Le héros médiéval
Introduction :
Les premiers romans datent du Moyen Âge. Avant d’être écrits, les récits étaient transmis oralement. Ils ont ainsi été transformés à de nombreuses reprises avant de parvenir jusqu’à nous.
Ce cours va nous permettre de nous pencher sur les premières représentations de la figure du héros à l’époque médiévale.
Nous étudierons sa dimension épique à travers l’étude de La Chanson de Roland, puis nous verrons qu’il s’agit d’un héros noble, notamment dans Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes. Enfin, nous étudierons un extrait de Perceval ou le conte du Graal qui nous révèlera l’exemplarité de la figure du héros médiéval.
Un héros épique
Un héros épique
On parle de « matière » pour désigner les histoires et légendes qui composent les œuvres médiévales. La matière de France dont fait partie La Chanson de Roland relate les hauts faits guerriers de l’époque carolingienne.
Hauts faits :
Les hauts faits sont des exploits.
La chanson de geste, aux XIe et XIIe siècles, est un poème qui relate les exploits guerriers du temps de Charlemagne. Tout y est sublimé et amplifié afin de vanter les prouesses du héros.
La Chanson de Roland est une célèbre chanson de geste, un long poème narratif qui est fait pour être chanté. Ce poème épique raconte les exploits de Roland, le neveu de Charlemagne.
Poème épique :
Le poème épique raconte des aventures héroïques.
Voici donc un extrait de La Chanson de Roland :
« Redoutable est la bataille, elle se fait générale.
Le Comte Roland ne se met pas à l’abri du danger,
[…]
Il met à nu Durendal, sa bonne épée,
Il pique des deux1, va frapper Chernuble2 :
Lui brise le heaume3 où brillent des escarboucles4,
Lui fend le crâne et la chevelure,
Lui fend les yeux et le visage,
Et le haubert5 qui brille, aux fines mailles,
Et tout le corps jusqu’à l’enfourchure. »
1 L’expression « piquer des deux » signifie donner des coups d’éperons au cheval afin qu’il aille plus vite.
2 Chernuble est le nom d’un chevalier ennemi.
3 Le heaume est un casque de chevalier.
4 Les escarboucles sont des pierres précieuses.
5 Le haubert est la cote de maille que portait les chevaliers.
On peut remarquer en premier lieu le champ lexical du chevalier, avec la présence de termes tels que « heaume », « haubert » (il s’agit d’une cotte de mailles), « épée » et « mailles », qui constituent l’équipement du chevalier. D’autre part, on peut noter la violence de cette scène qui relate comment Roland a tué un autre chevalier, en le fendant en deux d’un seul coup d’épée.
Cela met en évidence la dextérité du chevalier mais aussi son courage puisque le narrateur précise que Roland « ne se met pas à l’abri du danger ».
Dextérité :
La dextérité est le fait d’être adroit, agile.
La narration est réaliste car les faits racontés sont proches de la réalité et pourraient être vrais. Par ailleurs, les détails de la description permettent de s’imaginer la scène avec précision. En effet, le narrateur découpe l’action. Roland sort son épée, puis donne des coups d’éperons à son cheval et enfin frappe son adversaire. De plus, chaque partie du corps de l’ennemi qui se voit tranchée par la lame de Roland est décrite : « le heaume », « le crâne », « la chevelure », « les yeux », « le visage », « le haubert », et le « corps ».
L’auteur glisse même des détails sur la tenue du chevalier victime du coup fatal : son « heaume » est orné « d’escarboucles », son « haubert […] brille » et il est fait de « fines mailles ».
Malgré son aspect réaliste, la scène possède aussi un aspect extraordinaire, puisque le fait de trancher en deux un homme de la sorte est invraisemblable.
La scène décrite est un véritable exploit guerrier.
Elle est amplifiée par la répétition de la conjonction de coordination« et », qui insiste sur la suite d’incroyables coups assénés à l’adversaire.
Roland est donc bien un héros épique, capable de faits extraordinaires et suscitant l’admiration.
Au vu du nombre de ses qualités, le héros médiéval est donc destiné à être admiré.
Un héros noble
Un héros noble
L’image que l’on a du héros médiéval est celle d’un noble et preux chevalier.
Noble :
L’adjectif noble signifie ici qu’il possède de grandes qualités morales.
Preux :
Ce terme, souvent utilisé pour parler des chevaliers, est un autre mot pour dire courageux.
C’est le cas notamment du Chevalier au lion, héros du roman de chevalerie de Chrétien de Troyes, écrit en 1176.
Roman de chevalerie :
Le roman de chevalerie est un sous-genre romanesque qui nait au Moyen Âge et qui traite des exploits des chevaliers mais aussi de l’amour courtois.
Yvain ou le Chevalier au lion raconte les aventures du chevalier Yvain (dit le Chevalier au lion). Cet ouvrage mêle la narration de hauts-faits, de phénomènes merveilleux et d’une histoire d’amour.
Yvain combattant un dragon avec l’aide de son lion, Jacques d’Armagnac, XVe siècle
Les épreuves par lesquelles le chevalier passe contribuent à créer sa légende. Dans l’extrait suivant, Yvain rencontre deux bêtes se battant à mort : un lion et un serpent qui crache du feu. Après réflexion, il décide de venir en aide au lion.
