Une nouvelle réaliste : « La Parure » de Maupassant et l’adaptation éponyme de Claude Chabrol
Introduction :
« La Parure » est une nouvelle réaliste de Maupassant parue en 1884. Elle a été publiée pour la première fois dans le quotidien Le Gaulois puis éditée dans un recueil de nouvelles intitulé Contes du jour et de la nuit en 1885.
Une adaptation télévisuelle de la nouvelle a été tournée pour France 2 en 2007. La série, nommée « Chez Maupassant », reprenait un grand nombre de nouvelles de l’auteur. C’est Claude Chabrol qui a réalisé l’adaptation de « La Parure ». Cécile de France tient le rôle de Mathilde Loisel et Thomas Chabrol celui de son mari, qui sont les deux personnages principaux de la nouvelle.
Une adaptation cinématographique ou télévisuelle permet de rendre compte d’un point de vue. Un parti pris est obligatoire, car alors que la littérature laisse une part à l’imagination, le réalisateur doit mettre en scène sa propre vision de la nouvelle.
Dans une première partie nous résumerons la nouvelle de Maupassant, afin de bien connaître le sujet. Puis, nous verrons que la nouvelle et son adaptation dévoilent des portraits réalistes. Enfin, nous montrerons que Maupassant pose un regard critique sur la société du XIXe siècle.
Parure :
Le terme « parure » désigne ici un collier constitué de pierres précieuses.
Réalisme :
Le réalisme est un courant littéraire du XIXe siècle qui reflète son époque. Il inscrit la narration dans un contexte bien réel. Ce courant est en quête de vérité dans son approche de la psychologie des personnages, de leur milieu social, culturel et politique.
Le résumé de l’œuvre
Le résumé de l’œuvre
Mathilde Loisel est une belle jeune fille issue d’un milieu modeste mais qui rêve de luxe et de confort. Elle épouse un modeste employé du ministère qui est très amoureux d’elle. Pourtant, elle ne semble jamais satisfaite de sa vie et aspire à plus. Pour faire plaisir à son épouse, M. Loisel réussit à obtenir une invitation à une soirée huppée au ministère.
Mais la réaction de sa femme n’est pas celle qu’il s’était imaginée. Celle-ci est déçue car, n’ayant pas de tenue adéquate pour ce genre d’événement, elle ne veut pas se rendre à la soirée. Son mari propose donc de lui offrir une toilette (une tenue) pour l’occasion. Une fois la robe achetée, Mathilde replonge dans sa tristesse car elle n’a pas de bijou pour aller avec sa tenue. Son mari propose à sa femme d’aller trouver son amie Mme Forestier, qui a une situation plus confortable que la leur car elle a épousé un homme plus riche. Celle-ci lui prête une parure pour le bal.
M. et Mme Loisel se rendent à la soirée du ministère tant attendue. Mathilde est aux anges, elle est remarquée et admirée. Elle danse même avec le ministre qui la complimente sur sa beauté. De retour chez elle, Mathilde s’aperçoit qu’elle a égaré la rivière de diamants (collier constitué de diamants) que lui a prêtée son amie. Paniqués, les époux cherchent la parure partout, en vain. Ils jugent bon de prétendre avoir cassé le fermoir du collier pour gagner du temps.
Ils font alors refaire un bijou en tout point semblable à celui que Mme Forestier avait prêté, mais s’endettent auprès d’usuriers (personnes qui prêtent de l’argent à un taux très élevé). M. et Mme Loisel vont alors beaucoup travailler pour rembourser : heures supplémentaires, ménages… ils n’épargnent pas leur peine pendant dix ans. Ils en sortent vieillis et usés physiquement et moralement.
Alors qu’elle se promène au jardin du Luxembourg, Mathilde, métamorphosée par la misère, croise son amie Mme Forestier. Elle lui avoue avoir remplacé la parure qu’elle lui avait prêtée dix ans auparavant. Mme Forestier, peinée, lui annonce alors que la parure était fausse.
