Le modèle britannique, un exemple pour les philosophes des Lumières

Introduction :

L’Angleterre du XVIIIe siècle est une puissance européenne majeure. Elle s’est constitué un empire qui lui permet d’obtenir des revenus fréquents. Sa marine est une des plus puissantes du monde et elle rivalise avec ses voisins pour l’acquisition de territoires stratégiques.
Son modèle politique est celui de la monarchie parlementaire. Ce type de régime implique que le pouvoir du roi soit limité et encadré par des lois. Bien que le monarque garde un pouvoir majeur sur ses sujets, les différences avec les autres monarchies européennes comme la France sont relevées par différents penseurs.
Dans une première partie, nous présenterons l’Angleterre au siècle des Lumières et plus particulièrement son système politique et son système judiciaire. Dans un second temps, nous verrons comment la philosophie des Lumières a été influencée par le système anglais.

L’Angleterre au siècle des Lumières

Une monarchie parlementaire à la tête d’une puissance européenne

Au début du XVIIIe siècle, l’Angleterre est devenue une des principales puissances européennes. Elle fait reposer sa puissance sur l’empire qu’elle commence à constituer. Grande rivale de la France, elle mène plusieurs guerres qui se prolongent jusqu’aux colonies américaines.

Dans le même temps, la Couronne anglaise se renforce localement avec la signature en 1707 de l’Acte d’Union, sous le règne de la reine Anne.

  • Ce texte fondamental unit les deux couronnes d’Angleterre et d’Écosse et forme la Grande-Bretagne.

Après cette date, il n’existe plus de parlement anglais et écossais mais un unique Parlement de Grande-Bretagne.

Tout en prenant une place de plus en plus importante au sein des monarchies européennes, l’Angleterre se distingue par son système politique unique, hérité en grande partie de la Glorious Revolution de la fin du XVIIe siècle.

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Rappel

En 1688, l’Angleterre connait sa seconde révolution, appelée la Glorious Revolution (ou « Révolution Glorieuse »). Elle aboutit en 1688 au départ de Jacques II et à l’accession au trône de sa nièce Marie Stuart, mariée à Guillaume d’Orange. La Glorious Revolution entraine des ajustements majeurs dans le fonctionnement de la monarchie anglaise avec, entre autres, la rédaction du Bill of Rights qui limite les pouvoirs du roi.

Bill of Rights - SchoolMouv - 1re - Histoire Le Bill of Rights ou Déclaration des Droits (1689), dont le titre complet est « Acte déclarant les droits et les libertés du sujet et mettant en place la succession de la couronne »

Le Bill of Rights est un texte particulier qui ne trouve pas son équivalent en Europe. Il impose une totale liberté de parole, des débats et des procédures dans l’enceinte du Parlement. De même, le texte insiste sur le fait que le Parlement doit être réuni fréquemment. L’arbitraire royal est spécifiquement interdit dans un article qui fait référence aux révolutions anglaises :

Art. 2 : « Le prétendu pouvoir de l’autorité royale de dispenser des lois ou de l’exécution des lois, comme il a été usurpé et exercé par le passé, est illégal ».

Bill of Rights, 1689

Le XVIIIe siècle anglais est marqué par des règnes longs et stables. La dynastie de Hanovre occupera d’ailleurs le trône de 1714 à 1901 (jusqu’à la mort de la reine Victoria qui régna de 1837 à 1901).

La reine Victoria, photographiée par Alexander Bassano en 1887 - Histoire - 2de - SchoolMouv La reine Victoria photographiée par Alexander Bassano en 1887

Cette puissance politique s’appuie donc sur une organisation particulière du pouvoir entre le monarque et son parlement. Cela ne manque pas d’intéresser les penseurs contemporains qui peuvent comparer leur propre système politique, comme la monarchie absolue en France, avec le système anglais.
La monarchie parlementaire anglaise s’appuie également sur une réforme importante de la justice. En effet, la fin de l’époque moderne se caractérise par la remise en cause de l’arbitraire en matière de justice, c'est-à-dire l’absence de contrôle par la loi des décisions du roi ou des tribunaux.

Une justice rationnalisée

Contrairement à la France, l’Angleterre du XVIIIe siècle dispose de textes législatifs empêchant l’arbitraire royal en matière de justice. Le texte principal en la matière est l’Habeas corpus. Il est lié à un contexte particulier. En effet, l’histoire moderne de l’Angleterre est marquée par de nombreux conflits religieux depuis 1534, date à laquelle Henri VIII se proclame « Chef de l’Église anglicane ».

