Oh, les beaux jours ! - Partie 2

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Le bac de français 2025 arrive à grand pas ! Pas de stress, on a pensé à toi avec la liste des oeuvres ou bien un plan de révision pour les épreuves anticipées de 1ere 💪

Oh, les beaux jours !, Beckett : comique et désespoir

Lien vers le cours de 1re sur Oh, les beaux jours !

Introduction :

Le théâtre classique séparait nettement le comique, cantonné à la comédie, et l’expression du désespoir, réservé à la tragédie. Au XIXe siècle, le drame romantique a accueilli en son sein les deux registres, entraînant une révolution qui s’est poursuivie jusqu’au théâtre d’aujourd’hui. Mais comique et désespoir tragique peuvent entretenir des relations diverses : soit ils alternent d’une scène à l’autre sans vraiment se mélanger, soit ils sont liés l’un à l’autre et se renforcent.

Nous verrons donc comment le comique renforce l’expression du tragique dans la peinture de la condition humaine au théâtre. Dans un premier temps, nous rappellerons les relations entre comique et tragique jusqu’au théâtre romantique ; nous nous appuierons sur des exemples précis pour montrer comment les deux registres cohabitent. Puis nous étudierons plus précisément la place et les formes du comique dans le théâtre de l’absurde. Enfin, nous montrerons à partir de la scène 19 de la pièce Incendies de Wajdi Mouawad comment le comique peut à la fois ménager des pauses récréatives dans un univers désespérant tout en préparant l’arrivée du tragique.

Comique et tragique au théâtre

Du théâtre classique (XVIIe siècle) au drame romantique (XIXe siècle)

  • Tragédie et comédie
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À retenir

Au XVIIe siècle, les théoriciens du théâtre s’accordent sur la nécessité de séparer et de hiérarchiser comédie et tragédie.

Les deux genres se distinguent notamment par le type de personnages mis en scène :

  • nobles et héros mythologiques pour la tragédie ;
  • petit peuple et bourgeois pour la comédie.

Mais aussi par le registre :

  • le comique distrait en corrigeant les mœurs car il repose sur la peinture de caractères ridicules comme l’avare de Molière ;
  • la tragédie montre des personnages en proie à la fatalité et opère une catharsis sur le spectateur.
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Rappel

Cependant, déjà au XVIIe siècle, Corneille se montre favorable à un certain mélange des genres à travers la « comédie héroïque » : des personnages nobles évoluent dans une atmosphère de comédie comme dans sa pièce intitulée Don Sanche.

  • Drame bourgeois et mélodrame
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À retenir

C’est cependant dans le drame bourgeois théorisé par Diderot au XVIIIe siècle puis dans le mélodrame, qui éclot après la Révolution de 1789, que le mariage des genres s’opère le plus nettement.

Diderot drame bourgeois Diderot

Diderot défend un théâtre situé dans l’intervalle entre tragédie et comédie. Sa pièce représentant le mieux cet équilibre, Le Fils naturel, se rapproche donc au mieux d’une réalité dans laquelle les extrêmes sont rares.

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Astuce

Remarque :

Le drame bourgeois et le mélodrame, ce dernier représenté par exemple par La Mère coupable de Beaumarchais, ne connurent qu’un succès limité dans le temps et ne sont plus joués aujourd’hui.

  • Drame romantique

C’est donc plutôt par le drame romantique qu’on aborde généralement l’hybridation des deux registres comique et tragique.

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À retenir

Dans sa Préface de Cromwell, Victor Hugo en effet va plus loin que Diderot en libérant le théâtre des règles (unités de temps, de lieu, d’action) et en créant un drame total sur le modèle du théâtre de Shakespeare : il s’agit de mêler les catégories esthétiques du sublime (notion théorisée par le philosophe Kant) et du grotesque. Le drame représente le réel dans sa totalité, ce qui englobe les contraires jusqu’ici séparés : comique et tragique.

Cependant, tragique et comique cohabitent sans vraiment se marier.

Le drame romantique

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Exemple

Une pièce du répertoire romantique met bien en lumière cette caractéristique : On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset.

