Le Menteur

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Le Menteur, Pierre Corneille, le rire et la tromperie

Introduction :

Le Menteur est une apothéose parce qu’elle est annonce la fin des comédies chez Pierre Corneille, mais aussi parce qu’elle illustre parfaitement le goût classique et les attentes du public du dix-septième siècle. Il s’y retrouve ce qui est l’essence du théâtre et ce après quoi court Corneille dans toutes ses comédies : l’illusion. Si le mensonge apparaît pour Dorante, le personnage principal, comme un moyen de satisfaire ses attentes en matière d’amour, c’est aussi une source intarissable de divertissement. Les personnages se trompent entre eux, mais le dramaturge se plaît également à tromper son spectateur. Ce plaisir de l’auteur et de son héros à mettre en place des stratagèmes est une manière de dénoncer des situations sociales figées et de proposer une réflexion sur la condition humaine, mais aussi une façon de provoquer le rire à chaque scène.
La tromperie orchestrée par Corneille dans Le Menteur est donc d’une profondeur exceptionnelle. Comment, sous sa plume, le thème du mensonge parvient-il à articuler d’infinies variétés de comiques avec un problème moral complexe ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre dans quelles mesures le classicisme est une période de remise en question radicale de l’écriture et de la représentation théâtrale. Il s’en suivra que Le Menteur repose sur une typologie stricte des personnages et de l’intrigue, mais qu’elle propose aussi une vision de la jeunesse en rupture avec la tradition. C’est ainsi qu’il sera possible de voir en Corneille un moraliste hors du commun. Contre toute attente, la pratique du mensonge s’élève ici au rang de chef-d’œuvre.

Corneille et le classicisme

La première moitié du dix-septième siècle est marquée par le règne de Louis XIII. Sous son règne se forge le mouvement artistique qu’on appelle aujourd’hui le classicisme, et qui rayonnera ensuite pendant tout le règne de son successeur, Louis XIV. S’appuyant sur l’esthétique des anciens, à savoir les intellectuels et les artistes de l’Antiquité, les représentants de ce mouvement sont à la recherche d’un idéal : celui de « l’honnête homme ».

Âge d’or et institutionnalisation du théâtre

Au début du siècle, les « mystères », qui se jouaient depuis la fin du Moyen Âge, ne sont plus à la mode. Les pièces sans actions, ponctuées de longues lamentation, que produisent des auteurs de la Renaissance comme Garnier ou Jodelle, ne rencontrent plus leur public. Un nouveau souffle est attendu, et Richelieu, le puissant ministre de Louis XIII, va contribuer au développement d’un nouvel art théâtral.

Cardinal de Richelieu - SchoolMouv - Français - 1re Portrait du cardinal de Richelieu, Philippe de Champaigne, 1650, National Gallery, Londres

Il va distribuer des pensions aux meilleurs auteurs, se faire lire des pièces ou aller en voir. Il va également favoriser le statut des comédiens, encourager les pièces sur tréteaux, et subventionne la seule salle permanente à Paris : l’Hôtel de Bourgogne. En créant l’Académie française en 1635, il associe les artistes au pouvoir politique. C’est parce qu’il est autant au fait de l’actualité et des évolutions du genre théâtral qu’il reconnaît immédiatement le travail de Corneille. Il va rapidement lui offrir un soutien financier avant de le faire entrer à l’Académie française.

Siège de l’Académie française - SchoolMouv - Français - 1re
Siège actuel de l’Académie française, à Paris ©Dennis Jarvis – CC BY-SA 2.0

Le théâtre de Corneille est à la lisière entre ce qui se faisait à la Renaissance et ce que Racine et Molière, les deux auteurs les plus renommés de la période classique, vont porter sur scène dans la deuxième moitié du dix-septième siècle. Comédie et tragédie sont fermement séparées à leur époque. Mais Corneille, bien qu’il sépare aussi les deux genres et qu’il soit éminemment reconnu pour ses vingt-et-une tragédies, rencontre aussi le succès, à ses débuts, avec des œuvres qui sont à la fois de la tragédie et de la comédie. Elles sont les héritières de l’art baroque, qui se caractérise par des changements incessants dans les caractères des personnages ou dans les tons employés. Par exemple, en 1634 Corneille écrit L’Illusion comique, une pièce où tout n’est qu’illusion. Elle raconte comment un magicien montre à un père la vie de son fils qu’il n’a plus vu depuis dix ans. Le rire, la magie et le pathétique se mélangent. Le Menteur, pièce jouée dix ans plus tard, garde des traces de cette écriture par la façon dont Clarice ou Dorante hésitent sur leurs sentiments.

