Le roman d'anticipation
Introduction :
Les romans d’anticipation permettent une réflexion sur l’évolution des paysages et des modes de vie. Car les bouleversements majeurs que subit la société inspirent les artistes. En effet, comment savoir à quoi ressemblera le monde dans un siècle, quand on pense à ce qu’il était un siècle avant nous ? Pourtant, dans le roman d’anticipation, rares sont les visions optimistes de l’évolution de notre monde.
Nous étudierons donc dans ce cours deux exemples de romans d’anticipation exposant une vision différente du futur. La première partie sera consacrée au roman de Maxime Chattam, L’Alliance des trois, et la deuxième partie permettra d’étudier un exemple de La Machine à explorer le temps, un roman d’anticipation de H.G. Wells.
Quand la Terre se rebelle
Quand la Terre se rebelle
Autre-monde est une série romanesque de science-fiction de Maxime Chattam publiée entre 2008 et 2016. L'Alliance des trois est le tome 1 de la saga. Le lecteur suit trois adolescents. Le climat de la Terre est déréglé et menaçant. Une nuit, un ouragan frappe la ville et les adolescents prennent conscience que le monde a changé. La végétation a repris ses droits, l’électricité ne fonctionne plus, les parents ont disparu et la neige recouvre absolument tout. L’extrait ci-dessous est le moment où Matt, l’un des adolescents, se réveille et s’aperçoit du changement radical qui s’est opéré durant la nuit.
« Le froid le réveilla. Matt ouvrit difficilement les yeux, ses paupières étaient lourdes, son corps courbatu comme s’il avait couru un marathon la veille. Il prit conscience du froid qui l’enveloppait. Où était-il ? Que s’était-il passé ? Soudain, la confrontation implacable avec l’éclair lui revint en mémoire et Matt se redressa trop vite. Sa tête se mit à tourner, il posa une main sur le mur du couloir pour se retenir. Il faisait jour, une lumière de petit matin. Le parquet était glacé. Un courant d’air souleva des papiers devant lui, ils flottaient mollement dans l’appartement, à la manière de nuages égarés. Matt se leva et marcha vers le salon, un nœud dans l’estomac. Qu’était-il arrivé à ses parents ? Le salon était dans un tel état qu’un troupeau d’éléphants n’aurait pas fait plus de dégâts en le traversant. […] La grande baie vitrée n’existait plus, le vent de l’avenue s’engouffrait dans l’appartement, avec les flocons de neige. Matt avala sa salive. Il fit demi-tour et se rendit dans la chambre de ses parents. Vide également, et dévastée. »
Il est intéressant d’observer comment l’auteur traite l’instant clé de la découverte de ce nouveau monde. La révélation se fait à travers les yeux de Matt : on parle alors de point de vue interne puisque on a accès aux pensées de l’adolescent.
En effet, on peut noter que Matt se pose des questions : « Où était-il ? Que s’était-il passé ? »
- Ces interrogations traduisent l’étonnement de l’adolescent qui est abasourdi, mais aussi sa réflexion. Il cherche à comprendre ce qui se passe.
De plus, le lecteur a des informations concernant les sensations corporelles de Matt, par exemple son « corps courbatu », les « paupières lourdes », le « nœud à l’estomac », « il avala sa salive » ou encore son vertige lorsqu’il se lève trop vite. Tout cela évoque l’épreuve qu’il traverse, mais aussi sa peur.
Le lecteur a également des informations sur le temps qui a changé, notamment le « froid », « l’éclair », « le parquet glacé », « le vent », et « la neige » à travers les impressions de Matt.
Le narrateur utilise également des figures d’analogie, afin de faire comprendre l’importance de l’événement qui a eu lieu.
Figures d’analogies :
Les figures d’analogie sont des figures de style ou procédés d’écriture qui consistent à rapprocher deux éléments afin de les comparer. Les plus courantes sont la comparaison, la métaphore et la personnification.
Grâce à la comparaison « comme s’il avait couru un marathon la veille » ou encore la métaphore « un troupeau d’éléphants n’aurait pas fait plus de dégâts en le traversant », le lecteur peut se figurer l’effet qu’a eu la tempête sur le décor, en l’occurrence l’appartement de Matt.
Comparaison :
La comparaison consiste à comparer deux éléments avec l’emploi d’un terme comparatif, par exemple « comme », « tel que » ou « pareil à ».
Métaphore :
La métaphore est une comparaison imagée sans terme comparatif.
Maxime Chattam montre donc le changement de monde à travers les yeux d’un adolescent. Le lecteur prend conscience du passage à une nouvelle époque grâce au ressenti de Matt. L’auteur imagine un monde où la nature a repris ses droits, se vengeant du mépris des hommes depuis tant d’années.
Les adultes se sont volatilisés et le climat déréglé fait régner un froid polaire sur la ville. Le réveil de l’adolescent marque symboliquement le passage à cette nouvelle ère.