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Rappel

Aujourd'hui encore, le monarque anglais est le chef de l’Église anglicane. Cette religion est née en 1534 à la suite du conflit entre Henri VIII et le Pape, qui refusait d’accorder le divorce au souverain. En 1679, le Parlement s’était opposé à Charles II pour deux raisons principales :

  • son attrait pour la monarchie absolue de Louis XIV, qui laissait trop peu de place au Parlement ;
  • le fait que l’héritier de Charles II soit catholique, alors que le Parlement était anglican. Au cours de ce conflit, Charles II avait procédé à de nombreuses arrestations d’opposants, sans procès. En réaction, le Parlement avait voté la loi de l’Habeas Corpus, qui interdit de maintenir en prison une personne sans preuve de culpabilité.

Au XVIIe siècle, la rédaction de l’Habeas Corpus est d’une grande modernité. En France, au début du XVIIIe siècle, le pouvoir royal peut encore incarcérer quelqu’un sur simple lettre de cachet.

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Définition

Lettre de cachet :

Lettre servant à transmettre un ordre du roi. Elle peut ordonner l’incarcération sans jugement ou encore contraindre à l’exil.

La justice anglaise est montrée en exemple par de nombreux contemporains. C’est le cas de l’auteur italien Cesare Beccaria, ami de Voltaire et Diderot. Dans son Traité des délits et des peines en 1764, il est un des premiers penseurs à demander l’abolition de la torture et des traitements inhumains dans les prisons.

Le système anglais du XVIIIe siècle a inspiré les penseurs politiques de la fin de l’époque moderne comme John Locke, un philosophe anglais anti-absolutiste. En France, le travail de Voltaire permettra d’illustrer l’influence anglaise sur les penseurs français.

Les philosophes des Lumières et l’Angleterre

Le Siècle des Lumières correspond à un moment de grand développement intellectuel et culturel en Europe et aux États-Unis à la fin de l’époque moderne. Cette période est à l’origine de nouveaux questionnements politiques, scientifiques, sociaux ou encore religieux. Les Philosophes des Lumières ont travaillé sur le sujet du pouvoir politique en se posant plusieurs questions.

  • Quelle est l’origine du pouvoir ?
  • Quel est le pouvoir légitime ?
  • Quel est le meilleur moyen d’exercer le pouvoir ?

La pensée politique en Angleterre : l’exemple de John Locke

En Angleterre, un des philosophes du XVIIe siècle les plus notables est John Locke (1632-1704). Issu d’une famille de parlementaires, il est le contemporain d’une époque troublée sur le plan politique :

  • exécution du roi Charles Ier en 1649 ;
  • guerre civile et interrègne de 1649-1660 avec la prise de pouvoir de Cromwell comme Lord Protecteur ;
  • retour des monarques sur le trône avec la dynastie des Stuart ;
  • Glorious Revolution en 1688.

En raison de ses écrits, il connait une période d’exil qui se termine à la fin de la Glorious Revolution.

John Locke par Sir Godfrey Kneller, 1779 - Histoire - 2de - SchoolMouv John Locke par Sir Godfrey Kneller, 1779

Pour Locke, l’homme est naturellement sociable. C’est pour cela qu’il s’associe à d’autres et qu’il ne vit pas seul. Comme nombre de ses contemporains européens de l’époque, il pense qu’il existe un contrat entre le souverain et le peuple :

  • le peuple se soumet au souverain ;
  • le souverain protège le peuple. Cependant, l’œuvre de Locke est profondément anti-absolutiste. Pour lui, les droits du peuple sont inaliénables car ils découlent de la nature humaine. Ces droits ne peuvent donc pas être retirés par un souverain, quel qu’il soit.
  • Les droits du peuple ne disparaissent pas une fois le contrat passé. En effet, le peuple n’a fait que déléguer son pouvoir au souverain mais il ne l’a pas abandonné.

Cela signifie que le peuple peut s’être soumis au roi, mais il n’a pas perdu ses droits pour autant. Si le roi s’avère être un tyran, le peuple peut revenir sur sa décision et ne plus se soumettre au roi. Pour garantir le fait qu’un souverain ne sera pas un tyran, Locke insiste sur la nécessité de séparer les pouvoirs : pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire.

