Les lignes de force du territoire français
Introduction :
Paris et le désert français, de Jean-François Gravier (1947), La France du vide (1981) de Roger Béteille ou Le Dépaysement, Voyages en France de Jean-Christophe Bailly (2011) sont autant d’ouvrages traitant d’une fracture dans le territoire français entre la ligne de force et les territoires faiblement peuplés :
- le poids trop important de Paris (J.F. Gravier) ;
- les territoires français faiblement peuplés (R. Béteille) ;
- ou encore peu connus (J.C. Bailly).
Une ligne de force se définit comme un territoire moteur, dynamique, créateur de richesses et de puissance au sein d’un État. Quant au territoire, il s’agit d’un espace que l’homme s’est approprié et qu’il a aménagé en vue de la satisfaction de ses besoins.
Quelles sont les évolutions récentes des lignes de force du territoire français ?
Nous verrons dans un premier temps la localisation des lignes de force en France au niveau national et local, puis nous étudierons le rôle des voies de communication dans la formation et le renforcement de ces lignes de force.
Les principales lignes de force du territoire français
Les principales lignes de force du territoire français
Ces lignes de forces sont présentes aux échelles régionales et locales. Elles englobent aussi des territoires à forte spécificité, c’est-à-dire disposant d’une localisation et d’une activité spécifique et indispensable au fonctionnement des territoires.
Des régions dominantes
Des régions dominantes
Les régions les plus dynamiques, peuplées, productives et créatrices de richesses sont actuellement les régions transfrontalières (voir le cours La France et ses territoires transfrontaliers), l’Île-de-France, ainsi que les régions du Sud.
Les régions transfrontalières du Nord-Est deviennent progressivement des lignes de force du territoire français avec l’ouverture européenne.
Elles sont situées à proximité de la mégalopole européenne et bénéficient de la politique de cohésion de l’UE (voir le cours : L’Union européenne : entre inégalités territoriales et concurrence mondiale).
L’Île-de-France, polarisée par Paris, concentre depuis longtemps la population, les activités économiques et la production de richesses.
Si cette dernière est une ligne de force constante du territoire depuis longtemps, ce n’est pas le cas pour les régions du Sud et les territoires transfrontaliers. Les régions du Sud ont bénéficié d’une attractivité liée à l’héliotropisme (l’attirance pour les climats agréables, le soleil) et à la politique d’aménagement du territoire menée à partir des années 1970 par l’État. Des espaces touristiques ont été créés par exemple sur des zones marécageuses dans le sud-ouest (Port-Leucate, Port-Barcarès, Gruissan, Cap d’Agde). Puis des technopôles ont vu le jour. Le premier, Sophia-Antipolis, a été approuvé en 1974 et se trouve aux alentours de Nice.
Technopôle :
Les technopôles sont des lieux où se côtoient des entreprises de haute technologie, des formations universitaires et de la recherche. L’objectif est de créer des liens entre ces trois entités. Les entreprises peuvent par exemple financer les recherches des étudiants.
L’ensemble de ces technopôles a engendré un arc technologique, une sorte de « sun belt » à la française car ce sont les régions du Sud qui ont largement bénéficié de ces implantations.
Sun belt :
La sun belt (ceinture du soleil), est le nom donné au Sud des États-Unis. Cette partie du territoire est attractive grâce à son climat et bénéficie de l’implantation d’activités de haute technologie.
Désormais, les régions du Sud de la France bénéficient à la fois des ressources liées au tourisme et au développement d’industries de haute technologie.
Des métropoles attractives
Des métropoles attractives
Les principales métropoles du pays sont également considérées comme des lignes de force du territoire français.
Lorsqu’on parle des métropoles au niveau mondial, on parle d’une ville-mère.
Une ville-mère est un ensemble urbain de grande taille qui exerce des fonctions de commandement et qui dynamise toute une région. Les plus grandes métropoles sont aussi des villes mondiales (New York, Londres, Paris).
Cependant, à l’échelle de la France, on désigne par métropole un statut administratif, mis en place depuis 2010. Pour être considéré comme une métropole française, le territoire doit regrouper au moins 400 000 habitants et plusieurs communes.