Alfred de Musset On ne badine pas avec l’amour drame romantique théâtre Légende

On ne badine pas avec l’amour est une pièce de Musset publiée en 1834 et créée (c’est-à-dire jouée pour la première fois) en 1861.

Après dix ans d’absence, Perdican, brillant jeune homme, rentre au château paternel en compagnie de maître Blazius. Il doit épouser sa cousine Camille rendue froide, tant par une éducation religieuse, que par sa gouvernante dame Pluche. Les retrouvailles sont décevantes. Camille, bien que troublée par son cousin, aspire à un amour absolu et idéal et redoute la désillusion.
Perdican éconduit, cherche à la rendre jalouse en courtisant Rosette. Les trois jeunes gens vont être pris au piège du jeu du badinage. Perdican et Camille finiront par déclarer dans une chapelle leur amour mutuel mais provoquent la mort de Rosette, de désespoir.

  • Cette mort tragique anéantit toute possibilité de dénouement heureux pour Camille et Perdican, qui victimes de leur orgueil, se disent adieu.
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À retenir

Dans ce drame, les personnages s’opposent en deux groupes bien distincts qui appartiennent chacun à un univers propre : l’un d’eux est constitué des personnages grotesques, ridicules et savoureux qui appartiennent à l’univers du comique.

  • Il s’agit du baron, le père de Perdican, mais surtout du duo Blazius/Pluche auquel s’ajoute le curé Bridaine, uniquement préoccupé de sa place à table et de ce qui restera dans le plat quand on le lui présentera.

Les propos du chœur qui annonce dans la scène d’ouverture les arrivées au château ne trompent pas :

« Doucement bercé sur sa mule fringante, messer Blazius s’avance dans les bluets fleuris, vêtu de neuf, l’écritoire au côté. Comme un poupon sur l’oreiller, il se ballotte sur son ventre rebondi, et les yeux à demi fermés, il marmotte un pater noster dans son triple menton. Salut maître Blazius, vous arrivez au temps de la vendange, pareil à une amphore antique. »

Puis arrive Pluche :

LE CHŒUR :
Durement cahotée sur son âne essoufflé, dame Pluche gravit la colline ; son écuyer transi gourdine à tour de bras le pauvre animal qui hoche la tête un chardon entre les dents. Ses longues jambes maigres trépignent de colère, tandis que de ses mains osseuses elle égratigne son chapelet. Bonjour donc, dame Pluche, vous arrivez comme la fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois.

PLUCHE :
Un verre d’eau canaille que vous êtes ! un verre d’eau et un peu de vinaigre !

LE CHŒUR :
D’où venez-vous Pluche, ma mie ? Vos faux cheveux sont couverts de poussière, voilà un toupet de gâté, et votre chaste robe est retroussée jusqu’à vos vénérables jarretières.

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À retenir

Les jeunes gens, issus de la bourgeoisie, relèvent d’un tout autre monde, celui du sublime et de l’idéal : Perdican et Camille s’aiment mais leur histoire est vouée dès le début à l’échec par leurs divergences d’opinion et de culture.

Perdican, jeune homme cultivé et savant, reconnaît les faiblesses de la nature humaine mais il les accepte, l’essentiel pour lui étant de se lancer dans l’aventure de l’amour quelle qu’en soit l’issue. Élevée au couvent, Camille ne les accepte pas : elle ne veut pas s’engager sans garantie d’amour éternel et fidèle.

  • La tirade de Perdican au cours de laquelle il expose ses vues sur l’amour et sur la faiblesse humaine est une des plus belles et des plus célèbres du théâtre français (acte II, scène 5) :

PERDICAN :
Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.

Quand un accord et un rapprochement se dessinent entre eux, c’est la mort de Rosette, à qui Perdican a fait croire au mariage pour se consoler de son échec avec Camille, qui les sépare sans retour possible.

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À retenir

Rosette est une innocente dont la mort annule tout espoir de bonheur. Elle est l’incarnation d’une fatalité qui enchaîne le couple de protagonistes.

Les différentes tonalités de la pièce se juxtaposent et cohabitent donc sans réel mélange. Il n’en va pas de même dans le théâtre de l’absurde.

