Une nouvelle fantastique : « La Chute de la maison Usher » d’Edgar Allan Poe
Introduction :
La nouvelle fantastique connait un véritable essor au XIXe siècle. Il s’agit d’un récit court qui mêle le rêve, l’irrationnel et l’imaginaire dans un cadre réaliste. L’irrationnel se traduit par un phénomène surnaturel qui défie la raison, qu’on ne peut pas expliquer.
Dans la nouvelle fantastique, des événements irrationnels se produisent sans explication logique. En 1951, le chercheur Pierre-Georges Castex écrit dans Le conte fantastique en France, de Nodier à Maupassant :
« Le fantastique […] se caractérise […] par une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle ».
Les auteurs les plus célèbres de nouvelles fantastiques au XIXe siècle sont Maupassant, Théophile Gautier, Prosper Mérimée ou encore l’Américain Edgar Allan Poe.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons à l’origine de la nouvelle fantastique et nous définirons ses principales caractéristiques. Ensuite, nous étudierons un exemple de nouvelle fantastique, « La Chute de la maison Usher », extraite des Nouvelles histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe.
Naissance et codes du genre fantastique
Naissance et codes du genre fantastique
À l’étranger, la nouvelle fantastique apparaît également au XIXe siècle, avec des auteurs comme Poe aux États-Unis ou Hoffmann en Allemagne. En France, les auteurs romantiques du XIXe siècle comme Théophile Gautier ou Mérimée s’y essaient. Mais les auteurs réalistes comme Maupassant, Balzac et Flaubert touchent également au fantastique.
- Cela peut s’expliquer aisément en réalité, car le fantastique n’est pas l’opposé du réalisme.
Au contraire, le fantastique ne peut fonctionner que si le cadre réaliste est bien implanté et crédible.
Dans une nouvelle fantastique, l’action se déroule dans un univers familier et quotidien. Le lecteur doit pouvoir se projeter dans cet univers et s’identifier au héros.
Processus d’identification :
Il consiste, pour le lecteur, à s’imaginer à la place du héros.
L’élément perturbateur dans la nouvelle fantastique est un élément qu’on ne peut expliquer au premier abord. Il apparaît brusquement dans le contexte réaliste, déstabilisant ainsi le héros et le lecteur par la même occasion. Le sentiment éprouvé alors par le lecteur est l’angoisse due au suspense instauré par l’ambiance pesante des nouvelles fantastiques. Le narrateur peut le maintenir à son comble jusqu’à la fin, augmentant ainsi l’effet de suspense. Si un événement surnaturel intervient ou bien si un événement qui paraissait surnaturel est finalement explicable, il ne le dévoile qu’au moment du dénouement.
Dénouement :
C’est l’instant du schéma narratif où l’intrigue se résout, il s’agit de la fin.
Les éléments surnaturels en question peuvent être des fantômes ou des objets animés comme dans La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée où la statue de Vénus se met à bouger. Il peut s’agir également d’apparitions ou d’une présence impalpable et inquiétante. Dans « Le Pied de momie », nouvelle de Théophile Gautier parue en 1840, le narrateur assiste à une série de phénomènes paranormaux. De retour chez lui après un dîner chez des amis, il s’endort et s’aperçoit que le presse-papier qu’il a acheté à un antiquaire est animé. En voici un extrait :
« Au lieu d’être immobile comme il convient à un pied embaumé depuis quatre mille ans, il s’agitait, se contractait et sautillait sur les papiers comme une grenouille effarée : on l’aurait cru en contact avec une pile voltaïque ; j’entendais fort distinctement le bruit sec que produisait son petit talon, dur comme un sabot de gazelle. »
Les procédés employés pour établir une atmosphère fantastique peuvent être variés. On peut observer dans cet extrait que l’auteur emploie notamment des comparaisons. Il compare le pied de momie à « une grenouille effarée » et le bruit qu’il produit à celui d'un « sabot de gazelle ».
Comparaison :
Figure de style qui met en relation, par le biais d’un outil de liaison (comme, tel que…) deux éléments qui ont un point commun.
On peut également trouver des personnifications.
Personnification :
Cette figure de style consiste à attribuer des caractéristiques humaines à un animal, à un objet ou à quelque chose d’ordinaire inanimé.
L’auteur peut également avoir recours à l’antithèse afin de suggérer l’inversion de faits habituels.
Antithèse :
Figure de style qui permet d’associer des idées contraires dans une même phrase.
De plus, les récits fantastiques sont souvent narrés à la première personne.
Le narrateur peut être un témoin direct voire une victime des faits irrationnels.