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Définition

Pathétique :
Qui provoque une émotion très vive.

Mais la pièce la plus représentative de l’influence de Corneille sur le monde du théâtre et sur le tournant de l’ère baroque à l’ère classique, c’est sa pièce de 1637 : Le Cid. Cette pièce, ouvertement qualifiée de tragi-comédie, mêle des combats héroïques aux complexes intrigues amoureuses, des scènes de violence et de rire aux scènes de larmes et de ruse. Le triomphe est total, mais le scandale aussi. Le Cid provoque des débats extrêmement animés dans le monde des lettres. Beaucoup de spectateurs sont troublés par le sang versé sur scène et par les invraisemblances de l’histoire. Des intellectuels vont donc décider de fixer des règles strictes pour l’élaboration d’une pièce. Et Corneille et le premier de ces théoriciens. Contre ce qui se trouve dans sa propre pièce, il va imaginer des règles qui sont censées garantir la noblesse et la beauté de ce qui est joué.

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Attention

La frontière entre comédie et tragédie est complexe. Il ne s’agit pas seulement de dire qu’on rit dans la comédie et qu’on pleure dans la tragédie. Il y a des comédies où on ne rit pas, et des pièces sérieuses qui ne sont pas des tragédies.

Dans les Discours qu’il fait paraître en 1660, il définit la règle des trois unités, qui veut qu’une action se déroule dans un seul lieu et en une journée. Il décrit aussi la règle de bienséance, qui a pour principe de ne pas heurter les convenances, et de ne rien montrer d’intime. Enfin, il défend la règle de vraisemblance qui incite les auteurs dramatiques à rester proche du réel et aussi loin que possible de l’irrationnel.

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Définition

Irrationnel :
Qui n’est pas cerné par la raison, par la logique.

Le choix de la comédie

Un parcours se dessine : Corneille se fait connaître principalement avec des comédies à la toute fin des années 1620 et dans les années 1630. Puis, entre Le Cid et Le Menteur il s’engage dans des expérimentations qui mêlent les genres. Enfin, après La Suite du menteur, qui date de 1645, il ne se consacre plus qu’à la tragédie, jusqu’à sa dernière pièce, Surena, en 1674. Corneille est donc un réformateur de la littérature de son temps, dans le sens où chacune de ses œuvres ne marque pas seulement une évolution dans son esthétique personnelle, mais aussi dans la vision que ses contemporains portent sur le théâtre.

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Définition

Réformateur :
Personne qui apporte des changements à une forme ancienne.

Si La Suite du Menteur est sa dernière comédie, c’est dans Le Menteur qu’il fera le plus évoluer le genre comique. En l’occurrence, il imagine se débarrasser de la farce et de la commedia dell’arte, au profit d’un spectacle qui s’inspire du savoir-faire des Anciens et de l’effervescence du Siglo de oro (siècle d’or) espagnol.
La commedia dell’arte est un genre théâtral italien qui repose sur l’improvisation. Il existe un canevas, qui est une sorte de scénario de base, et les comédiens, avec des costumes et des masques, improvisent dessus un certain nombre de situations cocasses, de blagues grivoises, etc., qui provoquent de grands rires. Comme dans la farce, les personnages sont grotesques et l’atmosphère est bouffonne. Dans Le Menteur, l’héritage de la commedia dell’arte se reconnaît aux personnages typiques comme le vieil homme et le valet, la servante et la jeune ingénue. Mais l’improvisation n’a pas sa place et l’humour est plus subtil.

Les comédiens italiens - Watteau - SchoolMouv - Français - 1re Les comédiens italiens, Antoine Watteau, 1720, National Gallery of Art, Washington

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Attention

Dans les années 1630, la comédie ne signifie pas forcément le rire. Le rire fait même peur, il inquiète. En outre, Corneille s’adresse à un public bourgeois et même aristocratique, donc il n’est pas question pour lui de le faire hurler de rire. Il recherche plutôt le bon mot, la fidélité à la réalité, il prend comme sujet la galanterie ou l’argent, mais évite la vulgarité ou les excès.