Comique et tragique dans le théâtre de l’absurde

L’humour absurde

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Rappel

Par définition, l’absurde est ce qui contrevient aux règles de la logique établie ou obéit à une autre logique.

  • Un énoncé absurde provoque chez son auditeur une double réaction : l’étonnement et le rire.

Beaucoup de blagues reposent ainsi sur l’absurde, par exemple : « C'est un gars qui rentre dans un bar et qui dit "salut, c'est moi !" Tout le monde se retourne et en fait, c'était pas lui. »
Ou encore cette question : « Quelle et la différence entre un pigeon ? ».
Plus littéraire, on citera Ionesco dans La Cantatrice chauve : « Il est mort il y a deux ans. Tu te rappelles, on a été à son enterrement, il y a un an et demi », « Il y a déjà trois ans qu'on a parlé de son décès. »

  • Il y a, dans ces exemples, un effet de décalage entre ce qui est dit et ce à quoi on s’attendrait.

La Cantatrice chauve Ionesco théâtre huchette absurde Affiche de La Cantatrice chauve, Théâtre de la Huchette, 1950

Le comique comme conséquence du tragique dans le théâtre de l’absurde

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Rappel

Le théâtre de l’absurde est ainsi nommé parce qu’il représente une vie humaine dépourvue de sens. Comme dans une blague, le comique découle de ce non-sens même.

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À retenir

  • Or, le non-sens constituant le tragique de la condition humaine et étant une source de désespoir, le comique est donc l’expression même de ce désespoir. On ne peut ainsi pas les séparer.

Les pièces de Beckett sont en fait drôles même si elles mettent à jour les aspects les plus terrifiants de notre condition de mortels. Beckett lui-même définit son théâtre comme dévoilant : « en face, le pire, jusqu’à ce qu’il fasse rire. » (Poèmes suivi de Mirlitonnades, Les éditions de Minuit, 1999, p. 35). Le rire permet de ne pas tomber dans le pathétique.

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Exemple

Ainsi, dans Oh, les beaux jours ! on peut distinguer plusieurs sources de comique, l’une d’elles étant les effets de décalage.

  • Désespoir et émerveillement
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À retenir

De manière récurrente dans la pièce, le décalage entre l’émerveillement forcé de Winnie et l’aspect dérisoire ou désespérant de ce qui le provoque est une source de comique.

Willie a prononcé quatre mots p. 23 ; il lisait à voix haute une annonce de journal : « Coquet deux-pièces calme soleil ».
Après un long monologue de sept pages au cours duquel Winnie s’est tantôt adressée à lui, tantôt s’est refermée sur elle-même, elle le sollicite à nouveau provoquant une réaction très brève : « Dors ! ».

  • Beckett montre ici l’incommunicabilité entre les êtres et, plus précisément, entre les deux membres d’un vieux couple soudé par la force de l’habitude et par la peur de finir seuls.

Cependant, en entendant ce « dors !», Winnie montre de la joie, un émerveillement enfantin totalement décalé : « Oh il va me parler aujourd’hui. Oh le beau jour encore que ça va être. »

Le même type de scène se reproduit plusieurs fois. Ainsi, p. 50 :

« Le coma t’a repris ? (Un temps.) Je ne te demande pas si tu es sensible à tout ce qui se passe, je te demande seulement si le coma t’a repris (Un temps.) Tes yeux paraissent fermés, mais ça ne veut rien dire, nous le savons (Un temps.) Lève un doigt, mon poulet, veux-tu, si tu n’es pas tout à fait sans connaissance. (Un temps.) Fais ça pour moi Willie, rien que le petit doigt, si tu n’es pas privé de sentiment (Un temps. Joyeuse) Oh, tous les cinq, tu es un ange aujourd’hui, maintenant je vais pouvoir continuer d’un cœur léger. »

De même, p. 61-62, Willie se décide à sortir de son trou mais il rampe avec difficulté comme s’il avait atteint ses limites physiques :

« Ah tu n’es plus le rampeur d’autrefois pauvre chéri (Un temps.) Non, plus le rampeur qui conquit mon cœur. Sur les genoux, mon chéri, essaie sur les genoux, les pattes par terre. (Un temps) Genoux ! Genoux ! (…) Encore un pied, six pouces Willie et tu es rendu. (Un temps pendant qu’elle observe les derniers pouces). Ah ! (Elle revient péniblement de face, se frotte le cou). Torticolis à force de t’admirer. »

Winnie ne cherche pas à faire de l’ironie. Son admiration est l’expression d’une détermination farouche à trouver encore quelque chose à quoi s’accrocher pour pouvoir continuer à vivre.

