Gouverner la France, de 1946 au début des années 1980
Introduction :
L’État-nation, c’est l’autorité qu’exerce une structure, l’État, sur une population qui forme une communauté de citoyens. L’État-nation français est né tôt, et certains historiens le font remonter à la fin du Moyen Âge, au XIVe siècle. Cet État-nation s’est renforcé avec Louis XIV et la monarchie absolue, puis la Révolution française, Napoléon 1er et les républiques successives. Globalement, la France a évolué dans le sens de la construction et du développement d’un pouvoir centralisé fort et unificateur de la nation. Nous allons nous intéresser à la période qui va de 1946 jusqu’au début des années 1980. · Nous analyserons le rôle de l’État dans l’évolution économique et sociale du pays, pour ensuite étudier le renforcement de l’État, et enfin commenter les changements politiques majeurs de la période.
L’évolution socio-économique
L’évolution socio-économique
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, après la chute du régime de Vichy, le redressement de la France est théorisé par le programme du CNR, le Conseil national de la Résistance. Sa mise en application est assurée par le GPRF, le Gouvernement provisoire de la République française, centré autour de la figure emblématique du général de Gaulle, héros de la Libération.
L’essentiel de ce programme d’après-guerre est basé sur la refonte complète de la société française. Après les années du pétainisme et du gouvernement collaborationniste de Vichy, le GPRF souhaite revenir à une démocratie pleine et entière sur les bases de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
- Il s’agit de développer un État-providence visant à protéger les citoyens. Pour cela les forces issues de la Résistance mettent en place de nombreuses structures, avec l’État comme pilier central.
- La période connait des avancées sur le plan social.
- Création de la sécurité sociale en 1945, avec l’assurance maladie ou les allocations familiales, auxquelles s’ajoutent d’autres formes de protection des plus faibles comme les personnes âgées ou porteuses de handicap.
- Elle est suivie de l’instauration en 1946 du système de retraite par répartition. Via ce système, les actifs cotisent pour payer des allocations versées aux retraités. C’est une forme de solidarité entre générations.
- La durée du temps de travail diminue de décennie en décennie. De 48 heures de travail hebdomadaire dans les années 1950, on passe aux 39 heures en 1981. Les congés payés, quant à eux, étaient de deux semaines en 1936 ; ils passent à 3 en 1956, puis à 4 en 1969 et enfin à 5 semaines en 1982.
- Le SMIG, le salaire minimum interprofessionnel garanti est créé en 1950, puis devient le SMIC, salaire minimum interprofessionnel de croissance en 1970, car il est indexé sur la croissance.
- Le droit syndical se développe : création des comités d’entreprise en 1945, droit syndical et droit de grève en préambule de la Constitution en 1946, convention collective en 1950, respect des procédures de licenciement, assurance chômage…
- La période voit aussi des avancées sur les droits des femmes.
- Dès 1944, avant même la fin de la libération de la France, le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes.
- À partir de 1965, les femmes mariées peuvent exercer une profession sans l’autorisation de leur mari.
- En 1967, la loi autorise la contraception.
- En 1975, la loi Veil accorde le droit à l’IVG, l’interruption volontaire de grossesse.
- Sur le plan économique, l’État est le moteur de l’économie française pour la reconstruction d’après-guerre.
- Les nationalisations sont le fer de lance de l’activité économique à l’époque.
- L’État prend le contrôle du secteur de l’énergie avec EDF-GDF pour l’électricité et le gaz, Charbonnage de France pour le charbon, ou encore Elf Aquitaine pour le pétrole.
- Les transports sont aussi placés sous la responsabilité de l’État, avec la RATP, Air France, ou encore la SNCF, nationalisée depuis 1937.
- La Banque de France, de nombreuses banques ainsi que de grands groupes d’assurance sont également nationalisés.
- Renault est un cas particulier puisque l’entreprise subit une « nationalisation sanction » du fait de sa collaboration avec l’occupant allemand.
- L’après-guerre voit le début d’une période économiquement faste, les « Trente Glorieuses ». Ce sont des années de haute croissance en France. Le monde du travail connaît le plein emploi et le pays fait largement appel à la main d’œuvre étrangère. C’est « l’âge d’or » de l’industrie française.
- De grands groupes voient le jour avec Pechiney pour la métallurgie ou Rhône-Poulenc pour la chimie et la pharmacie.
- L’agriculture se modernise au pas de course avec l’aide de l’État et de la CEE, la Communauté économique européenne, créée en 1957.
Dans l’industrie, les petites et moyennes entreprises disparaissent au profit de grands groupes, dans le commerce, les grandes surfaces se multiplient, et dans l’agriculture, les grandes exploitations remplacent les petites.
L’État encourage ce mouvement via différents plans économiques : les plans quinquennaux.
Les plans quinquennaux, rédigés par le Commissariat général au Plan, sont conçus pour inciter les acteurs économiques à se développer et établir les priorités économiques du pays. Cette stratégie a porté ses fruits dans le domaine de la croissance économique : la France est reconstruite et entre pleinement dans la société de consommation à la fin des années 1950.