- En 2019, on dénombrait 22 métropoles en France.
Ces métropoles ont été créées pour être des moteurs de croissance économique.
En effet, les communes regroupées mettent en commun des budgets importants pour agir sur leur territoire : aménagement des transports, projets éducatifs, écologiques, sociaux… Actuellement, les métropoles françaises concentrent plus de la moitié du PIB et plus d’un tiers des emplois. Leur attractivité est donc réelle.
Des territoires à forte spécificité
Des territoires à forte spécificité
Certains territoires sont devenus des lignes de force car ils sont nécessaires au fonctionnement de la mondialisation. Les principaux ports sont dans ce cas. Dunkerque, Rouen, Le Havre, Nantes-Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, et Marseille concentrent les principaux flux d’échanges internationaux et le trafic des conteneurs (voir le cours La France : une puissance maritime ?, I, 1).
Marseille, Le Havre et Dunkerque sont les trois premiers ports français
Plus largement, l’ensemble des littoraux est concerné. En effet, l’économie s’est littoralisée : les industries s’installent près des ports car les échanges sont facilités. De plus, ces régions littorales concentrent activités touristiques et technopôles.
Le rôle des communications
Le rôle des communications
Une ligne de force peut être identifiée par le volume des échanges et mobilités entre deux points, tant ceux-ci sont devenus fondamentaux dans nos modes de vie et activités. Les réseaux de communication en France sont très denses, malgré la persistance d’inégalités territoriales. Les voies de communications renforcent aussi certaines lignes de force existantes.
Une desserte du territoire satisfaisante
Une desserte du territoire satisfaisante
Desserte :
En géographie, on entend par desserte l’ensemble des moyens de communication présents sur un territoire.
La France est bien desservie par des axes et moyens de communication variés : aéroports, gares et voies ferrées, routes et autoroutes, transport fluvial.
- Réseau autoroutier :
Le réseau autoroutier s’est développé très rapidement après la Seconde Guerre mondiale. Il est composé aujourd’hui de 142 autoroutes et se déploie sur plus de 9 000 km. Depuis le Grenelle de l’environnement en 2007, dans un souci de protection de l’environnement, il a été décidé que les constructions de routes et autoroutes seraient désormais limitées. Sont seulement autorisées celles qui permettent de désengorger la circulation ou de désenclaver une région.
Grenelle de l’environnement :
Le Grenelle de l’environnement correspond à un ensemble de réunions qui ont rassemblé l’État, les collectivités territoriales et des ONG sur le thème de l’environnement.
L’axe majeur de circulation routière est celui qui relie Lille, Paris, Lyon et Marseille, mais la France compte une multitude de routes secondaires qui font que son réseau routier est considéré comme exceptionnel en Europe.
- Réseau ferroviaire :
Le réseau ferroviaire comprend quant à lui plus de 30 000 km de voies. Au XIXe siècle, la construction du réseau s’est faite à partir de Paris. Il est donc souvent qualifié de « réseau en étoile ». Les liaisons Nord-Sud ont donc été privilégiées au détriment des voies Est-Ouest.
Peu à peu, les réseaux routiers et ferroviaires ont pris une dimension européenne, c’est-à-dire qu’ils ne répondent plus seulement à une logique nationale. Les différents pays de l’UE tentent de s’accorder pour que l’on puisse facilement se déplacer d’un pays à l’autre : tunnel sous la Manche, extensions des réseaux vers la Belgique, les Pays-Bas, future liaison TGV vers Turin… (voir le cours Les transports, outils d’ouverture, de cohésion et de compétitivité de l’UE).
- Réseau fluvial :
Les transports fluviaux, quant à eux, sont facilités en France par la présence de plusieurs fleuves (Seine, Loire, Garonne, Rhin et Rhône) idéalement situés. 8 500 km de voies navigables servent aux déplacements des passagers (la plupart du temps dans un but touristique) et à la circulation des marchandises. Cependant, les transports fluviaux sont beaucoup moins utilisés que les routes et voies ferrées.
- Réseau aérien :
Enfin, les principaux aéroports français sont situés dans les grandes métropoles. Logiquement, Paris s’impose dans ce dispositif aérien avec les aéroports d’Orly et de Roissy-Charles de Gaulle, hub de dimension mondiale.