Aristote conseille que « le poète traite son sujet selon le vraisemblable et le nécessaire ». Corneille respecte ce précepte dans Le Menteur, même s’il faut reconnaître que les mensonges de Dorante sont tirés par les cheveux. Mais précisément, il échoue, et il est démasqué à la fin de la pièce. L’Antiquité reste une boussole pour Corneille jusqu’à la fin de sa vie. Les mythes de cette époque sont au cœur de son œuvre, et Le Menteur y fait souvent référence.

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Définition

Mythe :
Récit imaginaire, fabuleux, qui met en scène des êtres prodigieux, des forces ou des énergies qui représentent les aspects saillants de l’humanité.

Son autre inspiration pour Le Menteur est plus récente puisqu’il s’agit d’un auteur du « siècle d’or » espagnol. L’expression désigne quelques décennies à cheval sur le seizième et le dix-septième siècle pendant lesquelles l’art et la culture espagnols ont rayonné sur l’Europe entière. Miguel de Cervantès, le romancier, ou Diego Velázquez, le peintre, sont d’illustres représentants de cette culture.

Juan Ruiz de Alarcón - SchoolMouv - Français - 1re Portrait de Juan Ruiz de Alarcón ©Bloody-libu - ©Polmars

Comme Corneille l’explique dans l’épître, sa pièce est une adaptation de La Verdad sospechosa de l’écrivain Ruiz de Alarcón. Il la traduit en partie et la modifie beaucoup, mais la trame principale reste la même. Son histoire se passe en France et non plus en Espagne. Son héros n’est pas puni, alors qu’il l’est chez Alarcón. Comme chez ses modèles, son comique repose sur les thèmes du déguisement, du jeu et de l’ascension sociale.

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Définition

Épître :
Petite lettre d’un auteur qui sert d’avertissement sur son travail.

Plaire et instruire

Cette réflexion de Corneille sur la nature de son comique dépasse les enjeux d’esthétique et de mise en scène. Le rire a une portée politique et culturelle importante. En cela, il est fidèle à la rigueur intellectuelle qu’il hérite de son éducation chez les Jésuites, et à une devise de l’art sous l’Ancien Régime : docere et placere, autrement dit « plaire et instruire ». C’est une doctrine qui invite l’artiste à créer une œuvre qui plaise à son public, mais qui l’élève en même temps qu’elle le divertit.

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Définition

Jésuite :
Membre de « La Compagnie de Jésus », un ordre religieux sous les ordres immédiats du pape.

La façon dont Corneille présente le courant précieux dansLe Menteur relève de cette double ambition de plaire et d’instruire. Ce courant naît dans les salons du dix-septième siècle. Il désigne un comportement amoureux qui consiste à séduire les femmes en soignant son langage et en adoptant des manières raffinées. Un vocabulaire utilisant la métaphore du feu, ainsi qu’une longue parade amoureuse de la part de l’homme, sont utilisés. Dans les œuvres précieuses, comme celles de Madame de Scudéry, on y trouve des sujets comme les obstacles aux relations amoureuses et les revirements des sentiments.

Madame de Scudéry - SchoolMouv - Français - 1re Portrait de Madame de Scudéry, 1650, Bibliothèque municipale du Havre

Or, tous ces éléments se retrouvent dans Le Menteur. Dorante met toute son éloquence au service de la séduction de jeunes femmes, quand on le croit amoureux de l’une, il est en fait amoureux de l’autre. Alcippe est jaloux, les deux héroïnes changent souvent d’avis, un mariage est imposé, etc.

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À retenir

En se servant de la préciosité, Corneille parvient donc à plaire avec des motifs plus élégants que ceux de la farce, et instruit son public des mœurs du moment.

Son épître montre ces deux objectifs. Cependant, il cherche aussi à plaire à son lecteur en stimulant sa fibre patriotique. En effet, au moment où Corneille rédige son texte introducteur, la France est en guerre contre l’Espagne. Aussi, ce n’est pas sans ironie qu’il se vante de « piller » les adversaires du moment quand il explique que sa pièce est une adaptation d’une pièce espagnole : « Ceux qui ne voudront pas me pardonner cette intelligence avec nos ennemis approuveront du moins que je pille chez eux […] » Il l’instruit ensuite en lui expliquant les qualités de la pièce d’Alarcón et les merveilles de littérature qu’il est possible de trouver en Espagne. Mais en se présentant ainsi comme un pilleur et comme un admirateur, ne joue-t-il pas déjà avec la frontière entre mensonge et réalité que la pièce se plaît à malmener ?