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À retenir

C’est le décalage entre l’admiration et le triste spectacle d’un homme rendu à son animalité (ou sa sénilité) par la difficulté à se déplacer qui provoque le rire du spectateur.

Un autre décalage comique repose sur ce que l’on entend ordinairement par « vivre » et ce que Winnie et Willie vivent réellement : Willie rampe, dort, lit le journal ; Winnie pense, et remplit ses journées de petites occupations répétitives comme se limer les ongles. Elle commence cette activité p. 55 en l’entrecoupant de pensées et de commentaires comme l’indique la didascalie : elle lime un moment en silence. Puis ce qui suit ponctué par la lime. Le contraste entre l’insignifiance de ce limage d’ongles automatique et l’importance que Winnie lui accorde est souligné par la répétition du verbe « faire » pages 56-57 :

Que peut-on faire ? (Un temps. De même) Du matin au soir (Un temps. De même). Jour après jour. (Elle lève la tête. Sourire) Le vieux style ! (Fin du sourire. Elle reprend ses ongles) Non, déjà fait celui-là.

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À retenir

On notera aussi le contraste entre le vide environnant de Winnie et ses préoccupations quant à son apparence. Ses journées sont rythmées de nombreux rituels voués à les embellir et la rassurer.

Winnie « s’apprête » (p. 59) : elle se met du rouge à lèvres (p. 19) ; elle se coiffe d’une toque « très bibi » (p. 21) ; l’ombrelle est aussi un objet dont l’élégance est déplacée et loufoque dans le cadre de la pièce : un désert à la chaleur écrasante.

Le personnage de Winnie est aussi caractérisé par son élégance de langage ; elle le reconnaît elle-même en commentant ses propres tournures de phrase d’un « le vieux style », formule récurrente dans la pièce.

  • Le langage, source de comique

Cette élégance se manifeste aussi quand sa lucidité prend le dessus sur sa volonté de s’émerveiller de tout. Willie est en effet bourru, vulgaire, dégoûtant. Le « vieux style » de Winnie oppose à une vision dégradante offerte par son compagnon un commentaire qui reste respectueux par sa formulation et donc en décalage : p. 27-28, Willie se mouche brutalement dans son mouchoir puis se le remet sur la tête avant de coiffer son canotier, ce qui fait dire à Winnie un « Que ne t’ai-je laissé dormir ! » désabusé mais dépourvu de reproches et d’acrimonie ; p. 56, il se met le même mouchoir sale dans la bouche : « Oh Willie, tu ne vas pas l’avaler ! Éjecte, de grâce, éjecte ! ».
D’autres accès de lucidité du personnage féminin ont une force comique : Winnie montre une certaine distance vis-à-vis d’elle-même ; après une réflexion sur le devenir des corps, elle lance à Willie ce commentaire sur ce qu’elle a dit : « ça Willie, j’espère que tu n’as pas raté ça, je serais navrée que tu rates ça, ce n’est pas tous les jours que j’atteins de tels sommets. »

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À retenir

Le langage est donc l’instrument de ce comique du décalage.

Il faut y ajouter les développements « philosophiques » à double sens comme la réflexion sur « hisser l’engin » qui fait d’abord référence à l’ouverture de l’ombrelle puis à autre chose d’indéterminé (p. 47) : « on s’abstient – on se retient – de hisser – crainte de hisser – trop tôt – et le jour passe – sans retour – sans qu’on ait hissé – le moins du monde.
Enfin, les dérapages grivois et scatologiques y contribuent aussi (voir cours 19).

  • Corporalité et gestuelles des personnages

Le rire est aussi provoqué par la gestuelle des personnages. Face à l'absurdité de leur situation, les personnages de Beckett sont des marionnettes qui s’agitent sans but en attendant l’heure du sommeil, symbolique de la mort.

