La liberté de faire ce qui me plaît
Introduction :
Lorsque l’on se demande ce qui nous procure le sentiment d’être libre, la réponse est en général : « faire ce qui me plaît ou ce que je veux ». Nous avons le sentiment d’être libre lorsque notre volonté agit selon ses envies, en vue d’obtenir du plaisir. La liberté est donc la possibilité de vivre selon son bon vouloir.
Nous pouvons imaginer ce que serait l’expérience de la liberté associée au bon vouloir : moins nous supporterions de contraintes, plus nous aurions l’impression d’être libres. Une contrainte nous force à faire quelque chose. Aller à l’école, supporter des repas de famille interminables ou être toujours poli, sont autant de contraintes que nous pourrions refuser sous prétexte qu’elles briment notre liberté et vont à l’encontre de notre plaisir. Dans l’idéal, nous préférerions rejeter toute forme de contrainte. C’est ce rejet que nous nommons spontanément liberté.
Les contraintes sont partout : dans le monde, dans la société ou dans le cercle familial. Pourtant nous avons l’impression d’être libre. De plus, contrairement à ce que nous pouvons penser, les lois qui garantissent notre liberté – liberté d’expression, liberté de circulation etc. Sans lois pour nous protéger, sommes-nous vraiment libre ?
Pour le savoir, la liberté de prendre du plaisir sera abordée en première partie, et jusqu’où nous pouvons user de cette liberté. Après avoir décelé le travers qu’une telle liberté peut entraîner, nous nous demanderons si être vraiment libre n’est pas plutôt avoir la liberté de choisir, au quotidien, comment nous comporter.
La liberté de prendre du plaisir
La liberté de prendre du plaisir
Fuir le carcan quotidien
Fuir le carcan quotidien
Il est tentant de croire que la liberté consiste à faire ce qui nous plaît quand bon nous semble. Par exemple, l’adolescent qui fugue et le marginal qui refuse les convenances sociales ont en commun la recherche d’une liberté sans entrave ni contrainte. Arthur Rimbaud, poète du XIXe siècle, raconte l’une de ses fugues à l’âge de 17 ans dans le poème « Sensation ». Il est clair que son sentiment de liberté est associé au refus des contraintes de la vie ordinaire :
« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme. »
Arthur Rimbaud, extrait du poème « Sensation », 1870
Ne pas parler, ne pas penser, errer sans but ni repères, et se sentir joyeux. Tel est le fantasme naturel d’une liberté absolue que, comme le poète, nous recherchons parfois.
Une liberté capricieuse ?
Une liberté capricieuse ?
En ce sens, être libre c’est aussi avancer au gré de ses désirs et de ses caprices. Pour Calliclès, l’un des principaux protagonistes du Gorgias de Platon, cette liberté totale n’est pas un fantasme.
La liberté selon Calliclès
Calliclès considère qu’un individu vraiment libre est celui qui jouit sans entraves et satisfait tous ses désirs. Calliclès s’empresse alors de :
« Vivre dans la jouissance, [d’]éprouver toutes les formes de désirs et [de] les assouvir ».
Le bonheur consisterait donc en une liberté sans limite, où tout est permis. Nous cherchons à obtenir ce que nous voulons sans considération pour les autres, ni culpabilité pour soi-même. En revanche, l’être humain qui accepte les contraintes est celui qui est incapable d’assumer ses désirs par crainte du jugement moral de la société. Pour Calliclès, cet individu est tout le contraire d’un individu libre, c’est un esclave. C’est pourquoi selon lui les lois ne sont faites que pour les faibles, et sont injustes envers les puissants qui ne peuvent plus jouir totalement de leur intelligence ou de leur charme.
Une liberté illusoire ?
Une liberté illusoire ?
Pourtant, la liberté d’agir selon son bon vouloir dont Calliclès fait l’éloge, n’est-elle pas une fausse idée de la liberté ?
- Ne sommes-nous pas dans l’illusion en croyant être libre lorsque nous nous contentons de suivre notre désir ?
Le plaisir est une contrainte s’il est subi
Commençons par faire la distinction entre contrainte et obligation.
La contrainte s’impose à nous de l’extérieur contre notre volonté. L’obligation peut venir de l’extérieur (le règlement) comme de l’intérieur (nos propres valeurs) mais dans tous les cas c’est nous qui nous l’imposons.