Le renforcement de l’État
Le renforcement de l’État
L’État devient un élément fondamental des Trente Glorieuses. Le statut général du fonctionnariat est promulgué en 1946. Il décrit les conditions d’exercice des fonctionnaires, citoyens salariés de l’État qui participent à son bon fonctionnement.
Pour mieux gérer le pays, l’État crée l’INSEE la même année, l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques.
- Son but est de se doter d’un outil statistique pour mieux gérer et prévoir les évolutions de la société, afin de mieux gouverner.
Dans le même esprit, l’INED, l’Institut National d’Études Démographiques, avait déjà été créé au sortir de la guerre, en 1945. Il doit permettre d’anticiper l’évolution de la population et sera très utile dans la période du baby-boom.
Baby-boom :
Nom donné au phénomène d’explosion des naissances dans la France d’après la Seconde Guerre mondiale.
Pour bien fonctionner, l’État doit se doter d’une classe dirigeante capable de le gérer correctement. L’ENA, l’École nationale d’administration, est créée dans ce but en 1945. Les « grands commis de l’État », nom donné aux hauts fonctionnaires, y sont formés pour gérer le pays.
Tout ce travail de l’État se réalise dans le cadre de la tradition centralisatrice : la France est gouvernée depuis Paris, où se concentrent les pouvoirs politiques, administratifs, économiques et culturels.
Face à cette concentration de pouvoirs et d’activités sur la capitale, l’État décide la déconcentration de l’économie française au début des années 1960.
- Il s’agit de mener le redéploiement des activités économiques dans tout le pays, surtout pour l’industrie.
En 1956, l’État découpe 22 régions, chacune avec une capitale régionale, afin de déconcentrer l’activité de Paris et sa région.
Sur le plan du redéploiement économique, les résultats sont cependant décevants, car l’économie possède ses propres mécanismes et ce découpage administratif n’a que peu d’impact.
L’État poursuit son entreprise de développement du territoire.
Il décide ainsi des plans touristiques balnéaires sur le littoral, comme par exemple la mission interministérielle d’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon ou « mission Racine » en 1963. Cette mission permet de développer à grande échelle des infrastructures (logements, complexes touristiques, plages…) dans les départements de l’Hérault, du Gard, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales.
L’État lance aussi des plans d’urbanisation devant l’urgence posée par le nombre de sans-logements en France. C’est une période où les bidonvilles existent encore, et qui connait l’afflux massif d’immigrés venus pour satisfaire le besoin de main-d’œuvre.
Les HLM, habitations à loyer modéré, subventionnées par l’État, existent d’ailleurs depuis 1947.
En 1963, le général de Gaulle et son Premier ministre, George Pompidou, créent la DATAR, Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, qui est chargée d’aménager le territoire français.
L’État c’est aussi l’enseignement, du primaire au supérieur. Côté scientifique, l’État créé le CNRS, Centre National de la Recherche Scientifique et le Commissariat à l’énergie Atomique.
L’État intervient aussi pour développer le secteur de la santé via la création de CHU, Centres hospitaliers universitaires, qui assurent une double mission de soin et de formation.
L’État intervient aussi dans les négociations entre les syndicats et le patronat. Il s’implique dans les relations sociales et la résolution des conflits sociaux majeurs, comme en mai 1968, période de révolte sociale et culturelle des étudiants ainsi que des ouvriers.
Deux républiques bien différentes
Deux républiques bien différentes
Sur le plan politique, la période de 1946 aux années 1980 a connu un changement majeur : le passage de la IVe République à la Ve République.
À la fin de la guerre, et avec la chute de Vichy, la France doit reformer ses institutions politiques. Il faut trancher entre un éventuel retour à la IIIe République, jugée en partie responsable de la débâcle, ou une nouvelle constitution, et donc le début d’une IVe République.
- Les Français optent sans équivoque pour la seconde solution par référendum le 21 octobre 1945.
Une Assemblée constituante est élue, et c’est elle qui rédige la nouvelle Constitution, soumise à référendum.
Après un premier refus, la IVe République naît finalement en 1946, avec une petite majorité de 53 % de « oui » au référendum et contre l’avis du général de Gaulle, hostile au faible pouvoir de l’exécutif face aux parlementaires.
Les trois forces politiques majeures de l’époque sont :
- le PCF, le parti communiste français,
- la SFIO, Section française de l’Internationale ouvrière (c’est-à-dire les socialistes),
- le MRP, parti des centristes démocrates-chrétiens.
Les problèmes à résoudre sont énormes au lendemain de la guerre. Il faut reconstruire le pays, régler les sorts des anciens collaborateurs, gérer les luttes de décolonisation en Indochine, à Madagascar, en Algérie et faire face à la guerre froide. Devant tous ces problèmes, qui se posent au fil des ans, la IVe République n’offre que peu de stabilité.
Cette nouvelle Constitution donne les pouvoirs à un président du Conseil, l’équivalent de notre Premier ministre actuel.
Le président du Conseil tient son pouvoir de la majorité de l’Assemblée nationale. Or l’Assemblée nationale est élue au suffrage universel à la proportionnelle.
