La tragi-comédie au XVIIe siècle : Le Cid, Corneille
Introduction :
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les guerres de Religion opposant catholiques et protestants mettent la France à feu et à sang, entraînant le pays dans une guerre civile. À la suite de cela, les auteurs baroques de la première moitié du XVIIe siècle revendiquent une certaine liberté de création et font preuve d’imagination.
Les auteurs baroques mélangent les genres, comme le feront par la suite les auteurs du drame romantique. Ils proposent des œuvres contrastées, originales et libérées des contraintes. Aux environs de 1640, le classicisme s’inscrit en opposition au baroque en cherchant à imposer un style simple, raffiné et extrêmement codifié.
La tragi-comédie émerge dans ce contexte de séparation, à la charnière des deux courants. À mi-chemin entre la comédie et la tragédie, elle s’est fait connaître auprès du public français au début du XVIIe siècle. Elle connait son apogée dans les années 1630-1640.
C’est un sous-genre qui fait transition, en somme. Elle fait le lien entre le théâtre et le roman, entre la tragédie et la comédie et entre le baroque et le classicisme.
Nous allons nous intéresser dans un premier temps à la définition de la tragi-comédie puis nous en étudierons un exemple, en l’occurrence, Le Cid de Corneille.
- Le baroque est un mouvement littéraire de la première moitié du XVIIe siècle qui met en valeur la fantaisie et la virtuosité de l’artiste.
- Le classicisme est un courant littéraire de la seconde moitié du XVIIe siècle. Il propose d’instruire le spectateur et de lui plaire en le divertissant. Il s’oppose au baroque en prônant un style plus sobre, basé sur des règles claires et rigoureuses.
Définition de la tragi-comédie
Définition de la tragi-comédie
La tragi-comédie se définit par une intrigue tragique et un dénouement heureux digne d’une comédie.
On trouve aussi un aspect romanesque dans les actions, avec notamment de multiples rebondissements et des coups de théâtre (des faits imprévus qui modifient la situation). Cela rend difficile le respect de la règle des trois unités, si importante pour les classiques.
Règle des trois unités :
C’est une règle régissant le théâtre classique. Elle comprend l’unité de temps, qui précise que l’action doit se dérouler en une journée ; l’unité de lieu, qui délimite l’action en un seul lieu ; et enfin l’unité d’action, qui réduit l’intrigue à une seule action et exclut les intrigues secondaires.
Les thèmes abordés sont différents de la tragédie.
La tragi-comédie traite de sujets plus modernes et plus légers comme l’amour, les voyages et l’aventure, tandis que la tragédie préfère les sujets nobles comme les héros antiques et la politique.
C’est l’inspiration du théâtre espagnol qui donne un véritable essor à la tragi-comédie. Le Cid est d’ailleurs inspiré d’une pièce de théâtre de Guillèn de Castro. La tragi-comédie de Molière, Dom Juan ou le festin de pierre, représentée en 1665, est quant à elle une adaptation du dramaturge espagnol Tirso de Molina et de sa pièce El Burlador de Sevilla y comvidado de piedra (Le Trompeur de Séville et l’Invité de pierre).
En 1636, Le Cid est considéré comme une tragi-comédie. Lorsque la pièce est enfin représentée en 1637, elle remporte un immense succès auprès des spectateurs, alors que l’Académie française ne l’apprécie pas. Elle provoque en effet une querelle en 1638 à cause de ses multiples irrégularités et parce que Richelieu n’apprécie pas le caractère turbulent des héros. Elle sera requalifiée de tragédie par la suite.
Il est vrai que Le Cid contient des éléments caractéristiques de la tragédie : un héros noble, un obstacle, et un amour contrarié voire impossible. Mais la résolution de la pièce est digne d’une comédie.
- Il s’agit d’une fin heureuse, qui plus est, d’un mariage, thème typique pour un dénouement de comédie.
En 1657, l’abbé d’Aubignac, dans La Pratique du théâtre, propose d’abandonner la dénomination de tragi-comédie.
En effet, elle n’est pas assez distincte de la tragédie. La seule différenciation qui subsiste est la fin heureuse.
Les rebondissements et les actions à foison sont alors mis de côté au profit de la règle des trois unités et de celle de la vraisemblance qui assurent une cohérence et une crédibilité plus grande à la pièce.
Règle de vraisemblance :
Dans le théâtre classique, elle vise à proposer une histoire crédible au spectateur.
Un exemple de tragi-comédie : Le Cid de Corneille
Un exemple de tragi-comédie : Le Cid de Corneille
Le conflit entre amour et devoir est au cœur du Cid. Le héros, don Rodrigue, suscite l’admiration des spectateurs dès sa première représentation, le 7 janvier 1637. Les deux héros, Chimène et Rodrigue, sont promis l’un à l’autre et s’aiment. Mais à la suite d’un conflit entre leurs pères, don Gomès, le père de Chimène, gifle don Diègue, le père de don Rodrigue. Trop âgé pour se venger, il demande à son fils d’affronter en duel don Gomès, pour sauver son honneur.
L’extrait suivant est le monologue de don Rodrigue situé à la scène 6 de l’acte I.
Monologue :
Longue réplique prononcée par un personnage resté seul sur scène.
