Histoire et évolution de la poésie
Introduction :
Qu’est ce que la poésie ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre tant la poésie se montre sous divers aspects. Protéiforme, elle s’est dévoilée sous un jour différent au fur et à mesure des siècles et des contextes littéraires et historiques. Définir ce qu’est le genre poétique, c’est donc l’envisager dans son évolution et dans ses mutations, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. C’est ce que ce cours va permettre de faire. Il permettra également de voir que la poésie est passée d’une forme codifiée à l’extrême à une véritable interrogation sur l’existence et le langage.
De la poésie chantée à la poésie écrite
De la poésie chantée à la poésie écrite
La poésie médiévale naît avec les troubadours qui en définissent les premiers codes. Elle est d’abord chantée à la cour puis écrite et transmise grâce à l’invention de l’imprimerie au XVe siècle.
La poésie au Moyen Âge est lyrique et courtoise. Elle traite du désir et de la souffrance amoureuse, et met en scène l’homme au service de sa dame et de son roi. Les formes poétiques médiévales sont la ballade, le rondeau et le lai. On peut retenir comme grands poètes médiévaux Maurice Scève et Charles d’Orléans, qui travaillent la question du sentiment amoureux dans leurs œuvres respectives.
« Comme Hécate tu me feras errer
Et vif, et mort cent ans parmi les Ombres :
Comme Diane au Ciel me resserrer,
D’où descendis en ces mortels encombres :
Comme régnante aux infernales ombres
Amoindriras, ou accroîtras mes peines.
Mais comme Lune infuse dans mes veines
Celle que tu fus, es et seras Délie,
Qu’Amour a jointe à mes pensées vaines
Si fort que Mort jamais ne l’en délie. »
Maurice Scève, Délie, objet de plus haute vertu, XXII, 1544
La Renaissance, qui débute au XVe siècle, est une période faste de renouveau poétique.
Toutes les formes poétiques désuètes du Moyen Âge sont rejetées petit à petit pour retrouver les genres perdus de l’Antiquité et s’inspirer des modèles italiens du XIIIe siècle. C’est à cette époque qu’apparaît le sonnet, hérité de l’italien Pétrarque. Habituellement écrit en alexandrins ou en décasyllabes, il est composé de deux quatrains et de deux tercets. Ronsard et Du Bellay lui donneront ses lettres de noblesse à travers leurs œuvres respectives Les Amours (1552) et Les Regrets (1558). Ces deux auteurs font par ailleurs partie d’un groupe de sept poètes célèbres nommé La Pléiade, qui entend enrichir la langue française par des emprunts à l’Antiquité mais aussi par des néologismes. Du Bellay fera de ces nouvelles règles un manifeste intitulé Défense et illustration de la langue française, écrit en 1549.
La poésie du XVIIe siècle
La poésie du XVIIe siècle
À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, le modèle poétique de la Renaissance est perdu de vue après les massacres perpétrés lors des guerres de religion. C’est l’apparition du mouvement baroque.
Il est appelé ainsi en référence au mot barroco qui signifie en portugais « perle irrégulière ».
La poésie devient un questionnement sur l’existence et sur son caractère éphémère.
La mort fascine, et devient le thème privilégié de poètes comme Théophile de Viau, François Villon ou encore Jean de Sponde comme on peut le voir dans cet extrait de l’un de ses poèmes sans titre :
« Et quel bien de la Mort ? où la vermine ronge
Tous ces nerfs, tous ces os ; où l’Ame se départ
De ceste orde charongne, et se tient à l’escart,
Et laisse un souvenir de nous comme d’un songe ?
Ce corps, qui dans la vie en ses grandeurs se plonge,
Si soudain dans la mort estouffera sa part,
Et sera ce beau Nom, qui tant partout s’espard,
Borné de vanité, couronné de mensonge. »
L’accent est mis sur tout ce qui échappe à l’homme. Les thèmes de l’eau, de l’éphémère, de l’amour sont autant de sujets traités alors pour manifester la fuite du temps.
