Gouverner la France : de 1980 à nos jours
Introduction :
Nous allons nous intéresser ici à l’évolution de la société française des années 1980 à nos jours. Les années 1970 constituent des années charnières pour la France, avec la fin des Trente Glorieuses.
Après des décennies d’un État tout-puissant, le néolibéralisme s’installe peu à peu, remettant en question l’État-providence et ses interventions dans la société.
Nous analyserons tout d’abord l’évolution économique et sociale du pays, pour ensuite étudier le recul progressif de l’État dans une société de plus en plus mondialisée, et enfin commenter les changements politiques majeurs de la période.
L’évolution socio-économique
L’évolution socio-économique
Pour comprendre les évolutions socio-économiques traversées par le pays, il faut noter que le temps de forte croissance économique des Trente Glorieuses est terminé.
- La crise économique des années 1970, l’intégration à la construction européenne et la mondialisation ont bouleversé la manière de gouverner la France.
En 1981, François Mitterrand, porteur des espoirs de la gauche, devient le premier président socialiste de la Ve République. Le début de son mandat est marqué par plusieurs mesures particulièrement marquantes, dont certaines sont encore en vigueur. Parmi elles, l’abolition de la peine de mort ou encore la libéralisation de l’audiovisuel qui réduit le contrôle de l’État sur les médias.
Mitterrand souhaite un retour en force de l’État-providence.
Il met en place l’augmentation du salaire minimum de 10 %, réduit la durée du travail à 39 h et avance l’âge du départ à la retraite à 60 ans. Il effectue également les dernières nationalisations du pays avec de nombreuses banques, comme par exemple le Crédit Lyonnais ou la Société générale, et de grands groupes industriels comme Thompson, Saint-Gobain ou encore Rhône-Poulenc.
Mais ce retour de l’État-providence est de courte durée : dès 1983, face à une situation budgétaire difficile, l’austérité s’impose. C’est une vision nouvelle, surtout pour un gouvernement de gauche.
- Malgré des orientations politiques différentes suivant les partis au pouvoir, cette nouvelle orientation a prévalu jusqu’à aujourd’hui, tous gouvernements confondus.
Sur le plan social, on assiste ainsi depuis 1983 à la remise en cause de l’État-providence.
Les déficits de la sécurité sociale, des caisses de retraites et du chômage alarment les pouvoirs publics. Un chômage de masse et de longue durée pèse sur les comptes sociaux, car moins d’actifs signifie moins de cotisations. Moins d’argent rentre donc dans les comptes publics alors que la crise, ou plutôt les crises récurrentes, créent davantage de demande.
- Conséquence logique : les budgets sociaux sont à la baisse.
Cependant, toute la société n’est pas touchée de la même manière. Le chômage touche en particulier les populations d’origine étrangère, les jeunes non diplômés et les plus de 50 ans. L’État ne se désengage pourtant pas totalement. Devant la progression de la pauvreté, le RMI, revenu minimum d’insertion, est mis en place en 1988.
Revenu minimum d'insertion :
Allocation versée à ceux qui n’ont pas de revenu, afin qu’ils puissent survivre en attendant de trouver un emploi. En 2008, il est remplacé par le RSA, ou revenu de solidarité active.
En 2012, malgré les restrictions budgétaires et les tentatives pour relancer l’économie, ce sont entre 5 et 8,5 millions de personnes qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, soit entre 9 et 14 % de la population. Par ailleurs, le nombre de personnes sans-abri ne cesse de croître.
Autre grand défi social, le vieillissement de la population crée un déficit chronique des caisses de retraite. L’âge de départ à la retraite est plusieurs fois reculé, pour arriver en 2010 à 62 ans et 41 années et demi travaillées.
Sur le plan économique, les théories néolibérales de l’économiste américain Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976, ont le vent en poupe. Elles ont joué un rôle important dans les réformes liées au désengagement. Concernant l’activité économique, l’économie française est désormais très concurrencée au niveau européen et mondial.
- En conséquence, la France se désindustrialise.
La mondialisation et l’élargissement européen ont permis de nombreuses délocalisations et les industries traditionnelles sont majoritairement parties à l’étranger. Seules les industries de pointe s’en sortent mieux, comme l’industrie pharmaceutique, l’aérospatiale, l’aéronautique, ou l’industrie du luxe.
Le secteur primaire aussi est en difficulté. Depuis le début des années 1980, des milliers d’exploitations agricoles ont disparu. La mondialisation a favorisé la concentration des exploitations et le développement d’une agriculture intensive.