Don Rodrigue, désespéré, vient d’apprendre la nouvelle. Il se voit contraint de choisir entre son amour pour Chimène et l’honneur de son père :
« DON RODRIGUE :
Percé jusques au fond du cœur
D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
Ô Dieu, l'étrange peine !
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène !
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse,
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse,
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras,
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
Ô Dieu, l'étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ? »
Le dilemme cornélien
Le dilemme cornélien
Corneille met ici en scène don Rodrigue, aux prises avec sa conscience. Son monologue est un moyen de mettre en scène ses doutes et son désespoir.
Tandis que le reste de la pièce est en alexandrins (un vers de douze syllabes), cette scène est mise en valeur par sa forme différente puisque le monologue est composé de stances.
Stances :
Les stances sont une forme de monologue en vers, composé de strophes identiques rythmiquement et dont les derniers vers constituent une sorte de résumé.
Dans l’extrait du monologue de Rodrigue, on observe donc une rupture rythmique par rapport à la cadence coutumière des alexandrins.
- Les deux strophes sont des dizains (strophes de 10 vers).
- Les deux strophes sont en décasyllabes (vers de 10 syllabes).
- Le premier vers « Percé jusques au fond du cœur » est un octosyllabe (vers de huit syllabes), puis les quatre suivants sont des alexandrins.
- Les vers 6 et 8 : « Cède au coup qui me tue » et « Ô Dieu, l’étrange peine ! » sont des hexasyllabes (vers de six syllabes). Ils permettent d’exprimer l’émotion de Rodrigue dans la plainte notamment, avec l’exclamation « l’étrange peine ! » et le vocatif « ô ».
- Enfin les vers 7, 9 et 10 sont des décasyllabes.
Pour compter le bon nombre de syllabes, il ne faut pas compter les « e » lorsqu’ils sont placés devant une voyelle ou en fin de vers. On parle alors de « e » muet.
Exemple : « Cède au coup qui me tue » et « Ô Dieu, l’étrange peine ! »
- Cè/d(e) au /coup / qui / me / tue
- Ô /Dieu / l’é /tran / ge /pein(e)
On peut observer la même versification dans la deuxième strophe. Rodrigue tente de raisonner, il évoque les possibilités qui s’offrent à lui. Les deux derniers vers de la deuxième strophe résument son dilemme :
« Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ? »
Ces deux vers ont le même nombre de syllabes, ils sont tous deux à la forme interrogative et l’interrogation « faut-il » est une anaphore.
Anaphore :
Une anaphore est la répétition d’un même terme ou expression en tête de vers ou de phrase.
Le parallélisme de ces deux vers révèle l’absolue égalité dans le cœur de Rodrigue entre son père et Chimène. Le monologue est construit sur l’opposition de ces choix, aussi douloureux l’un que l’autre. On peut noter par exemple les antithèses qui reflètent le conflit intérieur de Rodrigue :
- « juste » contre « injuste »,
- « honneur » contre « amour »,
- « cœur » contre « bras »,
- et enfin « mon père » qui s’oppose ici à « Chimène ».
- C’est ce que l’on appelle le dilemme cornélien : le héros est face à un choix impossible.
Antithèse :
Une antithèse est une figure de style qui rapproche deux termes, idées ou expressions contradictoires afin de mieux mettre en valeur leur contraste.
Le héros tragique
Le héros tragique
Les stances sont l’occasion de faire une pause dans l’action et d’offrir à Rodrigue l’opportunité de s’épancher. Il évoque ses doutes, que l’on peut observer grâce aux interrogations, comme « Faut-il laisser un affront impuni ? », mais aussi sa souffrance. En effet l’omniprésence du « je » comme par exemple : « Je demeure », « mon âme », ou encore « mon propre honneur », dénote un registre lyrique.
Lyrisme :
Le lyrisme est l’expression des sentiments personnels.
Rodrigue doit émouvoir le public en se confiant. Son déchirement entre ces choix impossibles est mis en scène par un registre pathétique.
Registre pathétique :
C’est un registre qui provoque la compassion du lecteur ou du spectateur.
Le champ lexical de la tristesse est en effet abondant : « Misérable », « malheureux », « abattue », « peine »… Des émotions intenses traversent Rodrigue et les hyperboles employées permettent de rendre compte de la douleur ressentie.
Hyperbole :
Figure de style qui consiste en l’exagération d’une expression.
Ainsi, Rodrigue décrit sa souffrance de manière violente. Il se dit « Percé jusques au fond du cœur », il parle également d’une « atteinte » « mortelle ». Le dilemme auquel il doit faire face est aussi comparé à un « coup » qui le « tue ».
La nouvelle de ce devoir de vengeance constitue donc un choc pour Rodrigue car c’est un obstacle à sa relation avec Chimène. Mais il sait qu’il va devoir faire un choix.
Conclusion :
La tragi-comédie est un genre « passerelle » entre deux époques et deux genres de théâtre. Même si elle a été mise au ban par le pouvoir en place au XVIIe siècle, elle a tout de même réussi à s’imposer. Le Cid et Dom Juan comptent parmi les pièces les plus connues et les plus jouées du théâtre français. La tragi-comédie inspirera ensuite les auteurs de drames romantiques par son goût pour la liberté et son refus des conventions.