Le style poétique baroque multiplie les images précieuses et les effets de style pour marquer l’imaginaire du lecteur. C’est le cas par exemple dans le poème de Pierre de Marbeuf qui joue avec les ressemblances entre l’amour et la mer :
« Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage. »
Pierre de Marbeuf, Recueil de vers, 1628
Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, les arts sont contrôlés par le pouvoir royal, qui en édicte des règles et des codes précis.
On se bat alors pour être le poète attitré du roi, poète de la cour, qui se doit à la fois de plaire et instruire. C’est l’ère du classicisme, mouvement qui rejette le baroque et en revient aux héritages littéraires gréco-latins. Il ne s’agit pas de copier mais de s’inspirer des œuvres antiques, comme le dit Jean de La Fontaine dans « L’Épître à Huet » :
« Mon imitation n’est point un esclavage
Je ne prends que l’idée, et les tours et les lois […]
Tâchant de rendre mien cet air d’antiquité. »
La poésie doit obéir à une discipline établie. Elle doit être la plus précise et la plus simple possible, et se fonder non pas sur les passions humaines comme le faisait les auteurs médiévaux et baroques, mais sur la raison et la vérité.
La forme poétique classique privilégiée est sans nul doute le sonnet, apprécié alors pour la rigueur qu’il impose au poète. Ce sont ces préceptes que rappelle Boileau dans son Art poétique de 1674, qui pourrait faire office de manifeste de la poésie classique :
« Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
[…]
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
[…]
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »
- Il y invite les poètes à écrire de manière claire et rationnelle et à persévérer dans leur travail pour atteindre une forme de perfection.
Le XIXe siècle, du poète romantique au poète maudit
Le XIXe siècle, du poète romantique au poète maudit
Si le XVIIIe siècle met de côté la poésie, le XIXe siècle la redécouvre et l’ouvre aux champs des possibles.
Au lendemain de la Révolution de 1789 et à l’aube de la révolution industrielle, la société a changé. Elle est secouée de bouleversements d’ordres religieux, moraux et politiques. La poésie se fait le miroir de ces mutations : plus ambitieuse, elle est engagée et peut faire passer un message politique. De célèbres auteurs comme Victor Hugo ou Alphonse de Lamartine sont à la fois poètes et politiciens. La poésie entend guider le peuple. C’est le cas de la chanson suivante de Victor Hugo dans laquelle il évoque le prestige passé de Napoléon Ier pour mieux dénigrer et critiquer l’Empire de Napoléon III. Il nommait par ailleurs ce dernier « Napoléon le Petit ».
« Sa grandeur éblouit l’histoire.
Quinze ans, il fut
Le dieu que traînait la victoire
Sur un affût ;
L’Europe sous sa loi guerrière
Se débattit. –
Toi, son singe, marche derrière,
Petit, petit.
Napoléon dans la bataille,
Grave et serein,
Guidait à travers la mitraille
L’aigle d’airain.
Il entra sur le pont d’Arcole,
Il en sortit. –
Voici de l’or, viens, pille et vole,
Petit, petit.
[…] »
Victor Hugo, VII, 6, Les Châtiments, 1856
La poésie du XIXe siècle est également le reflet des désillusions et des désenchantements républicains liés au rétablissement de la monarchie au début du XIXe siècle.
Pour mieux exprimer cette nostalgie ambiante, les poètes renouent avec l’écriture lyrique traditionnelle à travers les thèmes de la fuite du temps, de l’exagération et de la mise en avant du moi. C’est l’ère du mouvement romantique, représenté par des poètes comme Alfred de Musset, Victor Hugo ou encore Gérard de Nerval.
En réaction au romantisme apparaît le mouvement du Parnasse, représenté notamment par Théophile Gautier qui théorise la doctrine de « l’art pour l’art ».
Doctrine de l’art pour l’art :
C’est un art purement esthétique qui ne revendique aucune utilité sinon sa beauté.
La fin du siècle est marquée par la figure du poète maudit.
Poète maudit :
C’est un poète qui se sent incompris et mis au banc de sa propre société.