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À retenir

Comme le langage ne sert plus à communiquer avec l’autre et qu’il est souvent réduit à un commentaire sur les gestes, la gestuelle et les objets qui occupent l’espace jouent donc un rôle primordial.

  • Le comique de geste repose lui aussi sur un jeu de contraste entre la condition des personnages et l’extravagance de leurs mouvements.

Même si on ne le voit agir qu’à travers les yeux de Winnie, les emplois déplacés que fait Willie de son mouchoir sont régressifs. Ils le ramènent comme à un âge enfantin où on ne sait pas encore ce qui est propre, sale, ce qui se fait et ne se fait pas, et relèvent du spectacle de clown.

Pour Winnie, les objets contenus dans son sac lui offrent l’occasion de faire quelque chose de sa vie et de s’entourer de souvenirs. L’ombrelle a une fonction particulière : elle la protège de la fournaise environnante, symbole des corps qui partent progressivement en cendres, et la raccroche à la vie mais elle finit elle-même par s’embraser et Winnie doit la jeter (p. 49). Winnie a du mal à l’ouvrir et tout un jeu de scène comique s’installe à partir du moment où elle s’attelle à cette tâche ardue (p. 47). On se demande au bout d’un moment si c’est Winnie qui tient l’ombrelle ou l’ombrelle qui tient Winnie, comme suspendue : p. 48, elle la tient des deux mains : « Je suis lasse de la tenir en l’air et je ne peux pas la déposer » dit-elle comme si cet objet était indispensable à son existence.

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Astuce

L’ombrelle est donc une allégorie des croyances et des vœux de Winnie tout en constituant un symbole de légèreté et de poésie.

  • Le rire naît donc du malheur, de la désespérance ; il est le masque des larmes. Le théâtre contemporain en fait usage lui aussi.

Comique et tragique dans Incendies de Wajdi Mouawad

La pièce et son auteur

Né en 1968, l’auteur, metteur en scène et comédien Wajdi Mouawad passe son enfance au Liban, son adolescence en France et ses années de jeune adulte au Québec, avant de s’installer en France. Il écrit et met en scène Littoral (1997), Rêves (2000), Incendies (2003) et Forêt (2006). En 2009, il présente comme une tétralogie sous le titre Le Sang des Promesses, une nouvelle version de Littoral, les spectacles Incendies, Forêts et la création de Ciels. La pièce Incendies a été adaptée au cinéma par Denis Villeneuve en 2010.

L’histoire fictive de Nawal Marwan, dont la mort constitue l’ouverture de la pièce, est inspirée de l’histoire de Souha Bechara, une libanaise née en 1967, militante communiste et résistante suite à l’invasion du Liban par Israël en 1982. En 1988, elle tente d’assassiner le général Antoine Lahd en représailles des exactions commises contre les forces de l’OLP (organisation de libération de la Palestine) mais elle échoue : Lahd survit aux deux balles reçues dans la poitrine. Souha Bechara est arrêtée et détenue sans procès dans la prison clandestine de Khiam. Pendant dix ans, dont six en isolement, elle est torturée, notamment par électrocution. Elle est libérée en 1998 grâce à une campagne internationale.

Liban guerre Troupes israéliennes, Liban, 1982 ©PMielen CC BY-SA 3.0

Incendies commence à la mort de Nawal Marwan. Hermile Lebel, son ami, notaire et exécuteur testamentaire, présente son testament à ses jumeaux : Jeanne, professeure de maths et Simon, boxeur. Selon les dernières volontés de leur mère, qui a toujours été distante avec eux, ils reçoivent chacun une enveloppe. Jeanne doit remettre la sienne à leur père inconnu, Simon à leur frère dont ils découvrent alors l’existence sans savoir qui il est. Jeanne, la seule à accepter d’emblée l’enquête à laquelle elle doit se livrer, part pour le Liban, à la recherche de ses origines. Elle y apprend que sa mère a été emprisonnée à la prison de Kfar Rayat où elle avait été prénommée « la femme qui chante » et que son père est le gardien tortionnaire et violeur de sa mère à la prison : Abou Tarek.

