La Méditerranée, un espace d'échanges entre les civilisations
Introduction :
Loin de n’être qu’un espace séparant deux continents, la Méditerranée est avant tout un espace qui connecte les civilisations. Pendant des siècles, un nombre important d’acteurs de tous types converge vers cet immense espace d’échange intercontinental. La « mer entre les terres » comme l’appelaient les Romains, ne connaitra jamais un rôle aussi central que durant le Moyen Âge où elle joue véritablement un rôle de connecteur, véritable carrefour de toutes les routes commerciales européennes, asiatiques et africaines.
Nous verrons en quoi cet espace est la pierre angulaire des échanges commerciaux et culturels entre les différentes civilisations du vieux Monde, puis comment cet espace central, enjeu stratégique majeur au Moyen Âge, sera progressivement marginalisé à échelle mondiale.
Un espace central dans les échanges intercontinentaux
Un espace central dans les échanges intercontinentaux
Des échanges commerciaux entre les rives de la Méditerranée
Des échanges commerciaux entre les rives de la Méditerranée
La mer Méditerranée, comme son nom l’indique, conserve au Moyen Âge sa fonction de « mer reliant les terres » : c’est un véritable carrefour de civilisations, permettant de mettre en interconnexion les trois continents (Afrique, Asie et Europe) qu’on appellera d'ailleurs par la suite le « Vieux Monde ». Les marchandises provenant de tous les coins du monde connu convergent vers ce point central et s’échangent dans les comptoirs et ports de la Méditerranée.
De véritables routes terrestres traversent les continents pour y amener des ressources, comme la route de la soie, qui achemine depuis la Chine jusqu’au Levant des marchandises aussi précieuses que la soie, le jade, la porcelaine, les épices et l’ambre. C’est en racontant son voyage le long de la route de la soie, jusqu’en Chine, que le marchand vénitien Marco Polo connaitra au XIVe siècle un succès littéraire sans précédent, créant chez les Européens un désir de voyager pour connaitre les merveilles du monde. De même, les routes transsahariennes ramènent dans les ports de Méditerranée de l’or et des esclaves venus de l’intérieur du continent africain, faisant la fortune du royaume du Mali et de son souverain Kankan Moussa, le plus riche roi du XIVe siècle.
Le commerce en Méditerranée repose sur les réseaux marchands et les navires de commerce. Ces derniers ne traversent pas directement la mer jusqu’à la destination finale, mais empruntent des corridors maritimes par la pratique du cabotage : les navires longent les côtes pour éviter de s’abîmer en haute mer. Cela leur permet d’utiliser les différentes étapes pour écouler une partie de leurs marchandises et en acheter d’autres auprès des négociants.
Une véritable culture marchande commune à la Méditerranée se met en place, sans distinction de nationalité ou de religion : une langue commune, la lingua franca, se met en place et permet à tous les marchands et marins de l’espace méditerranéen de communiquer et de négocier, de l’Orient à l’Occident.
La lingua franca se compose d'un mélange de français, d'italien, d'espagnol et d'autres langues du bassin méditerranéen.
Une interface de contacts culturels et de transferts d’idées
Une interface de contacts culturels et de transferts d’idées
Les villes portuaires de Méditerranée accueillent de nombreux commerçants étrangers, qui viennent avec leurs marchandises, mais également avec leurs cultures. Les nombreux échanges permettent de transmettre des savoirs entre les différentes civilisations, ce que les souverains et les États savent valoriser.
C’est notamment le cas du roi de Sicile, Roger de Hauteville, qui va s’entourer de nombreux savants arabes, les plus réputés de ce temps. L’un des plus célèbres d’entre eux et plus grand cartographe de son époque, Al-Idrissi, lui permettra de posséder la carte la plus précise du monde jusqu’aux grandes découvertes : la Tabula Rogeriana.