Des portraits réalistes
Des portraits réalistes
Madame Loisel
Madame Loisel
Dans l’adaptation télévisée de Chabrol, l’épisode s’ouvre sur le plan fixe d’un portrait de jeune fille encadré. Le personnage de Madame Loisel est présenté comme insatisfait et capricieux. Son amie Mme Forestier lui dit d’ailleurs « tu es une enfant ». Cette réplique ne figure pas dans la nouvelle mais uniquement dans la série télévisée.
Lorsque Mathilde reçoit l’invitation au bal, elle pleure pour avoir une toilette neuve. Puis, lorsqu’elle essaie la robe, elle rechigne à aller au bal, alors même que son mari vient de se sacrifier pour lui faire plaisir et lui payer une belle robe. Elle estime alors ne pas avoir les bijoux nécessaires pour une telle occasion.
La scène de l’essayage de la robe, présente dans l’adaptation de Chabrol ne figure pas dans la nouvelle. Le réalisateur a condensé le moment où elle rentre des courses, essaie la robe et dit qu’elle n’a pas de bijou pour aller avec. Cela souligne le caractère capricieux de Mme Loisel. Dans la nouvelle, il se passe trois jours avant que Mathilde n’en parle.
Mathilde parait heureuse, dans la nouvelle de Maupassant, lorsque son mari lance l’idée d’aller voir Mme Forestier pour se faire prêter une parure : « Elle poussa un cri de joie. ».
Dans le film, au contraire, Mme Loisel apparaît comme jalouse et orgueilleuse. On voit Mme Forestier une première fois et Mathilde rentre toute bouleversée, elle dit qu’elle n’ira plus jamais la voir : elle est jalouse et se sent humiliée d’être si pauvre à côté de Mme Forestier. Le comportement de Mathilde est enfantin.
L’aspect puéril de Mathilde apparaît également dans la nouvelle lorsqu’elle est tout excitée par la parure de diamants de son amie :
« Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe rivière de diamants ; et son cœur se mit à battre d’un désir immodéré. Ses mains tremblaient en la prenant. Elle l’attacha autour de sa gorge, sur sa robe montante, et demeura en extase devant elle-même. Puis, elle demanda, hésitante, pleine d’angoisse :
- Peux-tu me prêter cela, rien que cela ?
- Mais oui, certainement.
Elle sauta au cou de son amie, l’embrassa avec emportement, puis s’enfuit avec son trésor. »
- Le terme de « trésor » insiste sur le côté enfantin de Mathilde, de même que la gestuelle : « elle sauta au cou ».
Dans la série de Claude Chabrol, Mme Loisel sort du bal en chantant et en dansant comme une enfant et s’admire en arrivant chez elle, en se répétant les douces paroles flatteuses du ministre : « votre beauté n’a d’égale que votre élégance ». Il y a un contraste ici avec le choc de la disparition de la parure puisqu’elle pousse un cri en se rendant compte que le collier a disparu.
Les deux versions présentent le personnage de Mathilde comme étant insatisfaite, puérile et capricieuse. Toutefois, dans le portrait que dresse l’adaptation de Chabrol, le trait est plus prononcé.
Monsieur Loisel
Monsieur Loisel
Le mari est quant à lui présenté comme ayant peu de caractère. Dans l’adaptation de Chabrol, la gestuelle tient une grande place. Ainsi, lorsque M. Loisel vient dans le bureau de son supérieur pour demander du travail supplémentaire afin d’être invité au bal du ministère, sa posture est particulière. Il se tient le dos courbé et prend un ton doucereux, il se montre obséquieux (il met trop de manières, de politesse dans ses gestes ou ses paroles). Au début de l’épisode, le directeur de cabinet lui pose une main sur l’épaule, ce qui dénote sa supériorité. M. Loisel accepte tout, même les taux incroyablement élevés que l’usurier lui propose ensuite. Il ne discute même pas le prix de la parure qu’il fait refaire à la bijouterie.
Chabrol choisit d’ajouter le personnage du chef de cabinet. Le personnage du supérieur de M. Loisel n’est pas présent dans la nouvelle. On peut donc se demander pourquoi il a été ajouté, et ce que cela apporte.
Cet ajout permet ici de mettre en valeur la lâcheté du personnage de M. Loisel. Dans la nouvelle de Maupassant, le personnage du mari parle peu. Maupassant fait parler davantage Mathilde pour marquer son emprise sur son mari qui ne lui refuse rien.