Le matin, j’hésite entre me lever pour aller au lycée, ou rester dormir. Sans hésiter, ce qui semble le plus contraignant est de se lever pour se rendre au lycée. Rester au lit est sans aucun doute plus plaisant.
- Mais choisir le plus plaisant signifie-t-il pour autant être plus libre ?
En restant au lit, je suis passif. Je me contente de succomber à mon penchant pour la paresse, plutôt qu’à mon penchant raisonnable. Je ne fais pas un choix pleinement conscient et assumé. Je succombe à la tentation de la paresse, et d’une certaine manière on pourrait dire qu’elle me contraint à rester au lit. Cependant si je me lève, je réponds certes à une obligation imposée par la société et ma famille, mais je le fais par choix.
Souvent, la contrainte est une force qui nous pousse à agir, et la liberté consiste à résister à cette force. Lorsque nous obéissons à notre désir, il nous domine et nous emprisonne. Et dans la mesure où nous n’y résistons pas, nous nous en rendons esclave. C’est également le cas pour les addictions, qu’il s’agisse de l’addiction au cannabis, à l’alcool, ou même au sucre !
- Le désir peut devenir une contrainte lorsqu’il n’est pas maitrisé, et l’obligation une liberté lorsqu’elle est comprise et assumée.
L’immoralité du plaisir
Les obligations sont bien souvent des conditions nécessaires à liberté. Comme le montre Rousseau, penseur du contrat social et philosophe des lumières, à l’état de nature nous ne sommes parfaitement libres parce que nous sommes seuls. L’être humain sans la société peut répondre à ses besoins sans se soucier des conséquences de ses actions sur les autres. Cependant, dès lors qu’il devient un être social il doit prendre en compte autrui. C’est pourquoi on a besoin d’un contrat social.
Selon Freud, l’Inconscient est ce qui nous permet de nous libérer de nos désirs incompatibles avec la société. Nos désirs inacceptables socialement sont bien souvent enfouis, si bien qu’ils deviennent inaccessibles et inconscients. Si nous n’avions pas ce garde-fou, nous serions des animaux, incapable de pensée morale. Un animal n’est ni bon ni mauvais, il répond de ses instincts sans avoir le choix. L’être humain a cependant une conscience morale qui lui permet d’agir librement sans avoir à subir aveuglément les flots des désirs qui le traversent.
La liberté de choisir
La liberté de choisir
- La liberté n’est pas faire ce qui nous plaît, mais pouvoir faire des choix libres et conscients.
Les degrés de liberté chez Descartes
Au XVIIe siècle, Descartes réfute l’opinion selon laquelle la liberté réelle serait le pouvoir de faire ce qui nous plaît. Il définit alors deux degrés de liberté :
- la liberté d’indifférence ;
- la liberté éclairée.
La liberté d’indifférence
La liberté d’indifférence
Descartes nomme liberté d’indifférence lorsque nous n’avons pas plus de raisons de choisir une option plutôt qu’une autre. C’est ce que l’on appelle aussi l’irrésolution. Dans la liberté d’indifférence, aucun choix n’est bon ou mauvais, tous se valent. Mais pour Descartes, ce n’est pas être vraiment être libre que de choisir au hasard ou selon les circonstances. La liberté d’indifférence s’applique aussi lorsque les raisons de la décision se valent, entraînant une possible indifférence de l’individu à leur égard.
Libre arbitre : Le pouvoir de choisir ce que je veux indépendamment des contraintes ou influences qui pèsent sur mon choix se nomme le libre arbitre.
Descartes et le libre arbitre
Dans les Méditations métaphysiques, Descartes écrit :
« Le libre arbitre consiste à faire une chose ou à ne la faire pas sans qu’aucune force extérieure nous y contraigne ».
Descartes, Méditations métaphysiques, 1641
Reprenons l’exemple précédent. Le réveil sonne. Au moment de rester au lit ou de se lever, nous délibérons. Nous envisageons ce que rester au lit nous coûtera, dans quelle mesure cela peut remettre en cause l’obtention de notre bac, notre motivation pour les études, la réaction de nos parents. Bref, nous pesons le pour et le contre.
Après délibération, notre raison a éclairé notre volonté et nous a préconisé de nous lever. Pourtant, nous choisissons de rester au lit. Notre libre arbitre a fait un choix allant contre ce qui est a priori bénéfique pour nous.
- Par l’usage du libre arbitre, nous faisons l’expérience de notre liberté en tant que bon vouloir. Notre bon vouloir détient la puissance absolue d’affirmer ou de nier l’importance des choses.
