Histoire du théâtre, du XVIIe siècle à nos jours
Introduction :
« Le théâtre a charge de représenter les mouvements de l’âme, de l’esprit, du monde, de l’histoire » écrit Ariane Mnouchkine dans Le Petit Dictionnaire du théâtre.
Le théâtre est donc un genre en mouvement. D’abord conçu comme cérémonie religieuse à l’Antiquité et au Moyen-Âge, il n’a cessé d’évoluer du XVIIe siècle à nos jours pour représenter au plus près nos mentalités et nous faire réfléchir sur le monde et sur nous-mêmes. Nous verrons que le siècle du Roi-Soleil a donné au théâtre un cadre précis et restreint qui s’est élargi au XVIIIe et au XIXe siècle pour mieux éclater à partir du XXe siècle sous le poids des bouleversements sociétaux et humains.
Le théâtre au siècle de Louis XIV
Le théâtre au siècle de Louis XIV
Le théâtre au XVIIe siècle est dominé par l’esthétique du classicisme qui impose aux dramaturges de « plaire et instruire ». Ils doivent « plaire » par le vers et l’élégance du vocabulaire, et « instruire » à travers la délivrance d’un message moral.
L’Académie française, créée en 1635, encadre la pratique théâtrale par des codes et des règles très précises. Les trois plus importantes sont la vraisemblance, la bienséance et la règle des trois unités.
La vraisemblance :
Elle implique que le spectateur croit voir la réalité en assistant à la pièce.
La bienséance :
Elle n’autorise aucune scène de nudité ou de violence.
La règle des trois unités :
Cette règle indique qu’il ne doit y avoir qu’une seule intrigue, qu’un seul lieu et que la pièce ne doit durer que le temps d’une journée.
C’est ce que rappelle Nicolas Boileau dans son Art Poétique :
« Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli »
Le théâtre classique est par ailleurs un théâtre d’imitation des auteurs antiques, représentatifs de la perfection en matière d’art. Molière par exemple écrit son célèbre Avare en s’inspirant de La Marmite de Plaute, et Racine emprunte sa Phèdre au mythe déjà mis en scène par Euripide dans l’Antiquité. Les dramaturges s’inspirent également au XVIIe des comédies espagnoles et italiennes, comme Corneille avec Le Cid, tragi-comédie inspirée de la littérature hispanique.
Mais l’Église a toujours une forte influence sur la création littéraire et donne au théâtre un but moral : le théâtre a alors pour fonction de corriger les mœurs des Hommes.
C’est en ce sens que l’on retrouve au cœur des pièces classiques le principe de catharsis antique.
Catharsis antique :
Il s’agit d’une purification des mauvaises passions du spectateur par la représentation d’un acte réprimé et interdit.
Dans la préface de Phèdre, Racine écrit de sa pièce que :
« Les moindres fautes y sont sévèrement punies ; la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. C’est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer, et c’est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose. »
L’auteur classique a donc voulu, conformément aux préceptes des dramaturges antiques, représenter le vice dans Phèdre pour mieux en éloigner le spectateur, qui ne peut ressentir que pitié et horreur face à la passion incestueuse de l’héroïne éponyme.
Le règne de Louis XIV encourage particulièrement la formation de troupes théâtrales officielles et met en compétition les dramaturges. C’est également à cette époque que se développe le système de mécénat, où de riches aristocrates aident les dramaturges et d’autres artistes à développer leur art.
La scène théâtrale au XVIIe siècle est par ailleurs organisée à l’époque pour distinguer les différentes couches sociales.
Le peuple le plus modeste est installé debout devant la scène, les nobles sont sur des banquettes et les aristocrates dans des loges en hauteur.
Vers un renouvellement des codes théâtraux
Vers un renouvellement des codes théâtraux
Au XVIIIe siècle, le théâtre suit les réflexions des philosophes des Lumières et devient une véritable arme de réflexion à l’instar des autres genres littéraires.
Des dramaturges comme Voltaire, Beaumarchais ou encore Marivaux écrivent des pièces, désormais en prose, pour dénoncer l’intolérance et les injustices de leur temps.
C’est souvent le rapport de force entre valet et maître qui est mis en question pour mieux interroger à plus grande échelle la légitimité de la monarchie absolue de droit divin.
La réflexion au XVIIIe siècle touche également le jeu des acteurs : pour faire passer son message, la pièce de théâtre doit plus que jamais faire illusion et sembler réaliste, aussi certains auteurs comme Diderot théorisent-ils le jeu d’acteur et la mise en scène. Pour le philosophe, le comédien doit jouer comme si le public n’était pas là. Cette volonté de vraisemblance contribue à créer de nouveaux genres réalistes, comme le drame bourgeois.
