Victor Hugo et le romantisme

Introduction :

Le romantisme désigne une forme de sensibilité et une certaine conception du monde qui se sont exprimées en Allemagne et en Angleterre dès la fin du XVIIIe siècle et qui se sont épanouies dans l’art européen du début du XIXe siècle jusqu’aux années 1850. En France, la naissance du romantisme en littérature est traditionnellement rattachée à la publication, en 1820, d’un recueil de poèmes d’Alphonse de Lamartine intitulé : les Méditations poétiques, mais on en trouve déjà des prémices dans des œuvres bien antérieures, notamment Les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau (1782). Une autre grande date du romantisme est l’année 1830, marquée par la première représentation d’Hernani, le drame de Victor Hugo. Celui-ci fut en effet une figure de proue de ce courant.

Nous allons donc dans un premier temps définir les composantes de l’âme romantique telle qu’elle s’est illustrée en littérature puis, après un rappel des événements les plus importants de la biographie de Victor Hugo, nous montrerons quel rôle cet auteur a joué dans la constitution et le développement de ce mouvement.

L’âme romantique

L’âme romantique a été analysée par Madame de Staël dans deux ouvrages théoriques : De la littérature (1800) et De l’Allemagne (1813) et par François-René de Chateaubriand (1768-1848) dans Le Génie du christianisme.

Elle se caractérise par les traits suivants :

  • Le mal du siècle

On nomme ainsi le sentiment douloureux provoqué par la conscience que tout ce qui est humain est limité, mesuré, passager : la destinée humaine est étriquée au regard de l’imaginaire et du rêve. Les âmes élevées ne peuvent donc pas se contenter de l’existence commune. Certaines aspirent même à se dégager de leur ennui ou de leur souffrance par la mort.
En plus de cette dimension existentielle, ce mal a aussi une dimension politique : l’épopée napoléonienne a été idéalisée et a fait l’objet d’un mythe, créé par la propagande napoléonienne, qui a vivement marqué la mémoire des Français et des Européens. En effet, Napoléon a incarné aux yeux de beaucoup le fils de la Révolution française, l’homme de la modernité (avec le Code civil) et de la liberté, luttant contre des souverains européens despotiques. Aux Français, il a laissé le souvenir d’un souverain proche de son peuple, d’un chef d’État génial, maîtrisant parfaitement l’art de la politique et de la guerre. Mais l’épopée napoléonienne est finalement brève puisque le sacre de Napoléon Ier a lieu en 1804 et que dès 1814, la France connaît la Restauration, c’est-à-dire le retour à la royauté (Louis XVIII).

Au début, la plupart des romantiques, y compris Victor Hugo, adhèrent aux valeurs royalistes ; mais leurs conceptions évoluent vers le libéralisme à partir du règne de Charles X, successeur de Louis XVIII en 1824. La figure de Napoléon reprend alors de la vigueur : en 1848, Victor Hugo répand la légende napoléonienne pour appuyer la candidature du prince Louis Napoléon, neveu de Napoléon, à la présidence de la République ; puis, devenu un de ses plus farouches opposants, il le baptisera dans ses pamphlets « Napoléon le Petit » par opposition au grand Napoléon qui l’a précédé.

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À retenir

Le contraste entre idéal politique et réalité contribue au mal du siècle romantique.

  • De la mélancolie à l’enthousiasme

L’âme romantique, exaltée, se sait impuissante à changer le monde et se sent en marge de la société. Pour oublier les limitations de l’existence, elle se plaît au contact de ce qui est beau et noble, par exemple les chefs-d’œuvre artistiques. Elle se réfugie dans la rêverie, dans la solitude, dans la contemplation et la fréquentation de la nature, où l’être peut se sentir en contact avec Dieu. L’enthousiasme est provoqué par l’amour du beau mais aussi par le dévouement aux causes qui dépassent des buts égoïstes. Les écrivains romantiques seront ainsi, pour la plupart d’entre eux, des écrivains engagés au service du peuple. Cette exaltation du rêve et de l’imaginaire entraîne certains d’entre eux vers l’irrationnel, ce qui donnera naissance à la littérature fantastique (on peut penser à Charles Nodier par exemple).

La peinture suivante illustre traditionnellement l’âme romantique et son goût pour la contemplation de ce qui dépasse l’humain.

C. D. Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages, 1818 romantisme C. D. Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages, 1818

  • L’exaltation des sentiments

La passion amoureuse est dépassement de soi ; elle est cependant rarement heureuse chez les romantiques. Les auteurs sont enclins au lyrisme ; on trouve parfois même une certaine complaisance dans la souffrance amoureuse, un goût des larmes.