On peut citer ici Le Horla de Maupassant : le narrateur, qui est interne (« je ») est en proie à des angoisses et à la folie, il sent la présence d’un être maléfique qu’il nomme « le Horla ». Il peut alors être amené à s’interroger sur son propre état mental. Le narrateur peut également se demander s’il n’est pas en train de rêver. La frontière entre rêve et réalité est quelquefois très mince dans les nouvelles fantastiques.
La notion de fantastique va de pair avec l’incertitude et l’hésitation.
Un exemple de nouvelle fantastique : « La Chute de la maison Usher » d’Edgar Allan Poe
Un exemple de nouvelle fantastique : « La Chute de la maison Usher » d’Edgar Allan Poe
Les Nouvelles histoires extraordinaires ont été publiées en 1857, à titre posthume.
À titre posthume :
Cette expression signifie « après la mort de l’auteur ».
En effet, Edgar Allan Poe est décédé en 1849 et n’avait publié que ses nouvelles écrites entre 1831 et 1845. C’est Baudelaire qui a traduit ses œuvres en français.
« La Chute de la maison Usher » a inspiré de nombreuses œuvres par la suite. C’est en 1839 qu’elle est publiée pour la première fois dans le magazine littéraire Burton’s Gentleman’s Magazine.
Résumé de la nouvelle
Résumé de la nouvelle
Le narrateur se rend auprès d’un ami qui a réclamé sa présence. Il s’agit de Roderick Usher, propriétaire d’une vaste demeure de famille où il vit avec sa sœur. Celui-ci est en proie à un mal étrange, une sorte de maladie mentale qui le rend angoissé, énervé, hypersensible et qui l’affaiblit de jour en jour. C’est apparemment une affection héréditaire.
Héréditaire :
Qui se transmet de génération en génération.
Sa sœur jumelle, Madeline, souffre également d’une maladie mentale qui la ronge. Le narrateur, arrivé sur place, sent une atmosphère dérangeante et effrayante se dégager de la maison. Roderick affirme que la maison serait responsable des maladies sévissant dans la famille, elle aurait une influence sur les caractères à cause de la végétation entourant la maison.
Un jour, Roderick annonce au narrateur que sa sœur est morte et lui demande de l’aider à la mettre dans un caveau souterrain. Il souhaite y garder le corps une quinzaine de jours.
L’état de santé de Roderick se dégrade rapidement, jusqu’à un soir de tempête où son comportement devient hystérique. Le narrateur s’aperçoit que son ami a enterré sa sœur vivante et qu’il était au courant depuis plusieurs jours. Elle apparaît alors et vient se venger. Le narrateur s’enfuit. La maison Usher s’effondre sous ses yeux.
Une nouvelle fantastique
Une nouvelle fantastique
Edgar Poe construit sa nouvelle sur fond de descriptions réalistes angoissantes. La précision avec laquelle il décrit la décadence, c’est-à-dire le déclin qui sévit dans la famille Usher, relève même du naturalisme, créant ainsi une atmosphère pesante, sombre et délétère (étouffante).
Naturalisme :
Il s’agit d’un mouvement littéraire qui propose une analyse de l’être humain en s’inspirant de la médecine et de ses méthodes.
En voici un exemple :
« La maladie de Lady Madeline avait longtemps bafoué la science de ses médecins. Une apathie fixe, un épuisement graduel de sa personne, et des crises fréquentes, quoique passagères, d’un caractère presque cataleptique1, en étaient les diagnostics très singuliers. »
1 La catalepsie désigne une paralysie momentanée qui peut toucher une personne suite à une crise.
Les naturalistes s’intéressent également à l’hérédité, fait qui est ici évoqué à plusieurs reprises. Par exemple, Roderick qualifie sa maladie de « mal de famille ».
La maladie mentale est effrayante et mystérieuse. Elle contribue à créer une atmosphère propice au fantastique et à susciter l’angoisse du lecteur.
La maison Usher est un personnage à part entière. Elle serait responsable de la maladie de Roderick selon lui. Le narrateur croit qu’il s’agit de superstition, mais il écoute l’argumentation de son ami avec inquiétude :
« Cette croyance […] se rattachait […] aux pierres grises du manoir de ses ancêtres. Ici, les conditions de sensitivité étaient remplies, à ce qu’il imaginait, par la méthode qui avait présidé à la construction, – par la disposition respective des pierres, aussi bien que de toutes les fongosités1 dont elles étaient revêtues, et des arbres ruinés qui s’élevaient à l’entour, – mais surtout par l’immutabilité2 de cet arrangement et par sa répercussion dans les eaux dormantes de l’étang. […] Le résultat […] se déclarait dans cette influence muette, mais importune et terrible, qui depuis des siècles avait pour ainsi dire moulé les destinées de sa famille, et qui le faisait, lui, tel que je le voyais maintenant. »
1 Végétation à l’aspect mou qui se développe habituellement autour d'une plaie.
2 Qui est immuable, constant, fixe.
Les pierres, la végétation et l’étang sont responsables de la décadence de la famille. La maison, par la manière dont elle a été construite et la végétation qui l’entoure, influence lentement mais irrémédiablement la santé de la famille.
