Les formes de satire
Introduction :
Le mot satire vient du latin « satura » qui désigne à l’origine un plat mêlant différents aliments. La satire désigne par la suite un poème réunissant des vers et de la prose.
Mais au fil des siècles, le sens du mot évolue et dès le XVIIe siècle, on parle de satire lorsqu’une œuvre se moque des défauts de son époque.
La satire peut prendre diverses formes. On la retrouve depuis le dix septième siècle dans toutes sortes d’écrits, de peintures, mais aussi, de nos jours, à la télévision ou encore au cinéma.
Afin de comprendre un peu mieux le genre satirique et les formes qu’il peut prendre, nous étudierons dans la première partie de ce cours un extrait du roman épistolaire de Montesquieu, les Lettres Persanes. Puis, dans une seconde partie, nous repèrerons la satire dans un article du Dictionnaire philosophique de Voltaire.
La satire dans le roman épistolaire
La satire dans le roman épistolaire
Les Lettres persanes est un roman épistolaire de Montesquieu publié en 1721.
Roman épistolaire :
Un roman épistolaire est un roman composé de lettres.
Les personnages principaux du roman sont Persans. En voyage en France, ils découvrent Paris et ses coutumes et correspondent dans des lettres avec leurs amis restés en Perse. Ces lettres sont l’occasion pour le lecteur de percevoir son environnement à travers un regard neuf, celui d’un étranger. Mais c’est également pour Montesquieu l’occasion de critiquer indirectement les mœurs et le pouvoir en place à son époque et ainsi d’échapper à la censure royale.
L’extrait que nous allons étudier ici est la lettre 24.
« Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. […]
Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu’on jugerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. […]
Tu ne le croirais pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne. Il n’y a pas de gens au monde qui tirent mieux partie de leur machine que les Français ; ils courent, ils volent : les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. […]
Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. […] il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient. […] Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits. »
La critique des mœurs
La critique des mœurs
Une vue de Paris depuis le Pont-Neuf, Nicolas Jean-Baptiste Raguenet, 1763
Le narrateur persan en visite à Paris décrit les choses qui l’étonnent dans cette ville qu’il découvre. On peut percevoir cet étonnement à travers diverses expressions, notamment lorsqu’il écrit « tu ne le croirais pas peut-être ».
Parmi les sujets de stupeur, on relève tout d’abord le tumulte parisien, le narrateur parle en effet d’un « mouvement continuel ». Les maisons paraissent démesurément hautes aux Persans, de telle sorte qu’elles semblent habitées par des « astrologues ».
Enfin la rapidité des Parisiens est mise en avant avec la gradation « ils courent, ils volent » et contraste avec la lenteur de la vie asiatique.
Gradation :
Une gradation est une figure de style qui consiste en une énumération de mots classés de façon croissante ou décroissante d’intensité.
L’excès de la vie parisienne est dénoncé à travers l’étonnement du narrateur.
- L’agitation des Parisiens, mais aussi les maisons si hautes que cela en devient ridicule, sont en réalité une critique des mœurs parisiennes par Montesquieu.
Cette critique est ici voilée : elle n’est pas directement émise par l’auteur mais par son personnage.
L’observation de Montesquieu sur les coutumes permet au lecteur de prendre du recul sur sa façon de vivre.
La critique du pouvoir en place
La critique du pouvoir en place
Le narrateur souligne la crédulité des Français qui croient tout ce que le roi leur dit.
Crédulité :
La crédulité désigne la facilité à croire quelqu’un ou quelque chose.
Mais la critique de Montesquieu est surtout tournée vers le roi qui est décrit comme un manipulateur qui « exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ». On peut en effet relever le champ lexical de la manipulation avec les termes et expressions « il les fait penser », « persuader », « faire croire » ou encore « puissance […] sur les esprits ».
Montesquieu critique le pouvoir royal de son époque. Il dénonce la manipulation du peuple sous l’apparente naïveté de son personnage qui compare le roi à un magicien aux pouvoirs extraordinaires.
On peut d’ailleurs remarquer l’emploi d’un champ lexical de la puissance avec les termes « puissant », « puissance », et « force ».
Le roi Louis XIV fait ici l’objet de la satire de Montesquieu qui use d’un stratagème pour le critiquer indirectement. Il place en effet ses critiques dans la bouche d’un personnage fictif qui, étant étranger, semble juger en toute objectivité.
Mais la satire peut également s’exprimer de façon plus directe comme dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire.
La satire dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire
La satire dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire
Voltaire publie son Dictionnaire philosophique en 1764. Il s’agit d’un genre nouveau au XVIIIe siècle. Cette œuvre, qui sera rééditée par la suite, s’adresse à tous et permet le partage de la connaissance. Elle s’inscrit donc dans la philosophie des Lumières.