La série, elle, permet un éclairage différent, brossant le portrait d’un homme lâche qui ne cesse de se plier aux exigences des autres. Chabrol s’inscrit dans la volonté de Maupassant de dépeindre les caractères avec précision.
Même sa femme lui manque de respect, notamment dans la scène du dîner. Lorsque celui-ci tente de consoler sa femme, en proie à une crise de jalousie envers son amie, elle lui répond :
« Oh toi du moment que tu as ton pot-au-feu ! »
Nous en avons à nouveau l’exemple lorsqu’elle se rend compte qu’elle a égaré la parure et qu’il lui demande si elle avait toujours la parure en sortant du bal, elle lui dit :
« Mais oui ! Si tu ne t’étais pas endormi sur cette banquette, tu l’aurais vu ! »
En somme, le personnage de M. Loisel acquiert de l’épaisseur dans la version télévisée de Chabrol.
- Le portrait psychologique est plus fouillé et des scènes sont ajoutées afin de lui donner presque autant d’importance que Mathilde Loisel.
Les portraits peints par Maupassant sont très réalistes. La cruauté apparente de l’auteur envers ses personnages est en réalité une critique envers la société de son époque.
Le regard critique de Maupassant sur la société du XIXe siècle
Le regard critique de Maupassant sur la société du XIXe siècle
Maupassant dénonce les travers de la société bourgeoise du XIXe siècle, une société où seules les apparences comptent.
Ses personnages en sont l’incarnation. Si toutefois le côté puéril de Mathilde peut passer pour de l’ingénuité, il n’est pas ici traité de façon flatteuse.
Ingénuité :
L’ingénuité caractérise une personne naïve, souvent jeune et qui manque de maturité.
Mathilde rêve de luxe alors qu’elle ne l’a jamais connu. Maupassant écrit ceci :
« Elle songeait aux grands salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins portant des bibelots inestimables ».
On peut néanmoins constater une différence entre le mari et la femme. Lui est content de sa situation, il est même « enchanté » de trouver son pot-au-feu, le soir en rentrant. En étant son opposé, il met en exergue (en valeur) le caractère insatisfait de Mathilde.
Les multiples rêveries de Mathilde décrites dans la nouvelle de Maupassant sont passées sous silence dans la série télévisée. Tout est joué dans le regard de Cécile de France et dans son attitude méprisante avec la bonne, qui exprime sa frustration.
Ainsi, Maupassant et Chabrol nous présentent cette jeune fille comme étant capricieuse et se comportant en enfant gâtée. Maupassant précise qu’elle est née pauvre mais belle, et qu’à ce titre, elle aurait pu prétendre à un mariage dans la haute bourgeoisie (avec son mariage avec M. Loisel, elle reste cantonnée à la petite bourgeoisie). Il écrit en effet :
« Malheureuse comme une déclassée : car les femmes n’ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille. »
Les femmes, dans la société bourgeoise du XIXe siècle, n’ont pour seule mission que de paraître. Elles doivent se montrer dans les soirées mondaines ou les salons et être bien vêtues. La distinction entre les hommes et les femmes est alors importante. L’homme qui travaille a une vie sociale, mais la femme qui reste au foyer n’a pour seule occupation que de préparer les soirées à venir et d’y paraître. Les femmes belles peuvent donc réussir dans cette société où l’apparence compte plus que tout :
« Car les femmes n’ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille. Leur finesse native, leur instinct d’élégance, leur souplesse d’esprit sont leur seule hiérarchie, et font des filles du peuple les égales des plus grandes dames. »
- Maupassant fait ici un constat : à son époque, la beauté pour les femmes compte avant tout.
C’est peut-être cette conscience du gâchis de sa beauté qui rend Mme Loisel insatisfaite. Son orgueil la perd puisqu’elle n’ose pas avouer à son amie la perte du collier. Elle a tellement peur de ce que l’on pourrait penser ou dire d’elle qu’elle gâche sa jeunesse à payer pour le bijou.