- La maison a une telle importance qu’elle ouvre et clôt la nouvelle.
L’extrait ci-dessous fait partie de l’incipit, c’est-à-dire le début de la nouvelle :
« Je me trouvai en vue de la mélancolique Maison Usher. Je ne sais comment cela se fit, – mais, au premier coup d’œil que je jetai sur le bâtiment, un sentiment d’insupportable tristesse pénétra mon âme. Je dis insupportable, car cette tristesse n’était nullement tempérée1 par une parcelle de ce sentiment […] dont l’âme est généralement saisie en face des images naturelles les plus sombres de la désolation et de la terreur. Je regardais le tableau placé devant moi, et, rien qu’à voir la maison et la perspective caractéristique de ce domaine, – les murs qui avaient froid, – les fenêtres semblables à des yeux distraits, – quelques bouquets de joncs vigoureux, – quelques troncs d’arbres blancs et dépéris, – j’éprouvais cet entier affaissement d’âme qui, parmi les sensations terrestres, ne peut se mieux comparer qu’à l’arrière-rêverie du mangeur d’opium, – à son navrant retour à la vie journalière, – à l’horrible et lente retraite du voile. »
1 Modérée
Tous les ingrédients du fantastique sont ici réunis.
Le narrateur fait une description réaliste de la maison, mais il évoque aussi des sentiments, en sa qualité de témoin des faits irrationnels à venir.
La maison est décrite avec soin et nombre de détails. On comprend qu’elle aura une grande importance dans l’histoire. Elle a le pouvoir de créer une vive émotion chez le narrateur. Il emploie un champ lexical des sentiments (le mot « sentiment » est d’ailleurs répété). Il emploie également le verbe « éprouver » et enfin le terme « sensations ». Les émotions décrites sont négatives comme la « tristesse » qu’il qualifie même « d’insupportable ». La maison évoque par ailleurs au narrateur « la désolation et la terreur ». Il compare son impression à :
« L’arrière-rêverie du mangeur d’opium, - à son navrant retour à la vie journalière, - à l’horrible et lente retraite du voile. »
Ces comparaisons sont destinées à souligner l’immense désarroi dans lequel le plonge la simple vue de cette maison et à faire monter l’angoisse chez le lecteur. De plus, l’évocation de l’opium illustre un thème cher au fantastique qui est la rêverie et la fantasmagorie provoquées par la drogue.
Fantasmagorie :
Ce terme désigne une illusion troublante, une vision fantastique.
La maison est comparée à un être humain. Poe emploie des personnifications telles que « les murs qui avaient froid » et « les fenêtres semblables à des yeux distraits ». Cela renforce l’atmosphère inquiétante qui se dégage dès le début de la nouvelle et conforte le lecteur dans l’idée que la maison tient un rôle capital. Elle est également le symbole de la décadence qui ronge la famille Usher puisqu’elle s’effondrera en même temps que la famille mourra. Ce que dégage la maison défie certes la raison, mais cela n’est qu’un avant-goût de l’élément réellement surnaturel, en l’occurrence la quasi résurrection de la sœur.
Cet extrait de l’incipit permet de plonger le lecteur dans l’atmosphère lugubre que Poe aime tant, nid idéal pour le fantastique.
Conclusion :
La nouvelle fantastique s’inscrit donc en parallèle des mouvements romantiques et réalistes. Elle s’appuie sur les fondations du réalisme et élève son intrigue fantastique dans une atmosphère angoissante et lugubre. Le narrateur, souvent témoin ou acteur de l’histoire, s’interroge sur les événements, au même titre que le lecteur. Sa raison est mise à rude épreuve. Edgar Allan Poe mêle quant à lui le fantastique au naturalisme dans son analyse fine des tourments humains.
Le fantastique a inspiré de nombreuses œuvres postérieures au XIXe siècle. Il exerce une fascination sur le public, lorsque la réalité la plus banale se charge d’horreur et d’angoisse ou encore lorsque l’auteur nous plonge dans les méandres de la folie. Le lecteur vit alors une expérience de grand frisson.