- Ainsi, entre 2000 et 2010, la France a perdu 170 000 emplois agricoles.
Le tertiaire est assez constant et même en progression, le secteur des services étant celui qui crée le plus d’emplois. La France se dirige donc vers une société post-industrielle.
Comme on peut voir sur ce graphique, les évolutions économiques ont bouleversé les secteurs de la population active. On remarque l’effondrement du secteur primaire, la chute inexorable du secteur secondaire, l’industrie, et la croissance continue du secteur tertiaire, les services.
Le recul de l’État et la décentralisation
Le recul de l’État et la décentralisation
Par rapport à la France de l’après-guerre, le rôle de l’État a bien changé. Sous la présidence de François Mitterrand, l’augmentation des pouvoirs transférés à l’Europe s’accompagne également de la montée d’un sentiment de méfiance au sein de la population envers ces institutions. Symbole du doute grandissant envers l’Europe, le référendum sur le traité de Maastricht en 1992 fut ratifié avec seulement 51 % des voix. Sous la présidence de Jacques Chirac, cette méfiance envers les institutions européennes se confirme.
Le référendum de 2005 sur la nouvelle Constitution européenne a vu les mêmes clivages que celui de Maastricht mais, cette fois, le « non » l’a emporté avec presque 55 % des voix.
- C’est la première fois que la France, un des pays fondateurs de l’Europe, a dit non à un traité européen.
Avec le traité de Maastricht et, plus récemment, le traité de Lisbonne signé en 2007 entre les 27 États membres de l’Union, l’intégration européenne a transféré certains pouvoirs à la Commission européenne de Bruxelles. De nombreuses lois sont d’abord votées au Parlement européen avant d’être intégrées au droit français.
- Ce transfert de pouvoir réduit les marges de manœuvre de l’État français.
Sur le plan international, la mondialisation libérale a entrainé un mouvement de dérégulation des marchés financiers et, concernant la politique monétaire, c’est la Banque centrale européenne qui gère l’euro. L’État a un rôle de gestionnaire, mais il n’a plus les mêmes moyens de peser et de changer la donne économique et financière.
L’État français participe avec ses partenaires internationaux aux négociations de l’OMC, mais il ne peut pas s’opposer aux décisions finales votées dans le cadre de ces institutions, puisqu’il en a signé les traités et les conventions.
- Il y a une internationalisation des décisions politico-économiques.
On assiste également à un fort transfert des pouvoirs économiques de l’État vers le secteur privé. Fait symbolique, les « grands commis de l’État » (les hauts-fonctionnaires) partent en grande partie travailler dans le secteur privé, mettant ainsi leurs compétences au service de grands groupes.
Au fil des dernières décennies, les différents gouvernements, de droite comme de gauche, ont privatisé beaucoup des entreprises qui avaient été nationalisées après la guerre.
- L’État perd peu à peu le contrôle d’une partie de l’économie, qui passe aux mains des transnationales.
Certaines structures privées prennent ainsi de plus en plus de poids dans ce système économique mondialisé, comme notamment les agences de notation. Ces agences, étrangères et privées, notent en particulier les pays, dont la France, sur leurs performances économiques. Elles influencent les marchés financiers et les investisseurs en faveur ou en défaveur des pays, avec parfois de lourdes conséquences.
Parallèlement au recul de l’État sur le plan économique, la politique française a été marquée par une volonté de rééquilibrer les pouvoirs de gestion au sein même du pays : c’est la politique de décentralisation.
Traditionnellement, c’est à Paris que se concentrent les pouvoirs politiques, économiques, financiers et culturels du pays.
En 1982, la gauche lance la décentralisation. Le but est de transférer une partie des pouvoirs de l’État central aux communes, aux départements et aux régions.
- Dorénavant, chaque collectivité territoriale gère certains secteurs sans nécessairement passer par Paris.
Un exemple emblématique de la décentralisation du secteur de l’enseignement, où désormais la commune gère l’école primaire, le département le collège, et la région le lycée. Les universités restent, elles, dans l’ensemble aux mains de structures de l’État.
Ce désengagement de l’État n’a pas été remis en cause par la droite et a continué avec l’arrivée au pouvoir de Jacques Chirac et des présidents suivant. Le principe de décentralisation a d’ailleurs été inscrit dans la Constitution en 2003.