Après cette révélation, Simon part lui aussi pour retrouver son frère, accompagné d’Hermile Lebel. C’est un homme nommé Chamseddine qui lui révèle l’atroce vérité : leur frère n’est pas un troisième enfant né des viols de Nawal par Abou Tarek, c’est Abou Tarek lui-même, le premier fils de Nawal qui lui avait été retiré à sa naissance et qui ignorait ses origines. La vérité révélée, les jumeaux s’acquittent de leur dernière tâche.

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À retenir

La pièce, si elle s’inspire d’événements historiques, axe sa réflexion autour de la question de l'origine, origine de chacun et origine du mal : où le mal commence-t-il dans les situations de conflits et de guerre ?

Comme dans la tragédie antique, le mal engendre le mal ; les propos du médecin de la scène 17 sont très explicites :

« Pour se venger. Il y a deux jours, les miliciens ont pendu trois réfugiés qui se sont aventurés en dehors des camps. Pourquoi les miliciens ont-ils pendu les trois réfugiés ? Parce que deux réfugiés du camp avaient violé et tué une fille du village de Kfar. Samira. Pourquoi ont-ils violé cette fille ? Parce que les miliciens avaient lapidé une famille de réfugiés. Pourquoi l'ont-ils lapidée ? Parce que les réfugiés avaient brûlé une maison près de la colline du thym. Pourquoi les réfugiés ont-ils brûlé la maison ? Pour se venger des miliciens qui avaient détruit un puits d'eau foré par eux. Pourquoi les miliciens ont détruit le puits ? Parce que des réfugiés avaient brûlé une récolte du côté du fleuve au chien. Pourquoi ont-ils brûlé la récolte ? Il y a certainement une raison, ma mémoire s'arrête là, je ne peux pas monter plus haut, mais l'histoire peut se poursuivre encore longtemps, de fil en aiguille, de colère en colère, de peine en tristesse, de viol en meurtre, jusqu'au début du monde. »

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Œdipe et Antigone Thèbes Incendies Œdipe et Antigone [sa fille] s’exilant de Thèbes, Louis Duveau, 1843

La quête d’origine d’Incendies fait aussi songer à la quête d’Œdipe qui découvre que, sans le savoir, il a tué son père et épousé sa mère avec laquelle il a eu des enfants.

Dans Incendies, la guerre et les barbaries qu’elle engendre entraînent horreur et effroi. Cependant, le comique n’est pas absent de la pièce comme dans la scène 19.

Comique et tragique dans la scène 19

La scène 19 montre les deux jumeaux, Jeanne et Simon, chez le notaire Hermile Lebel ; ils doivent signer les papiers relatifs à la succession de leur mère. Les dernières volontés de celle-ci – que Jeanne parte à la recherche de son père, et Simon de leur frère afin de leur remettre deux enveloppes distinctes – créent un conflit entre eux : Jeanne a pris l’enveloppe, ce que Simon lui reproche.

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À retenir

Le tragique est à l’œuvre dans cette scène grâce à un télescopage de deux périodes différentes.

Le moment présent qui réunit le notaire et les deux jeunes s’entremêle avec un épisode terrible vécu par leur mère. Cette dernière le raconte à son amie Sawda :

« J'étais dans l'autobus, Sawda, j'étais avec eux ! Quand ils nous ont arrosés d'essence j'ai hurlé : "Je ne suis pas du camp, je ne suis pas une réfugiée du camp, je suis comme vous, je cherche mon enfant qu'ils m'ont enlevé !" Alors ils m'ont laissée descendre, et après, après, ils ont tiré, et d'un coup, d'un coup vraiment, l'autobus a flambé, il a flambé avec tous ceux qu'il y avait dedans, il a flambé avec les vieux, les enfants, les femmes, tout ! Une femme essayait de sortir par la fenêtre, mais les soldats lui ont tiré dessus, et elle est restée comme ça, à cheval sur le bord de la fenêtre, son enfant dans ses bras au milieu du feu et sa peau a fondu, et la peau de l'enfant a fondu et tout a fondu et tout le monde a brûlé ! »

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À retenir

Cependant, le comique est lui aussi présent grâce notamment à la présence du personnage d’Hermile Lebel.