La Tabula Rogeriana, réalisée par le cartographe arabe Al-Idrissi pour le roi de Sicile, Roger de Hauteville, en 1154. Elle représente le monde tel qu’il était connu au XIIe siècle, avec les trois continents (Afrique, Asie et Europe), centrée autour de Jérusalem. La carte est rédigée en arabe, avec des numéros latins, et une orientation Sud (le Nord est vers le bas).
Les différentes cultures et les connaissances scientifiques partagées entre les différentes rives de la Méditerranée font vraiment de cet espace un carrefour de civilisations, et vont permettre le renouveau du savoir en Occident.
C’est en traduisant des ouvrages en arabe arrivés dans leurs ports que les Latins vont redécouvrir un grand nombre de savants de l’Antiquité, jusqu’alors oubliés. C’est le cas du philosophe Aristote, qui sera redécouvert grâce aux traductions arabes et à sa critique formulée par l’andalou musulman Averroès.
En Italie, les érudits s’intéressent aux ouvrages grecs, latins et arabes qui leur parviennent depuis le monde islamique, et vont créer des universités au début du XIIIe siècle pour mieux comprendre et diffuser ce savoir. De même, la médecine européenne est révolutionnée par les premières traductions du médecin persan Avicenne, qui redéfinit la discipline en se basant sur le savoir antique, alors oublié par les Européens : des universités de médecine se développent alors autour du bassin méditerranéen, comme à Salerne, en Italie, ou bien à Montpellier.
La redécouverte des traités de cartographie antique, comme celui de Ptolémée, permet aux Européens de mieux comprendre et envisager le monde dans son immensité.
Le monde selon Ptolémée (géographe grec Ier-IIe siècle après J.-C.) dont l'œuvre a été redécouverte au XVe siècle
Ailleurs, des traducteurs comme Marsile Ficin ou Pic de la Mirandole s’attachent à retraduire la Bible à partir des ouvrages originaux, révélant l'exacte nature des textes saints.
À la fin du XVe siècle, les échanges culturels et scientifiques continus entre les différentes rives de la Méditerranée ont provoqué un véritable bouleversement civilisationnel en Occident, qui souhaite alors renouer avec la culture antique.
Au cœur de l’espace méditerranéen et de cette dynamique culturelle, Venise va s’imposer comme un modèle représentant au mieux cette époque.
D’un espace central à un espace périphérique
D’un espace central à un espace périphérique
Venise, une république marchande au cœur de la Méditerranée
Venise, une république marchande au cœur de la Méditerranée
Venise est une ville italienne située dans une lagune, sur la mer Adriatique. La ville s’est développée de manière autonome depuis le Ve siècle et s’est dotée d’un gouvernement original pour le Moyen Âge : une République. Contrairement aux autres États qui sont monarchiques, la ville est dirigée par des institutions citoyennes qui décident de manière collégiale de la direction de la ville. Le chef d’État n’est pas un roi, mais un doge, élu par le conseil de la ville.
République :
Forme de régime dont le pouvoir est divisé entre plusieurs institutions.
Monarchie :
Forme de régime reposant sur le pouvoir exclusif d’une seule personne.
La ville, isolée sur un archipel entouré exclusivement de la mer, s’est tournée très tôt vers l’activité commerciale. Dès le XIe siècle, la ville s’est imposée comme un élément fondamental du commerce en Méditerranée, avec les autres républiques maritimes italiennes que sont sa rivale Gênes, mais aussi Pise et Amalfi.
La place privilégiée de Venise en Méditerranée lui a permis très tôt de développer un étroit réseau commercial avec les autres villes portuaires des rives européennes, asiatiques et africaines. Les commerçants vénitiens s’établissent dans les villes étrangères via la mise en place de comptoirs.
Les comptoirs sont des lieux où les marchands vivent en communauté et mènent leurs activités commerciales. Ils contiennent à la fois les lieux de stockage des marchandises et les boutiques de négoce. L’étendue des comptoirs vénitiens en Mer Méditerranée et en Mer Noire permet d’évaluer l’importance du commerce vénitien au Moyen Âge et d’imaginer la variété des marchandises échangées.