La décentralisation rencontre tout de même quelques difficultés : les collectivités territoriales reprochent notamment régulièrement à l’État de transférer des compétences sans les moyens financiers pour les gérer.
Alternance et cohabitation
Alternance et cohabitation
Sur le plan politique, ces trente dernières années ont vu quelques changements d’importance. Pendant cette période, la présidence française a connu plusieurs cohabitations.
Cohabitation :
Fait d’avoir un président d’une faction politique, droite ou gauche, et un Premier ministre d’un autre bord, qui est nommé du fait de la majorité obtenue par les partis d’opposition à l’Assemblée nationale.
Sous la Ve République, il peut arriver que les élections législatives aient lieu au cours du mandat présidentiel. En cas de défaite du parti au pouvoir, le président ne peut pas gouverner correctement sans le soutien de l’Assemblée, il est donc contraint de choisir un Premier ministre qui soit suivi par les députés.
Sous la présidence de Mitterrand, la vie politique française a ainsi connu deux cohabitations :
- En 1986 entre Mitterrand et le Premier ministre Jacques Chirac.
- Puis en 1993, entre Mitterrand, durant son second mandat, et Édouard Balladur Premier ministre.
En 1995, le candidat de droite Jacques Chirac est élu président de la République face au socialiste Lionel Jospin et met fin à 14 ans de présidence de gauche. Dans ce qui devient une habitude pour la période, le premier mandat de Jacques Chirac voit une nouvelle cohabitation.
En 1997, la droite perd les législative et Jacques Chirac est contraint de choisir Lionel Jospin, un socialiste, comme Premier ministre.
En 2002, afin d’éviter que cette situation de cohabitation ne devienne la norme et pour renforcer le présidentialisme de la Ve République, on passe du septennat au quinquennat. C’est-à-dire que le mandat présidentiel dure désormais 5 ans au lieu de 7. On vote pour l’élection du président, puis dès les résultats connus sont organisées les législatives pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale.
- Compte tenu de la proximité des élections, il y a de fortes chances que le président fraichement élu bénéficie d’une majorité parlementaire.
La présidence de Jacques Chirac voit se confirmer les grandes tendances de la vie politique de ces dernières décennies :
- la lente érosion du PCF, qui était le premier parti de France en 1946 et qui n’a maintenant plus qu’un poids très minoritaire dans la société ;
- et, à l’inverse, l’extrême droite, très affaiblie en 1946, réalise une percée dans les années 1980 et continue de progresser.
Évènement majeur de la vie politique française, J.M. Le Pen, candidat du Front national est arrivé au second tour aux élections présidentielles de 2002. C’est un véritable coup de tonnerre, même s’il sera finalement battu très largement par Jacques Chirac, qui bénéficie donc d’un second mandat.
Si l’introduction du quinquennat a effectivement stabilisé la vie politique en mettant un coup d’arrêt aux cohabitations, la défiance de la population envers le pouvoir politique a continué de progresser.
La présidence de Nicolas Sarkozy, qui succède à Jacques Chirac en 2007, se fait dans le contexte de la crise des subprimes.
- L’arrivée de la crise financière et économique mondiale dès 2008 bouleverse les gouvernements et montre un peu plus la faiblesse des États face à une situation économique et bancaire difficilement contrôlable.
Après une période marquée par la crise économique désormais installée durablement, Nicolas Sarkozy est battu par François Hollande après un seul mandat en 2012, ce qui marque le retour de la gauche au pouvoir, dans un contexte de crise qui perdure.
Conclusion :
Il y a bien deux époques, deux phases, dans cette France de 1946 à nos jours. Une France « lancée » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le programme du CNR, le Conseil national de la Résistance, dans un contexte de keynésianisme et des Trente Glorieuses.
On instaure un État puissant, centralisé et efficace qui s’occupe de l’économie, du social, de finance et d’aménagement du territoire. Puis une deuxième phase, à laquelle nous nous sommes intéressés ici, celle d’une intégration européenne, d’une mondialisation et d’un contexte de crise et de néolibéralisme économique qui changent la donne.
On assiste à un recul de l’État, à une diminution des pouvoirs dans de nombreux domaines, en particulier économiques, et à la décentralisation visant à réduire l’hégémonie parisienne. Sur le plan économique, la crise se transforme en une crise sociale durable.
Le paysage politique s’est profondément transformé depuis 1946, le communisme n’a plus qu’un poids réduit dans la société tandis que l’extrême droite est devenue une puissance politique face à laquelle les partis traditionnels doivent se positionner.