Pour Descartes, il s’agit du plus bas degré de la liberté. Selon lui, elle ne mérite pas notre crédit. Elle est même parfois qualifiée de diabolique car, pour reprendre la formule du philosophe, dans une lettre adressée au père Mesland, nous « suiv[ons] le pire, tout en voyant le meilleur ». Pour autant c’est cela qui fait de nous des êtres responsables. Ainsi, si je ne me lève pas, j’en suis le seul responsable parce que j’ai délibéré et fait un choix.
La liberté éclairée
La liberté éclairée
Seule une volonté qui comprend les raisons d’agir dans un sens et s’y soumet, est véritablement libre.
En effet, la liberté est le fait de pouvoir se soumettre à une obligation qui après réflexion, nous apparaît bonne pour nous. C’est donc pouvoir suivre la voie de la raison qui nous guide sur un chemin vertueux, et non de suivre nos appétits et nos penchants. En choisissant ce qui est raisonnable et non nécessairement ce qui nous plaît, nous faisons preuve d’une liberté éclairée. Il s’agit du niveau le plus noble de la liberté selon Descartes.
C’est une liberté qui demande à être cultivée et met du temps à évoluer. C’est pourquoi lorsque nous sommes enfants nous sommes sous l’autorité de nos parents, qui nous imposent des contraintes. Cependant, à l’âge adulte, notre raison est mâture et nous pouvons comprendre par nous-même les obligations auxquelles nous nous soumettons volontiers.
Nous écoutons notre raison, et exerçons une liberté éclairée parce que nous sommes des individus raisonnables et non des animaux. La culture, la socialisation et le souci de soi sont des contraintes qui nous humanisent, et permettent le progrès de notre civilisation. Parfois, le choix éclairé s’accorde avec le plaisir. Descartes nomme cela la générosité.
Générosité :
Au sens étymologique, le généreux est celui qui est élevé, noble. L’être humain généreux prend plaisir à agir librement en se soumettant à des contraintes raisonnables, car cela l’élève en tant qu’être doué de réflexion.
Liberté et nécessité chez Spinoza
Liberté et nécessité chez Spinoza
Selon Spinoza, la liberté ne s’oppose pas à la nécessité mais à la contrainte. Dans son Éthique publié en 1677 après sa mort, il décrit les passions comme une forme de nécessité qui n’est pas une fatalité. Autrement dit elles ne sont pas contraignantes de manière absolues car on peut les maitriser, de la même manière les lois de la nature comme la gravité sont nécessaires et font que nous ne pouvons pas nous envoler. Cependant elles ne sont pas totalement contraignantes pour qui sait les comprendre et les utiliser. En comprenant le fonctionnement des lois de la nature l’être humain a su faire s’envoler un avion par exemple. Il en est de même des affects. Elles sont une forme de nécessité parce qu’elles agissent sur nous à la manière de contraintes extérieures. Cependant si nous comprenons ce qui nous traverse et nous pousse à agir, nous pouvons les maitriser et les diriger vers ce que nous voulons : c’est cela la liberté selon Spinoza. La seule véritable fatalité chez l’être humain est sa finitude, c’est-à-dire la mort.
Une telle description de la liberté est indispensable pour penser l’éthique qui suppose nécessairement un libre arbitre. Sans liberté dans le choix de nos actions nous ne saurions être tenu pour responsables de nos actions. Ainsi était-il nécessaire pour Spinoza d’expliquer comment la nécessité des affects n’allait pas à l’encontre de notre libre arbitre. Selon Spinoza, les affects fondamentaux sont au nombre de trois : la joie, la tristesse et le désir. Chacun d’entre eux influencent nos choix et il faut savoir les reconnaitre pour être véritablement libre. Sans quoi nous subirions sans cesse la tyrannie des passions.
Conclusion :
Pour être libre, il faut choisir et non pas se laisser aller à nos penchants. En effet, céder à ses désirs immédiats est un réflexe de passivité commun à l’être humain et à l’animal. Ce n’est en aucun cas une preuve de liberté.
Choisir demande l’usage de la raison, c’est-à-dire de peser le pour et le contre. Et ce choix suppose une délibération. Après délibération, il s’agit de suivre ce que la raison nous dicte car c’est ce qui sera le plus bénéfique pour nous et pour la société, d’un point de vue moral et politique.
Dans la philosophie classique, la liberté authentique ce n’est donc pas de faire ce qui nous plaît, mais d’effectuer un choix éclairé.