Le Médecin malgré lui, Molière
Introduction :
La comédie a pour but premier de faire rire le spectateur. Mais elle dénonce également les défauts humains en se moquant et a ainsi pour objectif de les corriger.
Molière notamment aborde des thèmes importants dans la société du XVIIe siècle, tels que l’éducation des filles, la religion, ou la médecine. Il dénonce également les excès des caractères dans ses pièces comme dans L’Avare ou encore Le Misanthrope.
Dans Le Médecin malgré lui, publié en 1666, Molière fait une critique de la médecine mais aussi de la crédulité des patients. Nous verrons dans ce cours comment Molière met en scène ses critiques à travers la comédie. Il sera ici question de la médecine puis du mariage forcé.
Une satire de la médecine
Une satire de la médecine
Satire :
Une satire est le fait de critiquer en se moquant pour tourner en ridicule.
Pierre Brissart, illustration pour l’édition de 1682 du Médecin malgré lui de Molière
Le Médecin malgré lui est une comédie de Molière. Dans cette pièce, Martine décide de se venger de son mari Sganarelle qui la brutalise.
Elle dit à deux valets à la recherche d’un médecin que son mari est justement médecin mais qu’il n’accepte de travailler qu’après avoir reçu des coups de bâton. Sganarelle devient donc le médecin, contre son gré, de Lucinde. Cette jeune fille fait semblant d’être muette, pour protester contre son père, Géronte, qui veut la marier de force à un homme qu’elle n’aime pas.
L’extrait suivant est une scène de fausse consultation. Les deux valets ont en effet frappé Sganarelle afin qu’il ausculte Lucinde.
« SGANARELLE :
[…] Eh bien ! de quoi est-il question ? qu’avez-vous ? quel est le mal que vous sentez ?
LUCINDE répond par signes, en portant sa main à sa bouche, à sa tête, et sous son menton :
Han, hi, hon, han.
[…]
SGANARELLE, la contrefaisant1 :
Han, hi, hon, han, ha : je ne vous entends point2 : quel diable de langage est-ce là ?
GÉRONTE :
Monsieur, c’est là sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause, et c’est un accident qui a fait reculer son mariage.
[…]
SGANARELLE, se tournant vers la malade :
Donnez-moi votre bras. Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.
GÉRONTE :
Eh oui, Monsieur, c’est là son mal ; vous l’avez trouvé tout du premier coup.
[…]
SGANARELLE :
Nous autres grands médecins, nous connaissons d’abord les choses. Un ignorant aurait été embarrassé, et vous eût été dire : ‟C’est ceci, c’est cela” ; mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette. »
1 La contrefaisant : l’imitant
2 Je ne vous entends point : Je ne vous comprends pas
Lucinde joue la muette. Le lecteur comprend qu’elle fait semblant afin de reculer son mariage. Géronte et Lucinde ignorent que Sganarelle est un faux médecin et Sganarelle ignore que Lucinde est une fausse malade. Mais le spectateur sait tout. C’est donc une situation comique pour lui.
Le comique de la scène réside ici dans le comique de mots mais aussi dans le comique de situation.
Le comique de mots est un comique basé sur les jeux de mots, les répétitions de mots ou de phrases, les défauts de prononciation, les accents, etc.
Le comique de situation existe lorsque le comique est fondé sur un malentendu, des déguisements, un retournement de situation ou un trompeur trompé par exemple.
Le dialogue entre Sganarelle et Lucinde est en effet comique à cause des sons que cette dernière produit et que Sganarelle ne parvient pas à comprendre.
L’exercice du métier de médecin selon Sganarelle est comique. Le lien qu’il établit entre le pouls et le fait d’être muette provoque le rire du spectateur puisqu’il n’y a évidemment aucun lien.
La crédulité, la naïveté de Géronte est également comique puisqu’il énonce lui-même le symptôme de sa fille, qui est la perte de la parole, et félicite Sganarelle pour avoir posé le même diagnostic. Il lui dit en effet « Eh oui, Monsieur, c’est là son mal ; vous l’avez trouvé tout du premier coup ».
Sganarelle se montre présomptueux et semble s’être bien accoutumé à son rôle de médecin.