C’est pourtant lui qui introduit la dimension tragique de la scène en évoquant le passé : « Quand elle était jeune, elle a vu un autobus de civils se faire mitrailler devant elle. Une affaire effroyable. »

C’est en effet un personnage décalé et inadapté à la situation comme le révèle son langage : la scène débute en effet sur une logorrhée au cours de laquelle il n’évoque que des sujets sans intérêt ; Simon y mettra fin d’une manière abrupte et comique par l’effet de contraste : « Bon, O.K., on peut faire ça vite. J'ai un combat ce soir et je suis déjà en retard. »

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Définition

Logorrhée :

Une logorrhée fait référence à un bavardage interminable et traitant de sujet sans intérêt.

  • Le comique offre alors des pauses au spectateur avant que la pièce ne se laisse noircir par un registre plus tragique.

Les paroles d’Hermile Lebel sont ponctuées d’expressions fautives : « endive sous roche » employé au lieu d’« anguille sous roche », « comme des chevaux sur la soupe », ou encore « ce n’est pas la mer à voir ».
Il se livre aussi à des raisonnements absurdes qui aboutissent à des formules incongrues : « C'est mieux qu'un puits de mazout, c'est sûr. C'est ce que papa disait juste avant de mourir. La mort, c'est mieux qu'un puits de mazout. »
Il exprime des réflexions qui relèvent de l’évidence : « C'est pas tous les jours dimanche, c'est sûr, mais de temps en temps ça fait du bien. »
Il fait preuve de maladresse à l’égard de ses clients en agissant comme si régler leur succession était secondaire par rapport au fait de manger une pizza : « En attendant que la pizza arrive, on pourrait régler les papiers. »

Hermile Lebel fait des digressions, parle de tout et de rien, des « pelouses de banlieues », de la « vue sur le centre d’achats », des « zoiseaux », de « l’autoroute » , et de « l’air conditionné ». Il est donc un personnage loufoque placé dans un univers tragique.
C’est pourtant lui qui, de par sa tirade d’exposition vide d’information, permet d’opérer une transition entre les deux devenant ainsi une sorte de sage, un philosophe étonnant.

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Attention

À la différence de dame Pluche et maître Blazius dans On ne badine pas avec l’amour, Lebel a une fonction dramatique essentielle : il est à l’origine de l’introduction du tragique et, de ce fait, le seul lien entre le passé et le présent.

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À retenir

Mais la scénographie elle aussi contribue à ce glissement ; elle utilise en effet les mêmes éléments tantôt dans un registre comique, tantôt dans un registre tragique.

Les bruits de marteaux-piqueurs signalés dans une didascalie récurrente relèvent au début du burlesque : ils coupent ou couvrent les propos des personnages.
Puis, ils servent l’intrusion dans le passé tragique de la mère des jumeaux en se confondant avec les bruits de mitraillette ; les tuyaux d’eau qui arrosaient le jardin du notaire eux aussi se transforment :

« Des hommes sont arrivés en courant, ils ont bloqué l'autobus, ils l'ont aspergé d'essence et puis d'autres hommes sont arrivés avec des mitraillettes et…

Longue séquence de bruits de marteaux-piqueurs qui couvrent entièrement la voix d'Hermile Lebel. Les arrosoirs crachent du sang et inondent tout. »

Le comique d’Incendies partage avec le comique du théâtre de l’absurde certains points communs (personnages décalés, jeux sur le langage) mais il a aussi, notamment dans la scène 19, la fonction ambigüe de préparer l’intrusion du tragique.

Conclusion :

Le théâtre contemporain, en prise avec la réalité la plus tragique et désespérante, laisse aussi une place importante au comique et à ses différentes déclinaisons : ridicule, burlesque, absurde… C’est qu’il est en prise avec la réalité qui y est toujours mêlée.
Comique et tragique entretiennent différents types de relation : si le comique dans le tragique ménage parfois une pause au spectateur, les deux registres sont intrinsèquement liés, l’un pouvant naître de l’autre.

« Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser. »

Pensées, Pascal