Dans cette politique de développement des comptoirs, Venise va soutenir des expéditions militaires comme les croisades, en échange de l’attribution de territoires stratégiques dans le commerce Méditerranée, comme Chypre ou la Crète. Venise est une thalassocratie : elle met sa flotte de guerre à disposition des autres contre des paiements avantageux. C’est dans cette optique qu’elle détourne la quatrième croisade sur Constantinople.
Thalassocratie :
Puissance dont la domination s’exerce par sa capacité à maitriser les mers.
Cette domination maritime enrichit considérablement la ville, qui va se développer et sera un centre artistique et scientifique important à la fin du Moyen Âge, avec la création de l’université de Padoue, dont les travaux permettront de faire de grands progrès en médecine et en astronomie.
Le déclin de la Méditerranée et les projections au-delà du détroit de Gibraltar
Le déclin de la Méditerranée et les projections au-delà du détroit de Gibraltar
Aux XIIIe et XIVe siècles, l’accès à la mer et aux débouchés commerciaux est si important que des puissances se battent pour le contrôle d’espaces stratégiques, notamment en Italie. Ainsi, le royaume de Sicile devient la proie des Français au XIIIe siècle. Encouragé par le pape à mener une expédition dans cette région, Charles d’Anjou, le frère du roi de France Saint Louis, entreprend une expédition militaire dans le sud de l’Italie pour s’emparer du port de Naples. Ce port est l’un des plus riches, doté d’une position centrale dans le commerce méditerranéen. Le royaume de Sicile lui est alors disputé par une dynastie rivale, la famille royale d’Aragon, dont Alphonse le Magnanime, qui conquiert à son tour Naples en 1443.
L’Aragon domine alors un véritable empire maritime en Méditerranée, de la Catalogne à la Grèce, lui permettant de s’imposer comme puissance dominante dans le commerce de son époque.
Peinture du XVe siècle montrant un défilé naval de la flotte aragonaise dans le port de Naples. Tavola Strozzi, auteur inconnu. Musée national Saint Martin, Naples, Italie, 1472
Si l’espace méditerranéen apparait comme complètement central entre les Xe et XVe siècles, il va progressivement perdre en importance dans l’économie mondiale. En Orient, la montée en puissance de l’Empire ottoman au XVe siècle va progressivement restreindre les routes commerciales d’approvisionnements venues d’Asie : la perte progressive des comptoirs orientaux par les républiques marchandes poussera d’autres acteurs à envisager de nouvelles sources d’approvisionnement.
Les progrès en cartographie, en astronomie et en navigation permettent aux navigateurs d’imaginer des voyages plus longs, plus loin, pour éviter d’avoir à traiter avec les Ottomans au Levant.
De nouvelles puissances en Europe, comme l’Espagne et le Portugal, vont utiliser de nouveaux outils comme l’astrolabe et la boussole pour envisager de contourner le continent africain.
Arrivée de Vasco de Gama à Calicut, le 20 mai 1498. Gravure de Roque Gameiro, Bibliothèque nationale de Lisbonne, XIXe siècle
En réalisant son voyage jusqu’en Inde en 1498, Vasco de Gama prouve qu’il est possible de contourner l’Afrique et de s’approvisionner directement en Inde, sans passer par les intermédiaires italiens et turcs.
Conclusion :
Au Moyen Âge, le commerce en Méditerranée crée un monde marchand qui dépasse toutes les rivalités politiques et religieuses. Le contrôle des routes commerciales et des ports est un enjeu fondamental pour les différents acteurs qui en bordent les rives, comme Venise, véritable puissance maritime médiévale. Espace d’interaction culturelle majeur tout au long de cette période, la Méditerranée favorise aussi la diffusion de savoirs qui donnent un nouvel élan scientifique et culturel en Europe occidentale, permettant l’émergence d’une époque nouvelle faite de grandes découvertes : la Renaissance.