Le mensonge, entre utilité et vanité

L’œuvre de Corneille est un exemple des codes esthétiques et des mœurs de son siècle, mais c’est en même temps l’œuvre d’un innovateur et d’un provocateur. De la même manière que dans Le Cid il met en scène un héros noble et invite les spectateurs à s’interroger sur le bien-fondé des duels d’honneur, dans Le Menteur il invite à penser l’utilité possible du mensonge et sa vanité. Pour ce faire, il utilise des personnages « types » qui deviennent des représentants de valeurs opposées, selon les péripéties qu’ils traversent.

Dorante et son entourage

Le titre du livre l’indique immédiatement : Corneille cherche à rendre compte d’un personnage type. Le héros est désigné par sa caractéristique principale et non pas par son prénom, à savoir qu’il est un menteur. C’est un phénomène à la mode au dix-septième siècle, et Molière, quelques années plus tard, s’en fera le spécialiste à travers des pièces comme L’Avare ou Le Misanthrope par exemple. Par conséquent, la psychologie de Dorante est peu fouillée. Ce qui compte, c’est de montrer comment il ment, et de comprendre comment nous pouvons reconnaître ce défaut en nous. De fait, ses mensonges servent à faire de lui un séducteur hors pair, autre aspect de sa personnalité. Dans la scène d’exposition, il explique ouvertement qu’il veut profiter de la vie et conquérir des femmes et des postes de pouvoir. Il est naïf, peu prudent, et se laisse facilement berner par les stratagèmes des femmes.

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Exemple

Voici comment Dorante décrit à Cliton les qualités nécessaires au bon menteur :

« Le Ciel fait cette grâce à fort peu de personnes.
Il y faut promptitude, esprit, mémoire, soins,
Ne se brouiller jamais, et rougir encor moins. »

Le Menteur, Acte III, Scène 4

Mais Dorante n’est pas qu’un simplet. Bien qu’il soit menteur, caractère absolument condamné par la noblesse, il est doué parfois de quelques valeurs nobles comme le courage physique. Quand Alcippe, son ami devenu un rival, le provoque en duel, il ne craint pas d’aller l’affronter. Par ailleurs, son premier mensonge, celui qui prétend qu’il vient d’accomplir un début de carrière militaire exemplaire en Allemagne, montre aussi l’image qu’on se fait du héros de l’armée à l’époque de Corneille. Vantard, Dorante prétend qu’il a fait mille exploits guerriers qui le couvrent de gloire. En réalité, il n’est qu’étudiant au moment où il croise Clarice et Lucrèce. S’il est aussi vantard et ambitieux, c’est précisément qu’il n’a rien vécu encore de significatif. L’objectif pour lui c’est de devenir ce que la société du dix-septième siècle appelait un « honnête homme ».

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Exemple

Lorsqu’il apprend les tromperies de son fils, Géronte lui dénie le statut de « Gentilhomme » :

« Laisse-moi parler, toi de qui l’imposture
Souille honteusement ce don de la Nature.
Qui se dit Gentilhomme, et ment comme tu fais,
Il ment quand il le dit, et ne le fut jamais. »

Le Menteur, Acte V, Scène 3

Géronte, le père de Dorante, est le représentant de cet idéal de l’honnête homme. À l’inverse du héros, ce personnage héritier des philosophes grecs se caractérise par sa modération, sa maîtrise de soi, et sa foi chrétienne. Cultivé, courtois, il a beaucoup de savoir-vivre et ne tombe jamais dans l’excès. Son jugement est sûr, et il sait être sévère ou clément quand il le faut. Loin de la caricature du père autoritaire, Géronte sait pardonner à son fils à la fin de la pièce quand il découvre tous ses mensonges. Il ne veut que son bien et fait en sorte que son mariage soit heureux.

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Définition

Courtoisie :
Extrême politesse.

Dans sa trajectoire pour devenir un honnête homme comme son père, Dorante peut compter sur la complicité de Cliton, son valet. Là encore, le personnage du valet est un personnage type de la comédie d’Ancien Régime. Souvent, le valet est un personnage plus rusé que le héros. DansLe Menteur c’est plus compliqué, car si Cliton permet à Dorante de mener à bien ses tours, il est aussi sa victime. C’est pourquoi Cliton admire son maître en même temps qu’il se met parfois en colère contre lui.

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Définition

Ancien Régime :
Organisation de la société avant la Révolution française.

