migrations illégales à destination de l’Union européenne.
Les migrants sont d’origine diverses, asiatiques ou africaines. Cependant, la crise syrienne a amplifié le phénomène avec un pic d’un million de personnes pour la seule année 2015.
Face à cet afflux de personnes, l’accueil dans les pays hôtes se fait sous des modalités diverses.
Au niveau des États, l’UE a été incapable de développer une politique migratoire unique. De ce fait, chaque pays de l’Union a pris ses propres dispositions :
- l’Allemagne d’Angela Merkel a été le pays accueillant le plus de migrants ;
- d’autres, comme la Hongrie, ont adopté une politique ferme de rejets, avec mise en place de barbelés et de patrouilles de contrôle.
Des palissades matérialisant la frontière entre la Hongrie et la Serbie (2015) ©Délmagyarország/Schmidt Andrea – CC BY-SA 3.0
De façon générale, les politiques migratoires des différents États de l’UE se sont durcies. Dans les années 2010, on estime que 30 % seulement des demandes d’asile ont été accordées dans l’Union Européenne. On trouve souvent dans les médias le terme d’« Europe forteresse » pour désigner ces politiques de restriction.
Au sein des opinions publiques des différents États européens, on retrouve les mêmes divergences.
- Une partie de la population européenne adopte une attitude de rejet et montre sa crainte d’un affaiblissement de l’identité européenne.
- D’autres pensent qu’il faut accueillir ces personnes qui sont généralement dans une détresse financière voire en danger dans leur pays d’origine. Le mot d’ordre « Refugees Welcome » (« Réfugiés bienvenus ») a été fréquemment utilisé.
Concert en faveur des réfugiés à Budapest, Hongrie (2015) ©SZERVÁC Attila – CC BY-SA 4.0
La question des atteintes aux droits de l’Homme
La question des atteintes aux droits de l’Homme
Les migrations internationales en Méditerranée posent la question de la protection des droits de l’Homme, à toutes les étapes du déplacement.
La cause du départ peut être le non-respect des droits humains. On a vu que, parmi les migrants, les réfugiés quittent leur pays en raison d’un danger pour leur vie ou pour leur intégrité physique.
Cependant, les atteintes aux droits fondamentaux sont nombreuses tout au long du parcours de migration. Avant de quitter le pays d’origine, les passeurs profitent de la situation de ces personnes vulnérables pour leur extorquer des sommes d’argent très élevées.
Passeur :
Un passeur est une personne qui fait passer une frontière clandestinement.
De nombreux témoignages de migrants ayant réussi à traverser la Méditerranée font également état de traitements dégradants, de violences voire de crimes graves comme des viols ou du travail forcé.
Ces violences sont difficiles à arrêter. En effet, les passeurs rencontrent la route des migrants dans le pays de départ. Or, ces dernières années, beaucoup de traversées se font à partir de quasi « États fantômes », comme la Libye, incapables de maintenir l’ordre sur son territoire. Ainsi, ces crimes sont perpétrés en toute impunité.
« État fantôme » :
« État fantôme » est une expression qui désigne les État en situation de défaillance. Les pouvoirs publics n’ont plus le contrôle du territoire. Ces états ont un gouvernement faible souvent non reconnu à un niveau international.
Ensuite, les conditions de la traversée sont très difficiles et dangereuses. Les migrants sont entassés dans des embarcations en mauvais état. Il s’agit pour le passeur de rentabiliser au maximum chaque traversée. La promiscuité développe aussi les risques de propagation de maladies, comme la gale.
Des réfugiés sur une embarcation traversant la Méditerranée, approchant des côtes grecques (janvier 2016) ©Mstyslav Chernov/Unframe – CC BY-SA 4.0
Enfin, à l’arrivée dans les pays d’accueil, les migrants illégaux font face à diverses difficultés :
- s’ils sont contrôlés, ils sont placés en centres de rétention et éventuellement renvoyés dans leurs pays d’origine (sauf s’ils sont réfugiés). Ces centres sont généralement précaires et les violences, liées à une forte promiscuité, sont fréquentes.
- s’ils parviennent à rester sur le territoire européen, ils restent dans une situation d’illégalité. Dès lors, ils ne peuvent pas prétendre à un travail déclaré. L’absence de papiers en règle rend très difficile l’accès à un logement ou aux soins. De plus, si une personne sans-papiers subit une agression, elle hésitera à porter plainte car cela revient à se dénoncer aux autorités comme migrant illégal.
Le travail déclaré désigne le travail légal, autorisé par les autorités. À l’inverse, le travail non déclaré s’appelle « travail dissimulé » ou « travail au noir ». Le patron ne déclare pas son salarié et ne paie donc pas de charges patronales ni de cotisations sociales. Le salarié ne paie pas d’impôt sur le revenu mais il n’est pas protégé par le droit du travail. Ainsi, il ne bénéficie pas d’un salaire minimum, de congés payés, d’horaires légaux de travail ou de protection sociale en cas d’accident.
L’ONU a mis en place plusieurs leviers de protection pour assurer la défense des personnes déplacées ou réfugiées dans le monde, avec le HCR. Néanmoins, les atteintes restent nombreuses.
Conclusion :
L’espace méditerranéen est donc une interface, lieu de multiples flux de personnes de part et d’autre de la Méditerranée. Depuis le début des années 2010, une crise migratoire sans précédent dans l’histoire contemporaine affecte l’Union Européenne. Les migrants viennent de pays très divers et partent pour des motifs variés. La Méditerranée est aussi le lieu de pratiques touristiques développées dans tout l’espace littoral et maritime.
Ainsi, on voit que les flux migratoires qui affectent la Méditerranée sont le marqueur de différences majeures de développement entre Nords et Suds. S’il faut se garder de toute généralisation trompeuse, l’espace est partagé par des populations aux motivations opposées. On y trouve des personnes aisées ayant des pratiques de loisirs et des populations moins favorisées à la recherche d’un meilleur niveau de vie.