Portrait de Voltaire d’après Maurice Quentin de La Tour (vers 1736)
Voltaire s’exprime ici sur la torture, encore légale au XVIIIe siècle. Il prend l’exemple du chevalier de La Barre qui a été torturé en 1766. Celui-ci possédait d’ailleurs un exemplaire de la première édition du dictionnaire philosophique de Voltaire.
« Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance, mais ayant toute l’étourderie d’une jeunesse effrénée, fut convaincu d’avoir chanté des chansons impies, et même d’avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d’Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête.
Ce n’est pas dans le XIIIe ou dans le XIVe siècle que cette aventure est arrivée, c’est dans le XVIIIe. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d’opéra, qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d’opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu’il n’y a point au fond de nation plus cruelle que la française. »
« Torture » in Dictionnaire philosophique, Voltaire, édition de 1769.
Un homme condamné à tort
Un homme condamné à tort
Le chevalier de La Barre, condamné à la torture, est présenté par Voltaire comme un jeune homme respectable. Il est « petit-fils d’un lieutenant général des armées » et est qualifié par l’auteur de « jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance ».
Il semble avoir été en quelque sorte victime de sa jeunesse. En effet, l’auteur emploie la voie passive « fut convaincu d’avoir chanté des chansons impies » et lui accorde comme circonstance atténuante son jeune âge puisqu’il évoque l’« étourderie d’une jeunesse effrénée ».
Circonstance atténuante :
« Circonstance atténuante » est une expression que l’on emploie pour désigner un fait qui peut permettre d’atténuer la gravité d’un crime.
La cruauté des juges
La cruauté des juges
Voltaire dénonce le sadisme et la cruauté des juges qui sont pointés du doigt : « les juges d’Abbeville ».
Sadisme :
Le sadisme est le fait de prendre plaisir à faire souffrir les autres.
En effet, les juges appliquent une sanction disproportionnée par rapport au crime reproché. La violence des juges est choquante, ils recommandent « qu’on lui arrache la langue, qu’on lui coupe la main, et qu’on brûle son corps à petit feu ».
La satire s’exprime clairement avec la suite de cette phrase : « mais ils l’appliquèrent encore à la torture ». En effet, les sanctions précédentes étaient déjà des formes de torture.
- La justice se révèle ici inique et violente.
Inique :
L’adjectif inique signifie injuste.
Une condamnation absurde et archaïque
Une condamnation absurde et archaïque
La condamnation des juges est présentée par Voltaire comme une aberration, elle semble absurde et archaïque.
Aberration :
Une aberration est quelque chose qu’on ne peut expliquer par la logique, une grave erreur, une décision folle.
Archaïque :
L’adjectif archaïque désigne un fait ou une chose qui appartient à un autre temps, qui n’est plus en usage.
Le déchainement de violence est souligné par les connecteurs logiques : « non seulement », « et », « mais encore » puis à nouveau « et ».
- Cela montre l’accumulation de sévices que le chevalier a subi.
Sévices :
Les sévices désignent les mauvais traitements infligés à une personne ou un groupe qu’on a sous sa responsabilité.
De plus, la torture est recommandée non pas pour faire avouer un autre crime au chevalier mais pour savoir « combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête ».
Voltaire compare les juges aux sénateurs romains pour souligner que nous ne sommes plus dans la Rome antique : de nombreux siècles se sont écoulés mais les pratiques n’ont pas évolué. C’est précisément ce que déplore Voltaire. Il insiste sur la pratique violente et archaïque que constitue la torture en précisant que cette condamnation n’appartient pas au Moyen Âge : « Ce n’est pas dans le XIIIe ou dans le XIVe siècle que cette aventure est arrivée ».
Enfin, Voltaire énonce toutes les choses que les étrangers peuvent admirer de la France, « les spectacles », « les romans », « les jolis vers », « les filles d’opéra, qui ont les mœurs fort douces », les « danseurs d’opéra, qui ont de la grâce », « Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. »
- Cette énumération met en évidence le raffinement apparent des Français.
Énumération :
Une énumération est une figure de style qui crée un effet de liste et d’accumulation. Plusieurs termes sont alors juxtaposés, simplement séparés d’une virgule.
La douceur évoquée dans cette énumération contraste terriblement avec la pratique de la torture.
Voltaire dénonce le décalage qui subsiste entre le XVIIIe siècle, aux mœurs en apparence si raffinées, et la torture, qui relève en théorie plus d’une pratique de l’Antiquité ou du Moyen Âge.
Conclusion :
La satire est donc un moyen de critiquer les mœurs mais aussi le pouvoir en place. Elle peut être subtile et se cacher dans les propos de personnages de romans ou bien s’afficher aux yeux de tous. Elle prend des formes multiples et fait avancer la société en la faisant réfléchir sur ses vices et ses dysfonctionnements.