- Le système a le mérite d’être simple : un seul tour de scrutin, et autant de sièges de députés pour les partis que de pourcentage réalisé lors de l’élection.
Malgré la prédominance des trois formations vues plus haut, il se trouve que de très nombreux partis sont en course à l’élection et l’Assemblée nationale est très morcelée. Il est donc très complexe de former une majorité pérenne nécessaire à la gouvernance du pays.
C’est un système très instable. Avec 21 gouvernements en 12 ans, la IVe République a laissé un très mauvais souvenir aux Français qui ont vu défiler des gouvernements qui, pour certains, n’ont duré qu’une journée.
La multiplication des partis à l’Assemblée nationale, liée au mode de scrutin à la proportionnelle, rend difficile l’émergence d’une majorité stable.
La IVe République prend fin avec la crise du 13 mai 1958, lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir dans une situation d’extrême instabilité politique. Ce jour-là, qui est aussi le jour de l’investiture de Pierre Pflimlin comme président du Conseil, des généraux et une partie de l’armée prennent le contrôle d’Alger, de peur que Pflimlin ne négocie l’indépendance de l’Algérie avec le FLN.
De Gaulle se propose de sortir la France de la crise. Il conditionne néanmoins son retour à l’instauration de nouvelles institutions, et donc à la fin de la IVe République qu’il a toujours combattue. Investi par l’Assemblée comme dernier président du Conseil, il lance les démarches nécessaires au changement constitutionnel et au renforcement de l’État.
La Constitution de la Ve République établit un régime semi-présidentiel et parlementaire.
Élu pour 7 ans en 1958 au suffrage universel indirect, donc par des élus, de Gaulle change les règles en 1962 avec l’élection du président au suffrage universel direct.
- C’est le peuple qui élit son président.
Cela renforce grandement ses pouvoirs et change la nature de la République.
Comme auparavant, le président de la République ne peut pas être destitué, il est « irresponsable » politiquement, c’est-à-dire que la responsabilité de ses actes politiques incombe à ses ministres. Mais il a dans ses mains beaucoup plus de pouvoir que les présidents des Républiques précédentes. Il peut :
- dissoudre l’Assemblée nationale,
- proposer des référendums,
- prendre les pleins pouvoirs pendant 6 mois,
- nommer le Premier ministre et les hauts fonctionnaires,
- il est le chef de la fonction publique, de la justice et de l’armée.
- La Constitution affaiblit les pouvoirs du parlement au profit du président et du gouvernement.
Le gouvernement impose les sujets à débattre et à soumettre au vote du Parlement. Il peut faire passer une loi en force en mettant en jeu sa responsabilité, c’est-à-dire qu’il oblige sa propre majorité à voter une loi y compris si des voix dissidentes se font entendre.
Fonctionnement des institutions de la Ve République
Fonctionnement des institutions de la Ve République
Il s’agit d’un parlement bicaméral, c’est-à-dire composé de deux chambres :
- l’Assemblée Nationale, élue au suffrage direct,
- et le Sénat, élu au suffrage indirect.
Ils composent le pouvoir législatif puisqu’ils votent les lois. Le pouvoir exécutif est détenu par le Président de la République, élu par les citoyens, et le Premier ministre, nommé par le Président. Le conseil constitutionnel est garant, entre autres, de la constitutionnalité des lois votées à l’assemblée.
Pour éviter une Assemblée morcelée, comme cela a été le cas pendant la IVe République, l’élection des députés de l’Assemblée se fait par un scrutin à deux tours.
- Au premier tour, les petits partis sont éliminés car il faut plus de 10 % des inscrits pour se maintenir au second.
- Au second tour, dans une logique d’opposition entre partis de gauche et partis de droite, il est impératif de s’allier faute de quoi il devient impossible de gagner des sièges. Le candidat qui arrive en tête au second tour avec l’appui de son camp et de ses alliances politiques remporte le siège. Cette logique élimine encore de nombreux partis.
Résultats, on a très souvent une Assemblée nationale avec de larges majorités, ce qui permet au gouvernement de gouverner sans risque de se faire renverser. Le bilan est sans appel, et en réel contraste avec la IVe République : la Ve République, c’est 56 ans d’existence pour un seul gouvernement renversé.
Conclusion :
La France, de 1946 au début des années 1980, a été le théâtre de bouleversements majeurs de la société. Sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, il a fallu reconstruire un pays et le doter des institutions nécessaires à son développement et à la protection de ses citoyens. C’est l’avènement de l’État providence, par la création de la sécurité sociale, de la retraite par répartition et de tous les systèmes venant en aide aux plus faibles.
Durant les Trente Glorieuses, le rôle de l’État s’est renforcé et il a pris de plus en plus de place dans l’économie grâce à une arme majeure, les nationalisations, et à des réformes d’aménagement du territoire. La période a également vu des changements politiques majeurs, avec le passage d’une IVe République instable à la Ve République, la république gaullienne, où le président tient un rôle de premier plan. Avec un président élu par la peuple et placé au sommet de l’État, cette Constitution renforce encore l’image d’un État fort et centralisé.