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Exemple

Dorante s’engage à tout dire à son valet :

« À toi, de mon cœur l’unique secrétaire,
À toi, de mes secrets le grand dépositaire,
Je ne cèlerai rien puisque je l’ai promis. »

Le Menteur, Acte IV, Scène 1

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À retenir

Le valet est surtout là pour indiquer au spectateur comment le rapport de Dorante au mensonge évolue. Il est l’unique personnage à alerter sur les dangers du mensonge, même s’il conclut la pièce avec une réplique ironique : « Vous autres qui doutiez s’il en pourrait sortir,/ Par un si rare exemple apprenez à mentir. »

Façonner l’intrigue

Il est difficile de résumer l’intrigue du Menteur tant les mensonges se croisent et se superposent, brouillant totalement la situation initiale. La structure de la pièce est pourtant rigoureuse. L’essentiel est donné dans l’acte I : présentation des trois personnages principaux, Dorante, Clarice et Lucrèce, ambiguïté sur les prénoms des deux jeunes filles, sentiment amoureux d’Alcippe pour Clarice. Les deux actes suivants entremêlent les mensonges qui tournent autour du mariage de Dorante, du stratagème des deux femmes pour le confondre, et de la querelle entre Clarice et Alcippe. L’acte IV vise à démasquer les menteurs, quand l’acte V met fin aux différents nœuds de l’action, jusqu’à ce que Dorante finisse par se marier avec Lucrèce, qu’il aime sincèrement, et avant que Cliton donne une accentuation morale à l’ensemble. Tous les fils de cette intrigue amoureuse reposent donc sur un quiproquo initial, présenté dès les premières scènes : Dorante séduit Clarice en pensant qu’il s’agit de Lucrèce. Ce ressort comique se retrouve dans la plupart des comédies du siècle.

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Définition

Quiproquo :
Malentendu qui consiste à prendre quelqu’un ou quelque chose pour une ou un autre.

Ce n’est pas pour rien que Corneille le met au service d’une intrigue amoureuse, puisque c’est un sujet noble, adapté à son public. Il est donc important pour lui de présenter des personnages féminins intéressants. En l’occurrence, il s’en tient à deux types : les héroïnes et les suivantes. Clarice et Lucrèce ne sont pas des potiches, elles ne se contentent pas de se laisser séduire par Dorante. Méfiantes, elles lui tendent un piège pour évaluer sa sincérité. Clarice est coquette, mais l’amour semble moins l’intéresser que le mariage. Lucrèce est plus discrète, seulement une témoin au début de la pièce. Mais elle va se révéler sensible aux charmes de Dorante, et va accepter de l’épouser. La jalousie entre elles ne fait qu’épaissir la tension de l’intrigue.

Mais ce ne sont pas les seuls personnages féminins dignes d’intérêt. Comme Cliton, les deux servantes, Isabelle et Sabine, sont malines et ne se contentent pas d’exécuter les ordres de leurs maîtresses : elles sont aussi des confidentes et des stratèges. D’ailleurs, c’est Isabelle qui imagine le stratagème qui consiste à inverser les identités de Clarice et de Lucrèce à l’occasion d’un rendez-vous nocturne. Sabine tient un rôle plus traditionnel de servante. Elle est préoccupée par l’argent et par sa liaison avec Cliton. Mais c’est tout de même elle qui révèle le secret de l’échange de prénoms qui va finalement résoudre toute la pièce.

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À retenir

Parce qu’il conduit à des incompréhensions que seul le spectateur est capable de comprendre, le quiproquo est une source inépuisable de comique. En outre, il permet de rendre compte avec plus de finesse des relations qui unissent les personnages féminins et masculins.

Le badinage entre superficialité et profondeur

Le Menteur reflète l’organisation sociale du dix-septième siècle. Dorante provoque une sorte de folie en arrivant à Paris. Son père s’attend à ce qu’il se marie, dans un mariage qu’il a lui-même arrangé, mais son fils ne l’entend pas de cette oreille au début de la pièce. Dorante compte bien badiner auprès des jeunes filles qu’il rencontre. Le badinage, c’est l’art de la drague dans la société mondaine de l’époque. C’est une codification des rapports langagiers entre les hommes et les femmes. Cette forme ancienne de galanterie vise à cultiver un langage élevé et subtil.