Ces poètes font partie du mouvement dit « symboliste ». Pour se démarquer, ils rompent avec l’esthétique classique et romantique pour appliquer leurs propres codes à l’art poétique. La poésie est selon eux un langage à part entière mais aussi un moyen de déchiffrer le réel et de recréer le monde. C’est le cas de Charles Baudelaire, Paul Verlaine ou encore Arthur Rimbaud qui adoptent le vers libre et les poèmes en prose. À travers ce souffle nouveau, la fin du XIXe siècle constitue une forme de révolution poétique comme y invite Baudelaire dans son poème « Voyage » :
« Nous voulons, tant ce feu qui nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »
La poésie n’est plus cadrée, codifiée, elle est avant tout le reflet d’un moi qui prend des formes diverses et variées.
La poésie moderne : un art libre ?
La poésie moderne : un art libre ?
Cette révolution poétique se poursuit au XXe siècle avec le mouvement surréaliste.
Mouvement surréaliste :
Ce mouvement entend dépasser la réalité du langage et faire parler l’inconscient. Il apparaît parallèlement à la découverte de la psychologie freudienne et de l’exploration de la conscience humaine. La poésie dadaïste puis surréaliste joue de l’écriture automatique, des correspondances et des collages possibles entre les arts. Elle refuse toute forme de convention et de rationalité et considère que chaque poète est libre d’inventer ses propres formes et jeux d’expression poétique.
Guillaume Apollinaire crée par exemple ses Calligrammes, des poèmes-dessins qui fusionnent la forme et le sens :
« Reconnais-toi
Cette adorable personne c’est toi
Sous le grand chapeau canotier
Oeil
Nez
La bouche
Voici l’ovale de ta figure
Ton cou exquis
Voici enfin l’imparfaite image de ton buste adoré
Vu comme à travers un nuage
Un peu plus bas c’est ton cœur qui bat »
Guillaume Apollinaire, extrait du poème du 9 février 1915, Poèmes à Lou
Par ailleurs, la poésie s’engage au XXe siècle dans les combats de la Résistance lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle véhicule en effet à l’époque des messages de paix, de liberté et d’unicité. Le poème en vers libres de Paul Éluard, « Liberté », invite ses lecteurs à se rebeller contre l’idéologie et l’oppression nazie :
« Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
[…]
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté »
Les poètes du XXe siècle veulent montrer d’autre part que la poésie est partout, dans le quotidien le plus simple et le plus intime.
Francis Ponge par exemple dans Le Parti pris des choses décrit les plus simples éléments du quotidien comme des objets poétiques. Cet extrait du poème en prose « Le Pain » illustre bien cette vision des choses :
« La surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. »
Le XXe et le XXIe siècles tendent également à remettre en chanson et en rythme la poésie, et ce notamment à travers la forme du slam, poème déclamé le plus souvent sur fond musical et dont les grands représentants français sont Abd El Malik et Grand Corps Malade :
« On a trempé notre plume dans notre envie de changer de vision
De prendre une route parallèle, comme une furtive évasion
On a trempé notre plume et est-ce vraiment une hérésie
De se dire qu’on assume et qu’on écrit de la poésie. »
Grand Corps Malade, « Toucher l’instant », Midi 20, 2006
La poésie se vit désormais comme expérience humaine. Démocratisée, elle n’est ni codifiée ni contrainte, sa seule règle est précisément de n’en suivre aucune et de dire ce qu’est l’homme au fond de lui-même.
Conclusion :
La poésie est donc un genre en constante mutation, créé au fur et à mesure des ruptures entre les différents courants et époques littéraires. D’abord chantée au Moyen-Âge, la poésie acquiert ses lettres de noblesse à la Renaissance à travers l’écriture de poètes de renom qui entendent révolutionner la langue française et abandonner le latin. Fantasque et irrégulière chez les baroques, elle est bientôt codifiée à l’extrême par les poètes classiques qui veulent lui faire atteindre une forme de perfection. Plus engagée dans l’actualité au XIXe siècle, elle se libère de ses carcans formels au XXe siècle pour devenir une expérience interrogeant à la fois le sens du monde et le langage.