Drame bourgeois :
Ce genre est fondé sur le rire et vise à reproduire sur scène la vie réelle. Le quotidien des spectateurs doit être représenté afin de délivrer le plus efficacement possible la vision du monde de l’auteur. Des préceptes classiques, le drame bourgeois conserve l’unité d’intrigue mais rompt avec l’unité de temps et de lieu.
- Les précurseurs du genre sont Diderot, Beaumarchais et Sedaine.
Le drame bourgeois de Beaumarchais par exemple, Le Mariage de Figaro, met en scène un valet éponyme, éclairé et conscient de son intelligence et de sa valeur en tant qu’homme, et non comme membre d’un rang social. Pour mieux montrer l’égalité humaine entre le comte et son valet, Beaumarchais donne à Figaro le même – si ce n’est plus – nombre de répliques et un niveau de langage similaire. L’autorité du maître est ainsi contestée et interrogée.
Le monologue de l’acte V scène 3 du Mariage de Figaro est un texte incontournable dans l’étude du théâtre des Lumières :
« FIGARO seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre : […] Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! …Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs, pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes […] »
Figaro remet donc ici en question avec verve l’autorité illégitime des puissants. Le théâtre est donc bien un outil de contestation qui participe à l’éducation populaire et à la montée révolutionnaire de 1789.
Victor Hugo disait d’ailleurs dans la préface des Burgraves :
« Le théâtre doit faire de la pensée le pain de la foule. »
Le théâtre au XIXe siècle : tensions entre classicisme et romantisme
Le théâtre au XIXe siècle : tensions entre classicisme et romantisme
Le XIXe siècle marque un tournant dans la conception du genre théâtral.
Les règles classiques de vraisemblance, de bienséance et des trois unités sont clairement rejetées par les dramaturges romantiques car elles représentent selon eux une entrave à la création.
C’est ce qu’expose Stendhal dans Racine et Shakespeare, pamphlet dans lequel il prône l’écriture d’un théâtre en prose et le rejet de toutes les traditions pour mieux mettre en valeur les innovations scéniques.
C’est par ailleurs un siècle qui se concentre sur la liberté et l’individu et qui interroge le monde et c'est dans ce contexte qu’apparaît le genre du drame romantique, qui remplace petit à petit la tragédie.
Drame romantique :
C’est une forme de mélodrame, constitué de plusieurs intrigues simples articulées le plus souvent autour de personnages fragiles et de conflits familiaux violents.
Le drame romantique le plus célèbre est sans nul doute Ruy Blas de Victor Hugo, dans lequel le dramaturge met en scène un valet se retrouvant au cœur d’un complot contre la Reine d’Espagne. Hernani, du même auteur, se déroule dans plusieurs lieux et l’intrigue s’étale sur plus de six mois.
Cette pièce fit tant scandale le soir de sa première représentation en 1830 que les partisans du théâtre traditionnel et les théoriciens plus modernes en vinrent aux mains sur la scène même. Cette première représentation est aujourd’hui désignée sous le nom de « bataille d’Hernani ».
Dans la deuxième moitié du siècle se développe le genre du vaudeville.
Vaudeville :
Il s’agit d’une pièce comique et satirique fondée sur le quiproquo, que l’on connaît pour avoir développé le thème de l’amant dans le placard.
Georges Feydeau ou Eugène Labiche sont les dramaturges les plus connus de ce type de pièce.
La scène en elle-même évolue également au XIXe siècle : le décor s’élargit sur trois murs et est plus travaillé. La machinerie s’est elle aussi développée et de nombreux artifices sont mis au service de l’illusion théâtrale.
Dans La puce à l’oreille de Feydeau par exemple, les chambres disposent d’un lit rotatif pour faire disparaître les amants. Dans Le Dindon, du même auteur, le metteur en scène installe un système de sonnettes sous le lit pour dénoncer les adultères.
- Ces artifices qui mettent en valeur les thèmes de la pièce sont également un puissant facteur comique.
La crise théâtrale au XXe siècle
La crise théâtrale au XXe siècle
Le XXe siècle est traversé par les guerres et les crimes contre l’humanité mais aussi par les grandes découvertes psychologiques. Le théâtre se fait le miroir de ces bouleversements. Il devient un instrument de contestation, et les auteurs, notamment russes et allemands tels Brecht et Piscator, veulent en faire un genre novateur servant à faire réfléchir sur notre société pour mieux la transformer. Le théâtre est donc à l’époque plus que jamais engagé. Les grands dramaturges du théâtre politique en France sont alors Jean-Paul Sartre, avec des pièces comme Les Mains Sales, ou Albert Camus dans Les Justes.