Dorante croit être le plus malin à ce jeu-là, mais Clarice se moque tout de suite de ses entourloupes verbales. Marivaux, plus d’un siècle après Corneille, se fera le spécialiste de ce genre de bavardage. En son honneur, le public parisien va créer un synonyme : le marivaudage. Mais le badinage n’est pas un simple passe-temps. Il détermine le reste de l’existence des amants. Après la séduction, il faudra passer au mariage, qui détermine l’âge adulte. Le spectateur découvre de jeunes gens à la toute fin de leur jeunesse. Ils apparaissent comme des « fils de » ou des « filles de ». Seul Géronte, le sage, échappe à cette catégorisation.

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Exemple

Ce n’est pas sans une pointe de moquerie que Clarice décrit la rapidité avec laquelle Dorante prétend tomber amoureux :

« Si votre cœur ainsi s’embrase en un moment,
Le mien ne sut jamais brûler si promptement,
Mais peut-être, à présent que j’en suis avertie,
Le temps donnera place à plus de sympathie. »

Le Menteur, Acte I, Scène 2

Pour faire sentir le comique à travers le badinage, Corneille recourt au comique de mots. Il multiplie les insultes, les jeux sonores, les interruptions du discours, les accumulations, etc. Ces effets sont accompagnés d’un comique de geste indiqué par les didascalies. Cliton est le personnage qui porte le plus ce comique. Il tire les vêtements de Dorante, court d’un côté à l’autre de la scène, etc. Pour un comédien, il est facile d’imaginer que les mimiques se multiplient à chaque fois que quelqu’un reconnaît un mensonge ou s’agace. Évidemment, les comiques de caractère ou de situation se superposent à ces deux formes élémentaires de comique.

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Définition

Mimiques :
Gestes exagérément expressifs, qui en disent plus long que certaines paroles.

Mais avec Corneille, le badinage devient davantage qu’une occupation de jeunes gens désœuvrés ou un prétexte à créer des situations comiques. L’auteur s’en sert pour élever le mensonge à son plus haut degré d’habileté. En voulant séduire, Dorante est contraint de mentir. Pour se défendre, les deux jeunes filles sont aussi contraintes de ruser. Corneille a donc voulu montrer qu’il fallait avoir du talent pour parvenir à une telle maîtrise de la tromperie : mémoire, capacité d’improvisation, éloquence, etc. Certes, il reconnaît dans l’épître de La Suite du menteur que le mensonge est un défaut : « Il est certain que les actions de Dorante ne sont pas bonnes moralement, n’étant que fourbes et menteries […] ». Mais sa pièce trahit sa pensée profonde, à savoir que Le Menteur de haut niveau fait preuve d’une intelligence remarquable.

Conclusion :

En écrivant une pièce qui a pour titre Le Menteur, Corneille a-t-il réellement signé une pièce qui parle du mensonge ? Rien n’est moins sûr. En effet, qu’est-ce donc que le théâtre si ce n’est l’art du mensonge lui-même ? Analyser la pièce revient à dire que Dorante, Clarice, Lucrèce, Cliton ou Isabelle avancent masqués, parce qu’il est difficile de savoir quand ils disent la vérité. Mais sur scène, avec leurs costumes et leur maquillage, leurs mots qui sont ceux d’un autre, les comédiens n’avancent-ils pas toujours masqués ? Par ailleurs, en ne condamnant pas fermement le mensonge, Corneille sous-entend probablement que ce sont nos codes sociaux qui nous conduisent à mentir, et que la parole du menteur est en fait révélatrice d’une vérité seconde. Si c’est le cas, alors c’est la même chose pour le théâtre, car derrière le jeu des comédiens se dégage le sens plurivoque de la pièce. Trouver le vrai dans le faux, comme le fait toute forme d’art, voilà probablement ce que Corneille a cherché à faire.
Il est difficile d’en vouloir à Dorante de mentir autant. Après tout, ce n’est qu’un jeune étudiant qui débarque à Paris et qui doit se débattre dans un monde dominé par les apparences. Il est bien normal de chercher à briller, à se faire remarquer, pour trouver sa place. Un lycéen d’aujourd’hui, habitué à utiliser les réseaux sociaux, et donc à travestir la réalité, est confronté également à une réalité difficile et à un univers des apparences qu’il faut apprendre à dompter. De la jeunesse de Dorante que Corneille a figé pour l’éternité dans le théâtre, il faut peut-être retenir qu’il est nécessaire de ne pas s’enfermer dans son premier mensonge, car, lorsqu’on est allé trop loin, il n’est pas facile de garder la face.