Chabrol insiste sur ce gâchis en ajoutant quelques mots entre Mathilde et son mari, mots qui ne sont pas présents dans la nouvelle de Maupassant : « Nous n’avons pas eu d’enfants ».
La chute de la nouvelle est inattendue et arrive à la toute dernière phrase. Le collier était faux, tous ses sacrifices ont été vains. Chabrol a choisi de filmer le visage et le regard de Cécile de France en gros plan, afin de montrer sa figure marquée par la misère et le souci. Son regard se perd, on pense alors qu’elle peut basculer dans la folie.
La facticité du collier est le symbole de la superficialité de Mathilde. Plus largement, il s’agit d’une critique de la société du XIXe siècle où règne l’apparence. Le terme « parure » choisi par Maupassant est d’ailleurs issu du verbe « parer » qui signifie préparer les choses de façon à les rendre plus belles, à en améliorer l’aspect. Dans la nouvelle de Maupassant, même la voiture d’un autre temps, empruntée par les protagonistes lors de leur sortie du bal, ne sort que la nuit pour ne pas être vue :
« Enfin ils trouvèrent sur le quai un de ces vieux coupés noctambules qu’on ne voit dans Paris que la nuit venue, comme s’ils eussent été honteux de leur misère pendant le jour. »
Mais Maupassant prend également un malin plaisir à punir son héroïne pour son péché d’orgueil et son insatisfaction chronique. Mathilde est victime de l’ironie de Maupassant qui, en punissant Mathilde, dévoile du même coup les dérives de cette société. Elle qui n’était pas satisfaite de sa vie se retrouve encore plus pauvre et ce par sa seule faute.
Ironie :
L’ironie est un procédé humoristique qui vise à dire le contraire de ce que l’on pense. C’est une manière de se moquer.
Le couple sacrifie tout afin de sauvegarder les apparences.
La vie de Mme Loisel change du tout au tout à partir du moment où elle paie pour cette parure. Mathilde subit une métamorphose physique et morale :
« Mme Loisel semblait vieille, maintenant. Elle était devenue la femme forte, et dure, et rude, des ménages pauvres. Mal peignée, avec les jupes de travers et les mains rouges, elle parlait haut, lavait à grande eau les planchers. »
Le changement est mis en scène par Chabrol à travers la marche de Mathilde. Chabrol la filme marchant dans la rue et elle disparaît derrière un pilier de pierre. Chaque fois qu’elle réapparaît, elle vieillit et se décatit. Le réalisateur accompagne le déplacement de l’actrice par un mouvement de caméra : un travelling latéral. La caméra se déplace alors sur le côté, de droite à gauche ou de gauche à droite. On la voit vêtue de guenilles (tissu en lambeaux), et considérablement vieillie. De même, on peut remarquer la musique qui accompagne la scène : un morceau de violon dont le rythme ralentit avec la marche de Mathilde et avec son vieillissement.
Maupassant et Chabrol n’accordent que peu d’importance aux conséquences sur la vie de M. Loisel. Voici un extrait de la nouvelle qui témoigne de ces sacrifices :
« Le mari travaillait, le soir, à mettre au net les comptes d’un commerçant, et la nuit, souvent, il faisait de la copie à cinq sous la page. »
En revanche, ils insistent sur la métamorphose de Mathilde et ses rêves brisés.
Conclusion :
« La Parure » est donc une nouvelle ancrée dans son époque. Le réalisme des personnages et des comportements figure également dans la version de Chabrol. Maupassant se joue de ses personnages avec ironie. Il dénonce à travers sa nouvelle une société factice fondée sur la dissimulation et le mensonge où tout semble n’être qu’illusion.
Chabrol propose une adaptation fidèle de la nouvelle mais ajoute certaines scènes pour étoffer le personnage de M. Loisel et créer les aménagements nécessaires à la transposition d’un genre à l’autre. Maupassant fait de « La Parure » un anti-conte de fées, une sorte de Cendrillon inversée. En effet, l’héroïne rêve d’aller au bal et s’y rend. Cendrillon perd son soulier de verre de même que Mathilde perd la parure. Cependant, Mathilde ne trouve pas le bonheur. Pire, elle se retrouve dans un dénuement total à la fin de la nouvelle.