« Il tira l’épée, mit l’écu devant sa face pour se garantir du feu que le serpent ruait1 par la gueule, plus large qu’une oule2, et il attaqua la bête félonne3 : il la trancha en deux moitiés et frappa et refrappa tant qu’il la dépeça en mille morceaux. […] Il crut que le lion allait fondre sur lui, et se prépara à se défendre. Mais cette idée ne vint pas au lion. […] [La bête] tint ses pieds étendus et joints, et sa tête inclinée vers la terre, et s’agenouilla par grande humilité4, mouillant sa face de larmes. »
1 Ruer signifie ici lancer.
2 Une oule est une marmite.
3 L’adjectif félonne signifie traitre.
4 L’humilité désigne le fait d’être modeste, d’avoir conscience de ses faiblesses.
Cet extrait reflète la violence du combat entre l’homme et l’animal. La bête est effrayante, elle crache du « feu », a une « gueule plus large qu’une oule » et elle est « félonne ». Elle est de plus une créature merveilleuse, car elle n’est pas réelle et fait penser à un dragon.
Malgré cela, le chevalier ne recule devant rien et s’attaque à l’animal. Il fait donc preuve d’un courage hors-norme car rien ne l’obligeait à secourir le lion, mais également de compassion et d’altruisme : ayant senti la détresse du lion, il est venu l’aider, au mépris du danger.
Altruisme :
Faire preuve d’altruisme, c’est agir avec un comportement désintéressé, se consacrer aux autres.
Le chevalier sort victorieux du combat en triomphant de l’animal et en « le dépeç [ant] en mille morceaux ». Le lion se prosterne aux pieds du chevalier pour lui montrer sa gratitude.
Gratitude :
La gratitude est le fait de se montrer reconnaissant, redevable envers quelqu’un.
Les pattes jointes, la « tête inclinée » et la position agenouillée du lion révèlent en effet que ce dernier reconnait la supériorité du chevalier, mais aussi qu’il lui exprime sa reconnaissance pour l’avoir sauvé.
Le Chevalier au lion est donc un héros à la fois bienveillant, courageux, vaillant et victorieux. Cet épisode marque la légende de Yvain et constitue l’un de ses hauts faits. C’est ainsi qu’un chevalier construit sa réputation et tisse la matière des histoires que l’on racontera sur lui, inspirant le grand public.
Un héros exemplaire
Un héros exemplaire
Le héros médiéval est donc un personnage qui possède de nombreuses qualités et provoque l’admiration. Le roman de Chrétien de Troyes Perceval ou le conte du Graal fait état de la vocation que peut susciter le chevalier. Dans l’extrait suivant, le jeune héros, Perceval, qui n’est pas encore chevalier à la table ronde, remarque des chevaliers et exprime son admiration.
« Mais quand il les vit à découvert, sortant du bois, et qu’il vit les hauberts, qui bruissaient et les heaumes clairs et brillants, et les lances et les boucliers qu’il n’avait jamais vus, quand il vit le vert et le vermeil1 reluire au soleil, et l’or et l’azur et l’argent, le spectacle lui parut extraordinaire de beauté et de grandeur. […]
- Jamais je n’ai connu de chevalier, je n’en ai vu aucun, et jamais je n’en ai entendu parler. Mais vous êtes plus beau que Dieu. Ah ! si je pouvais être comme vous, tout brillant et fait comme vous ! »
1 Le vermeil est une couleur vive, dans les tons rouges.
Il s’agit donc ici de l’apparition de chevaliers dans un bois où se trouvait le jeune Perceval. Le champ lexical du chevalier est à nouveau présent avec les termes « hauberts », « heaumes », « lances » et « boucliers ». La représentation du chevalier est associée à des termes laudatifs comme « brillants », « extraordinaire », « beauté », et « grandeur ».
Laudatif :
L’adjectif laudatif signifie élogieux, dont on dit du bien.
Le personnage est émerveillé à la vue des chevaliers. Le narrateur compare même cette vision à un « spectacle ».
Perceval juge les chevaliers supérieurs et les compare à « Dieu ». La répétition des négations « qu’il n’avait jamais vus », « jamais je n’ai connu », « je n’en ai vu aucun », et « jamais je n’en ai entendu parler » témoigne du choc que cette apparition fait à Perceval.
Les exclamations « Ah ! » et « si je pouvais être comme vous ! » révèlent quant à elles l’étonnement et l’enthousiasme du personnage, ainsi que sa volonté de suivre leur exemple. L’apparition des chevaliers agit comme une révélation pour Perceval qui souhaite désormais devenir comme eux.
La vision quasi merveilleuse des chevaliers est représentée comme un idéal. La vision méliorative (positive) que rapporte le narrateur est en fait celle de Perceval. C’est ainsi qu’il a vécu cette scène.
Conclusion :
Le héros médiéval est le premier des héros littéraires. Il s’agit principalement de chevaliers aux grandes qualités : compatissants, vertueux, courageux, aventureux, ils sortent toujours victorieux des batailles qu’ils livrent.
Le héros médiéval est donc hors-norme et fait face à des situations merveilleuses, elles aussi hors-normes. Il est une figure inspirante pour celui qui lit ou qui écoute l’histoire de ses exploits.