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Attention

John Locke n’est pas hostile à la monarchie. Même s’il influence la Révolution américaine par ses idées sur la séparation des pouvoirs, il n’a rien d’un républicain. Aucun des philosophes des Lumières ne remet en question la monarchie. Seulement l’absolutisme, et donc la concentration de tous les pouvoirs entre les seules mains du roi.

John Locke est donc un grand penseur du XVIIe siècle. Les philosophes des Lumières français ont été fortement influencés par sa pensée sur l’origine du pouvoir. C’est le cas de Voltaire, un des plus grands philosophes français des Lumières.

Voltaire et ses Lettres philosophiques

Voltaire - SchoolMouv - Histoire - 2de Portrait de Voltaire, détail. D’après un portrait de Maurice Quentin de La Tour, vers 1736

Voltaire nait en 1694 et meurt en 1778. Il n’est donc pas un contemporain de Locke.

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Attention

Voltaire est le nom de plume du philosophe. Son véritable nom est François-Marie Arouet.

Dans sa jeunesse, Voltaire tente d’échapper à une origine sociale qu’il juge insuffisamment prestigieuse et commence sa carrière d’écrivain dans le théâtre et la poésie. Il lit des textes d’auteurs anglais et s’intéresse à leur modèle politique. En 1726, un conflit avec un aristocrate aboutit à son arrestation et à son embastillement. À sa sortie de prison, il s’exile en Angleterre jusqu’en 1729.

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Définition

Embastillement :

Être embastillé signifie être emprisonné à la prison royale parisienne de la Bastille.

Son séjour en Angleterre est un moment majeur de sa carrière philosophique. On sait qu’il a été accueilli dans les salons de l’aristocratie. Dans sa correspondance, on apprend qu’il a aussi été protégé par le pouvoir royal : il perçoit une pension de 200 livres du gouvernement britannique.
Il maîtrise rapidement la langue anglaise. Sur place, il s’imprègne des textes de Locke et d’autres penseurs anglais. Il étudie aussi la monarchie parlementaire et son fonctionnement et la compare au système français. Les textes protégeant les sujets anglais comme l’Habeas Corpus et le Bill of Rights de 1689 le marquent profondément.
Pendant son séjour en Angleterre, il commence une œuvre majeure : les Lettres philosophiques. Elles paraissent à Londres en 1735 sous le titre Letters Concerning the English Nation (« Lettres concernant la Nation anglaise »).

Cet ouvrage regroupe 25 « lettres ouvertes », c'est-à-dire qu’elles sont destinées à un public large et non à un destinataire particulier. Voltaire y traite de sujets divers : politique, religion, justice mais aussi arts et sciences.
Il se sert du modèle anglais pour critiquer la monarchie française. Par exemple, sur la question de l’impôt : il vante les mérites de la politique fiscale anglaise qui taxe selon les revenus et non selon le rang social. En France, jusqu’au 4 août 1789, les ordres privilégiés sont exemptés d’imposition.
Son ouvrage fait scandale lors de sa parution clandestine en France. Voltaire échappe de peu à un nouvel embastillement et son œuvre est brûlée en place publique à Paris. Cependant, comme d’autres penseurs du Siècle des Lumières, ses idées imprègnent peu à peu les esprits.

  • Elles influencent la Révolution américaine de 1776 et la Révolution française en 1789.

D’autres philosophes français font preuve d’une grande anglophilie, c'est-à-dire un attrait particulier pour la culture anglaise. D’Alembert, le co-auteur de l’Encyclopédie avec Denis Diderot, a passé de nombreuses années à traduire des textes scientifiques de l’anglais au français et inversement. On peut également citer Jean-Jacques Rousseau qui s’exile pour l’Angleterre à la suite de poursuites judiciaires. Il s’y rend sur l’invitation de David Hume, l’un des philosophes écossais les plus importants du siècle des Lumières. Ces échanges entre penseurs montrent le dynamisme de la vie intellectuelle en Europe au XVIIIe siècle et la mobilité des philosophes qui s’échangeaient des idées et voyageaient régulièrement.

Conclusion :

Le modèle anglais, fondé sur la monarchie parlementaire et la protection des droits des sujets, a donc influencé la pensée politique de la fin de l’époque moderne.
De même, les Pères fondateurs des États-Unis sont de grands lecteurs des philosophes des Lumières. Ainsi, la Révolution américaine s’inspire des textes de l’Habeas Corpus et du Bill of Rights. La rédaction de la Constitution américaine de 1787 tire son influence des Lumières et donc du modèle anglais.