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À retenir

Les grands auteurs romantiques furent donc des enfants ou des adolescents sous Napoléon et de jeunes adultes au moment de la restauration monarchique. Ce fut le cas de Victor Hugo.

Victor Hugo

Victor Hugo est un enfant du XIXe siècle, né à son tout début, en 1802 (« Ce siècle avait deux ans » est le titre d’un poème où Victor Hugo se raconte) et mort en 1885. Il a donc connu ses nombreux soubresauts politiques : le passage de l’Empire (Napoléon Bonaparte est proclamé Empereur des Français le 18 mai 1804) à la Restauration monarchique (en 1814) puis à la IIe République (en 1848) ; la résurgence de l’Empire avec le second Empire de Louis Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon (1852) puis enfin le retour à la République en 1870.

Son enfance parisienne est marquée par les voyages ; son père, officier dans les armées de Bonaparte, puis colonel et général d’Empire en 1809, est muté au gré des campagnes et des déplacements de Napoléon : il voyage ainsi en Italie, en Corse et en Espagne en 1811.
En 1816, âgé de 14 ans, Hugo fait ses premiers essais littéraires en composant des vers. au cours des années suivantes, il sera à plusieurs reprises remarqué ou récompensé par l’Académie française pour ses participations aux concours littéraires qu’elle organise. Il décide alors de consacrer sa vie à l’écriture.

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À retenir

En 1822 paraît son premier recueil de poèmes : Odes. Mais c’est une œuvre de jeunesse dans laquelle Victor Hugo n’atteint pas encore toute la puissance de son génie.

La même année, Victor Hugo épouse une amie d’enfance, Adèle Foucher, avec laquelle il aura cinq enfants dont une seulement, Adèle, lui survivra. En 1843, la perte de sa fille Léopoldine, morte par noyade avec son jeune époux alors qu’elle n’avait que 19 ans, sera un des plus grands drames de son existence ; maints poèmes en sont inspirés.

Dans ces années 1820, Hugo fréquente le salon littéraire de Charles Nodier (1780-1844) où se réunissent des partisans du romantisme.

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À retenir

Mais c’est seulement à partir de 1827 que Victor Hugo devient le fer de lance de la génération romantique. C’est en effet à cette date qu’il publie sa pièce de théâtre intitulée Cromwell.

  • La préface de cette pièce constitue un véritable manifeste romantique.

Jusqu’alors, Hugo avait été un défenseur du régime monarchique ; mais en 1829, la nomination par le roi Charles X de l’ultra (royaliste extrémiste) Jules de Polignac au ministère des Affaires étrangères le conduit à la contestation : Polignac, véritable chef du gouvernement, s’oppose à la liberté de la presse et Hugo est lui-même victime de la censure avec l’interdiction de sa pièce Marion Delorme. La même année, Hugo marque son opposition à la peine de mort dans Le Dernier jour d’un condamné. Désormais, c’est la revendication de la liberté qui marquera les combats d’Hugo, aussi bien en littérature qu’en politique.

Les années 1830 sont très fructueuses pour Victor Hugo : il publie alors des œuvres marquantes comme le roman Notre-Dame de Paris (1831), fait représenter des pièces comme Lucrèce Borgia et Marie Tudor (1833), publie plusieurs recueils de poèmes (Les Feuilles d’automne en 1831, Les Chants du crépuscule en 1835, Les Voix intérieures en 1837, Les Rayons et les Ombres en 1840).

En 1833 qu’il devient l’amant de Juliette Drouet, une actrice. Leur relation, qui dura cinquante ans, fut marquée par une longue correspondance.

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À retenir

D’abord soutien de Louis-Napoléon Bonaparte lors de sa candidature à la présidence de la République en 1848, il appelle à l’insurrection lorsque ce dernier organise, le 2 décembre 1851, le coup d’État qui mènera à la proclamation du second Empire (1852-1870). Hugo s’exile, d’abord à Bruxelles, puis sur les îles anglo-normandes de Jersey et de Guernesey jusqu’en 1870.

Sur le plan littéraire, la période est féconde : il rédige deux œuvres d’opposition à Napoléon III : le pamphlet Napoléon le Petit et le recueil de poèmes Les Châtiments (1852).
Les Contemplations (ou Les Mémoires d’une âme), œuvre lyrique, rend compte des croyances intimes et des souffrances de Hugo, notamment liées à la mort de sa fille Léopoldine en 1843.
En 1859 commence la parution de La Légende des siècles dont la visée est de dépeindre l’évolution de l’humanité.
Trois romans importants sont également rédigés à cette époque : Les Misérables (1862), Les Travailleurs de la mer (1866) et L’Homme qui rit (1869).