Un hub aérien correspond à une plate-forme vers laquelle convergent plusieurs liaisons aériennes. Les passagers peuvent ensuite prendre un autre avion vers une destination en général plus lointaine et internationale. De manière générale, un hub est une plate-forme multimodale d’où partent et convergent des liaisons vers différentes destinations.
142 autoroutes, 30 000 km de voies ferrées, une dimension européenne, la présence d’aéroports internationaux sont la preuve d’une offre satisfaisante des moyens de transport en France.
Cependant, la France doit répondre à d’autres impératifs pour déterminer la présence de lignes de force sur le territoire.
Les impératifs du réseau ferroviaire : diminution des temps de trajets et des coûts
Les impératifs du réseau ferroviaire : diminution des temps de trajets et des coûts
La réduction du temps de trajet est toujours mentionnée lors de la mise en place de nouvelles lignes ferroviaires. Les publicités des lignes à grande vitesse insistent systématiquement sur le nombre d’heures et de minutes gagnées : le Sud à trois heures de Paris, Rennes et Bordeaux respectivement à 1h30 et 2h de la capitale (depuis 2017)… Les arguments avancés concernent les modes de vie de l’ensemble de la population. Réduire le temps de trajet c’est en effet pouvoir travailler et vivre différemment : s’installer à la campagne dans un cadre agréable et travailler dans une métropole, ne pas prendre sa voiture mais privilégier les transports en commun…
À titre de comparaison, il fallait 7h47 pour voyager de Paris à Marseille en 1957
Il ne s’agit plus de couvrir l’ensemble du territoire dans un souci d’égalité, comme au début de la mise en place du réseau ferroviaire, mais plutôt d’agir dans un souci de rentabilité. C’est ainsi que des trajets de trains Intercités (trains classiques de la SNCF) sont régulièrement supprimés.
On compte, en 2020, 30 905 km de voies ferrées contre 39 400 km en 1914.
Il est parfois plus long d’aller dans une ville près de chez soi qu’en TGV à Paris, ou dans les territoires constituant des lignes de force. Certains lieux se trouvent forcément avantagés par rapport à d’autres.
Une France des marges ?
Une France des marges ?
Marge :
Territoire à l’écart des espaces de concentration des hommes et des activités.
La mise à l’écart d’un territoire est souvent le résultat d’une mauvaise desserte de celui-ci.
Cette mise à l’écart peut se traduire par une faible densité de population, peu d’activités économiques ou l’absence de grandes métropoles.
Attention toutefois à ne pas considérer ces territoires sous un angle négatif. Les marges ont des atouts.
Le calme (l’envie de s’éloigner des nuisances sonores, des pollutions lumineuses etc.) peut attirer des citadins qui changent de cadre de vie ou des touristes. L’éloignement des axes de communication signifie également moins d’émissions de gaz à effet de serre. Mais quels territoires sont concernés par cette mise à l’écart ?
Les outre-mer français sont qualifiés de marges car ils sont situés à des milliers de kilomètres du territoire métropolitain. En France métropolitaine, une diagonale, appelée parfois « diagonale des faibles densités », s’étend des Ardennes au Nord jusqu’aux Pyrénées en passant par le Massif Central. Le centre de la Corse, plus montagneux, fait aussi partie des marges, de même que les Alpes de Haute Provence. Ces territoires sont à l’écart des grands axes de transport. Ils sont également marqués par le vieillissement de la population, la ruralité et la désertification. Les équipements et les services font défaut (écoles, postes qui ferment), les ressources financières sont plutôt faibles.
Conclusion :
Les évolutions récentes des lignes de force du territoire français dépendent d’une desserte des transports satisfaisante. Ces lignes de force ont donc évolué, notamment avec la multiplication des lignes grande vitesse. L’évolution des modes de vie, l’intervention de l’État, les effets de la mondialisation ont aussi favorisé certains territoires. Ces lignes de force se localisent à différentes échelles : régionales (le Sud, l’Ile de France, les territoires transfrontaliers, les littoraux), locales (les métropoles, les ports).
À l’avenir, les enjeux se situent dans les territoires des marges et leur accessibilité.