Ainsi l’auteur nous projette dans un monde où la Terre, n’en pouvant plus de subir les caprices des hommes et leur volonté de tout maitriser, se révolte. Cela forcerait à revenir à un état primitif, sauvage, privant ainsi l’Homme de tous les progrès modernes.
H.G. Wells imagine quant à lui un futur où l’Homme aurait régressé, comme s’il était condamné à évoluer à rebours, en sens inverse, à partir d’un certain point.
Une évolution à rebours
Une évolution à rebours
La Machine à explorer le temps est un roman d’anticipation de H.G wells paru en 1895. Le personnage principal et narrateur raconte son voyage dans le temps. Il dépeint une société en 802 701 où l’Homme semble revenu à un état quasi sauvage. En apparence le monde est parfait. Les hommes, ayant domestiqué la nature, vivent en harmonie dans un monde paradisiaque. Mais le narrateur découvre vite les aspects négatifs de ce monde futuriste.
« À trois reprises différentes, tandis que je scrutais la pente devant moi, je vis des formes blanches. Deux fois je crus voir une créature blanche, solitaire, ayant l'aspect d'un singe, qui remontait la colline avec rapidité ; une fois, auprès des ruines, je vis trois de ces formes qui portaient un corps noirâtre. Elles faisaient grande hâte et je ne pus voir ce qu'elles devinrent. Il semblait qu'elles se fussent évanouies parmi les buissons. L'aube était encore indistincte, vous devez le comprendre, et j'avais cette sensation glaciale, incertaine, du petit matin que vous connaissez peut-être. Je doutais de mes yeux. »
- Le narrateur s’aperçoit que d’autres êtres sortent la nuit et enlèvent les humains.
Leur apparence est décrite de façon incertaine, créant par conséquent un effet de suspense. Ce suspense est renforcé par le narrateur interne : on découvre en même temps que lui les éléments du roman.
Ces êtres sont en effet présentés comme des « formes blanches » puis comme une « créature blanche, solitaire, ayant l'aspect d'un singe, qui remontait la colline avec rapidité » mais le narrateur ne parvient pas à les apercevoir distinctement, puisque cela se déroule la nuit.
On peut relever les actions de ces créatures mystérieuses. Le narrateur indique que l’une d’elles « remontait la colline avec rapidité », puis elles « portaient un corps noirâtre », enfin il lui sembla « qu’elles se fussent évanouies parmi les buissons ». Les actions de ces créatures sont inquiétantes, elles sont capables de rapidité, elles enlèvent et peut-être même tuent des êtres et sont capables de grande discrétion, au point de disparaitre. L’auteur ménage donc ici un effet de suspense avant l’apparition des Morlocks, ces créatures effrayantes qui ne sortent que la nuit.
Les recherches du narrateur portent également sur les êtres peuplant ce monde nouveau.
« Bientôt je fis l'étrange découverte que mes petits hôtes ne s'intéressaient réellement à rien. Comme des enfants, ils s'approchaient de moi pleins d'empressement, avec des cris de surprise, mais, comme des enfants aussi, ils cessaient bien vite de m'examiner et s'éloignaient en quête de quelque autre bagatelle 1. »
1 Occupation ou objet sans importance.
On peut noter une forme de supériorité dans la façon dont le scientifique décrit son sujet d’étude. Il les juge et les nomme mes « petits hôtes ». Ces derniers ne semblent pas avoir une intelligence très développée, et ne « s’intéressaient réellement à rien ». Le narrateur utilise la comparaison avec des enfants afin de qualifier leur comportement. La comparaison « comme des enfants », introduite par le terme comparatif « comme », est même répétée afin d’insister sur cette idée. Les « cris de surprise », « l’empressement » dont ils font preuve et puis le désintéressement rappellent en effet le comportement d’un enfant.
- Ce peuple du futur semble, contre toute attente, avoir régressé.
H.G. Wells se pose la question de l’évolution de l’Homme. Et si, arrivé à un point de son parcours d’être humain, au lieu d’évoluer, l’Homme régressait ? Le roman La Machine à explorer le temps est en fait une critique de la société. La manière dont l’Homme vit ne peut conduire, selon Wells, que vers la décadence.
Décadence :
La décadence est le fait de perdre de sa qualité, c’est un déclin, une chute.
Conclusion :
Les progrès techniques bouleversent la nature. Les paysages que nous connaissons à présent sont créés par l’Homme qui modifie tout ce qui l’entoure. La photographie est un témoignage précieux de toutes ces transformations. Mais celles-ci inquiètent les auteurs qui exposent leur vision de notre futur dans le cadre du roman d’anticipation. Certains comme Maxime Chattam imaginent la Terre, tant de fois bafouée, se rebeller et effacer les progrès technologiques des Hommes.
D’autres comme Wells, dénoncent les dérives de notre mode de vie à travers la vision effrayante de deux peuples ayant évolué de manières différentes. Le rôle du roman d’anticipation est bien en effet de nous mettre en garde sur les conséquences éventuelles de nos actions d’aujourd’hui.
C’est pourquoi l’évolution des paysages et des modes de vie est souvent envisagée dans les romans d’anticipation comme décadente.