Présomptueux :
L’adjectif présomptueux désigne quelqu’un qui a une grande opinion de soi.
Il se qualifie lui-même de « grand médecin ». Il se montre également effronté en disant « moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette » puisqu’il n’apprend rien à Géronte, c’est lui-même qui lui avait signalé la perte de la parole de sa fille.
Effronté :
L’adjectif effronté désigne quelqu’un qui n’a honte de rien.
Molière tourne ici en ridicule une certaine pratique de la médecine mais aussi les patients qui ne voient pas que l’on se moque d’eux.
Grâce aux comiques de situation et de mots, dans Le Médecin malgré lui, Molière critique également une pratique fort répandue en son temps : le mariage forcé.
La critique du mariage forcé
La critique du mariage forcé
Dans l’extrait que nous allons maintenant lire, Lucinde se remet à parler. Elle avoue à son père, Géronte, qu’elle aime Léandre et qu’elle n’épousera donc pas Horace.
« LUCINDE :
Oui, mon père, j’ai recouvré1la parole : mais je l’ai recouvrée pour vous dire que je n’aurai jamais d’autre époux que Léandre, et que c’est inutilement que vous voulez me donner Horace.
GÉRONTE :
Mais…
LUCINDE :
Rien n’est capable d’ébranler2 la résolution que j’ai prise.
GÉRONTE :
Quoi… ?
LUCINDE :
Vous m’opposerez en vain3 de belles raisons.
GÉRONTE :
Si…
LUCINDE :
Tous vos discours ne serviront de rien.
GÉRONTE :
Je…
LUCINDE :
C’est une chose où je suis déterminée.
GÉRONTE :
Mais…
LUCINDE :
Il n’est puissance paternelle qui me puisse obliger à me marier malgré moi.
GÉRONTE :
J’ai…
LUCINDE :
Vous avez beau faire tous vos efforts.
GÉRONTE :
Il…
LUCINDE :
Mon cœur ne saurait se soumettre à cette tyrannie4. »
1 Recouvrer : Retrouver, récupérer
2 Ébranler : Rendre quelque chose moins solide, secouer
3 En vain : Inutilement
4 Tyrannie : Pouvoir autoritaire et absolu d’une personne
Dans cette scène, Lucinde se révolte contre son père. La jeune fille impose fermement sa décision. On peut le remarquer à travers l’inégalité des répliques entre Lucinde et Géronte. Lucinde parle beaucoup plus que son père qui, lui, est privé de parole. Chaque réplique de Géronte n’est constituée que d’un mot et se termine par des points de suspension. Cela montre que Lucinde lui coupe la parole, comme « mais… », « quoi… », « si… » ou encore « je… ». La jeune fille emploie les termes « résolution » ou encore « déterminée » afin de montrer qu’elle est bien décidée.
Malgré le sérieux du discours de Lucinde, il s’agit d’une scène comique. Elle répète les mêmes choses de différentes manières : elle est bel et bien décidée à épouser Léandre et son père ne pourra rien contre cela. On peut par exemple observer que la phrase « Rien n’est capable d’ébranler la résolution que j’ai prise » et la phrase « C’est une chose où je suis déterminée » ont le même sens. C’est ce que l’on appelle une redondance.
Redondance :
La redondance est une figure de style qui consiste à exprimer la même idée mais avec des termes différents, comme des synonymes.
Des synonymes sont des mots qui ont le même sens.
Géronte n’a pas le temps de lui parler qu’elle lui répond déjà « tous vos discours ne serviront à rien » ou encore « vous avez beau faire tous vos efforts ».
Le comique de cette scène réside dans le personnage de Lucinde. Auparavant muette, lorsqu’elle se remet à parler on ne l’arrête plus.
Les répétitions et les répliques courtes de Géronte relèvent du comique de mots.
Conclusion :
Le thème de la ruse est très présent dans Le Médecin malgré lui. La ruse permet aux personnages de résister à plus forts qu’eux. Lucinde tente de résister à son père et Martine de résister à son mari.
Si cette pièce est comique et fait rire le spectateur, elle a également pour objectif de dénoncer et condamner les défauts de la société. Molière fait réfléchir le spectateur tout en l’amusant.