On assiste également au XXe siècle à la mise en place d’un nouveau langage scénique pour explorer la nature humaine.
C’est l’apogée du théâtre dit de l’« absurde » dont les précurseurs sont Alfred Jarry, Eugène Ionesco ou encore Samuel Beckett.
Théâtre de l’absurde :
Ce théâtre témoigne d’une rupture avec les codes théâtraux traditionnels et montre l’impossibilité pour les Hommes de communiquer et de vivre dans ce monde perturbé et déchu.
C’est bien cette vision de l’existence que suggère Beckett dans En attendant Godot. Cette pièce met en scène deux vagabonds attendant inlassablement un personnage qui ne viendra jamais et les répliques constituent de véritables dialogues de sourds à la fois comiques et tragiques.
Dans la même lignée, Eugène Ionesco écrit en 1950 La Leçon, pièce dans laquelle un professeur délivre un enseignement complètement illogique voire dangereux à son élève. En voici un extrait :
« LE PROFESSEUR :
[…] toute langue n’est en somme qu’un langage, ce qui implique nécessairement qu’elle se compose de sons, ou…
L’ÉLÈVE :
Phonèmes…
LE PROFESSEUR :
J’allais vous le dire. N’étalez donc pas votre savoir. Écoutez, plutôt.
L’ÉLÈVE :
Bien, Monsieur. Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR :
Les sons, Mademoiselle, doivent être saisis au vol par les ailes pour qu’ils ne tombent pas dans les oreilles des sourds. Par conséquent, lorsque vous vous décidez d’articuler, il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez…
L’ÉLÈVE :
Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR :
Taisez-vous. Restez assise, n’interrompez pas… Et d’émettre les sons très haut et de toute la force de vos poumons associée à celle de vos cordes vocales. Comme ceci : regardez : « Papillon », « Eurêka », « Trafalgar », « papi, papa ». De cette façon, les sons remplis d’un air chaud plus léger que l’air environnant voltigeront, voltigeront sans plus risquer de tomber dans les oreilles des sourds qui sont les véritables gouffres, les tombeaux des sonorités. Si vous émettez plusieurs sons à une vitesse accélérée, […] constituant ainsi des syllabes, des mots, à la rigueur des phrases, c’est-à-dire des groupements plus ou moins importants, des assemblages purement irrationnels de sons, dénués de tout sens, mais justement pour cela capables de se maintenir sans danger à une altitude élevée dans les airs. Seuls, tombent les mots chargés de signification, alourdis par leur sens, qui finissent toujours par succomber, s’écrouler…
L’ÉLÈVE :
…Dans les oreilles des sourds. »
- On note donc que la leçon délivrée est complètement illogique et absurde et que le rapport de domination entre le professeur et l’élève est poussé à l’extrême. L’œuvre est en réalité une critique du totalitarisme et une réflexion sur la perte du langage.
Le théâtre abandonne par ailleurs peu à peu la question de l’illusion théâtrale au XXe siècle et inclut de plus en plus le spectateur dans la mise en scène. On abat peu à peu la cloison du « quatrième mur » qui sépare la scène des spectateurs.
C’est le cas de la pièce historique 1793, d’Ariane Mnouchkine, représentée pour la première fois en 1972, qui transforme le public de spectateurs en tribunal révolutionnaire pour voter la mort de Danton et de Robespierre.
Le théâtre peut être également informatif. C’est le cas des pièces « documentaires » qui voient le jour au début du XXIe siècle.
À titre d’exemple, Septembre 2001 de Michel Vinavier met en scène les témoignages, les procès, les coupures de presse et les extraits télévisés liés aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
On conçoit également le théâtre à partir du XXe siècle et jusqu’à nos jours comme une expérience plutôt qu’un spectacle. L’intrigue disparaît petit à petit pour laisser place à une forme d’introspection partagée entre auteur, metteur et scène et spectateur.
La pièce Questo Buio Feroce (en français « Cette obscurité féroce ») de Pippo Delbono, représentée pour la première fois en 2006, est une succession d’images oniriques et de tableaux vivants prenants qui invite à réfléchir sur la maladie et sur la fin de vie. Le metteur en scène est en effet atteint du sida et veut transmettre au spectateur cette angoisse de la mort qui le suit pour toujours.
Conclusion :
Le théâtre est donc bien un genre en mouvement qui a fortement évolué au fil des siècles et des changements de mentalité. De la tragédie codifiée au théâtre de l’absurde en passant par le comique du drame bourgeois et par la simplicité du drame romantique, il s’est peu à peu libéré des cadres classiques pour mieux interroger l’Homme et le monde.