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À retenir

Après la défaite de la France contre les armées prussiennes à Sedan en 1870 et la chute du second Empire qui lui est consécutive, Hugo rentre en France le lendemain de la proclamation de la République en septembre 1870. Bien ancré dans la gauche républicaine, il se consacre désormais presque exclusivement à l’activité politique.

Victor Hugo et le romantisme

Benjamin Roubaud, La Grande Chevauchée de la Postérité, 1842 romantisme Benjamin Roubaud, La Grande Chevauchée de la Postérité, 1842

Cette gravure satirique place Victor Hugo en tête du groupe des romantiques. Elle le représente chevauchant Pégase, cheval ailé de la mythologie grecque symbolisant l’inspiration poétique. Ici, Pégase est muni d’ailes et d’une queue de dragon. C’est une manière de se railler des extravagances de l’imaginaire romantique. Derrière le penseur au large front suivent les autres romantiques, certains installés à l’arrière de la bête. Parmi les plus célèbres, on distingue Théophile Gautier (1811-1872), moustachu et coiffé d’un chapeau, Eugène Sue (1804-1857) se hissant au sommet d’une pique pour se maintenir à la hauteur des autres, puis debout, Alexandre Dumas (1802-1870), qui semble presser le pas. Alphonse de Lamartine (1790-1869) est couché sur des nuages et rêve. À la droite de Dumas, le petit homme rond et moustachu est le romancier Honoré de Balzac (1799-1850). Derrière Balzac, on reconnaît Alfred de Vigny (1797-1863).
Sur l’étendard tenu par Hugo on peut lire : « Le laid c’est le beau », déformation de ce qu’a écrit le poète dans la préface de Cromwell : « Le laid existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière. »

C’est en effet la publication de la pièce de théâtre Cromwell en 1827, et surtout de la préface de celle-ci, que date l’entrée de Victor Hugo dans le mouvement romantique. Dans ce texte, l’auteur pose les principes du drame romantique qu’il définit en regard et par opposition au théâtre classique.

Définition du drame romantique par Victor Hugo

  • Le théâtre classique (c’est-à-dire le théâtre du XVIIe siècle, qui est soumis à des règles strictes) sépare la comédie et la tragédie : la première traite de sujets communs, met en scène des petites gens, utilise un registre de langue courant ou familier ; la seconde ne traite que de sujets nobles. Le drame romantique, lui, doit refléter la vie en associant les éléments des deux genres : le beau et le sublime, jusqu’alors réservés à la tragédie, doivent cohabiter avec le laid et le grotesque. Le drame pourra donc provoquer chez les spectateurs une gamme variée d’émotions.
  • Le modèle du genre est le drame de Shakespeare :
    « Shakespeare, c’est le Drame ; et le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, le drame est le caractère propre de la troisième époque de la poésie, de la littérature actuelle. »
  • Les règles d’unité de temps et de lieu sont jugées dépassées : il n’est pas vraisemblable de cantonner l’action d’une pièce dans la limite des 24 heures d’une journée ni dans celles d’un lieu unique. En revanche, l’unité d’action peut être préservée à condition de ne pas confondre action unique et action simpliste : l’intrigue principale peut être reliée à des intrigues secondaires.
  • Quant à la langue du drame romantique, Hugo préconise de libérer le vers : il aspire à « un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie. » Certains mots, d’ordinaire exclus, pourront ainsi être employés.

Le mot d’ordre de Victor Hugo est : « le romantisme n’est rien d’autre que le libéralisme en littérature ».

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Définition

Libéralisme :

Doctrine politique et économique fondée sur la liberté de l’individu, terme employé en politique et en économie.

Cette idée est reformulé dans la préface de Hernani en 1830 : « Cette voix haute et puissante du peuple, qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique : TOLÉRANCE ET LIBERTÉ. »

Le triomphe d’Hernani marque une étape importante de la liberté dans l’art prônée par les romantiques contre les défenseurs du classicisme.

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À retenir

En 1843, l’échec de sa pièce Les Burgraves est considéré comme annonciateur du déclin du romantisme. Dans les années 1850, il sera supplanté par le réalisme. Cependant, Hugo restera toujours fidèle à ses idéaux.

Conclusion :

Le romantisme est un courant artistique novateur et fécond qui s’est épanoui en France dans la première moitié du XIXe siècle. La vie et l’œuvre de Victor Hugo épousent parfaitement l’histoire de ce mouvement dont les grandes dates sont toutes associées à une de ces œuvres. Les pièces de théâtre Cromwell et Hernani doivent à ce titre être considérées comme des actes fondateurs du romantisme en France.